La Commission Européenne a très récemment décidé de relancer le processus d'adoption de la directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle (IPRED2 : 2005/0127(COD) et 2005/0128(CNS)), et fournit donc l'occasion d'examiner l'analyse que fait la Commission (qui est à l'initiative de toutes les directives européennes) de l'art et la manière de mener la construction européenne, mission dont elle conserve la charge exclusive, fait qui rajoute quelque sel au spectacle donné par un président de la Commission s'émouvant de l'inutilité d'une législation dont le travail de la Commission et lui seulement est à l'origine, et entrainant la future présidence allemande dans son analyse.
Mais revenons à nos moutons : IPRED2 vise à "criminaliser toutes les infractions intentionnelles et commerciales relatives à la "propriété intellectuelle", afin de "combattre le crime organisé et de "protéger les économies et les gouvernements nationaux".
C'est donc de manière très explicite que cette directive exprime son intention de définir de nouvelles catégories de crimes au sein de l'ordre juridique européen : il est intéressant à ce sujet de constater qu'à l'exception très particulière du droit des migrants, rares sont les exemples où l'Union a estimé judicieux à quelque instant de son histoire que ce soit de bâtir l'Europe par un enrichissement de la littérature criminelle juridique relative, laquelle, rappellons-le, devra être transposée en droit national.
Si on considère par ailleurs le laxisme (d'ailleurs abondamment commenté) en comparaison des pratiques des offices nationaux des états signataires de la convention de Munich avec lequel l'Office Européen des Brevets accorde ces titres de propriété intellectuelle que sont les brevets, on ne s'étonnera pas que les entreprises européennes innovantes souhaitent parfois s'affranchir du fait qu'un brevet qu'elles jugent ridicule ou contestable à leurs yeux existe pour pouvoir continuer leur processus d'innovation. On constate alors qu'IPRED propose, ni plus ni moins, de faire de qualifier ces innovateurs de criminels, ce qui ne contribuera certainement pas à les encourager.
Un économiste verrait certainement dans ce renforcement des devoirs des institutions envers les propriétaires ou concessionnaires du domaine public (les idées qui ont assez naturellement libre cours, et les procédés qui sont, par définition, susceptibles de se décrire à l'aide du langage et quelques autres représentations) un avantage consenti aux acteurs présents au détriment des acteurs entrants. Un démocrate constatera que le sujet de la définition du champs du crime mérite certainement un débat un peu plus approfondi qu'un dialogue entre experts en affaires économiques, policières, ou de défense. Mais tout un chacun pourra ici lire l'importance dans l'inconscient de l'administration européenne, de préférer défendre l'investisseur que le citoyen, de se focaliser sur l'interdit plutôt que le permis, en un mot, de ne concevoir l'europe que comme l'auxilliaire ou l'amplificateur du pouvoir de ceux européens déjà dominants au sein de leurs états membres respectifs.
Juste une question de vocabulaire. Il ne s'agit ni de criminalisation d'un acte ni de faire d'un acte un crime. Il s'agit de pénaliser un acte --faire de lui une infraction pénale-- et, en l'occurence, de faire de cet acte un délit (ou peut-être une contravention, mais en aucun cas un crime je pense). "To criminalise" est bien le terme anglais correspondant, mais c'est un faux ami. Le texte francophone du projet de directive n'évoque d'ailleurs nul crime.
Ça n'enlève rien à vos remarques.
Rédigé par : Charles | 13 mai 2006 à 20:27
Hmmm : oui..., mais :
http://europa.eu.int/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/06/532&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en
"Contrefaçon et piratage : la Commission propose un dispositif pénal communautaire contre les atteintes à la propriété intellectuelle (...) La Commission tire ainsi les conséquences de l'arrêt de la Cour du 13 septembre 2005 dans l'affaire C-176/03 aux termes duquel les dispositions de droit pénal nécessaires à la mise en œuvre effective du droit communautaire relèvent du droit communautaire ([1]). En conséquence, la proposition de Décision cadre du Conseil visant le renforcement du cadre pénal pour la répression des atteintes à la propriété intellectuelle "
Le sujet avait été évoqué dans :
http://publiusleuropeen.typepad.com/publius/2005/12/arrt_relatif_au.html
L'initiative de la Commission s'inscrit donc , à mon avis, dans le prolongement de cet arrêt, lequel exigeait une adaptation de l'initiative IPRED pour permettre le maintien des sanctions pénales envisagées.
Je vais sans doute quand même reformuler un peu tout ça, histoire d'être explicite sur la volonté de la Commission de voir mis en oeuvre le système pénal, ce qui n'implique pas, stricto sensu, la qualification de "crime".
Rédigé par : Gus | 14 mai 2006 à 16:56
J'ai bien peur que cette tendance soit partagée par les parlementaires nationaux, comme le démontre amplement le débat autour de la transposition de la directive 2001/29 CE. La question qui se pose ici n'est pas tant celle de ce que veut "l'Europe" mais celle de ce que veulent les hommes politiques qui agissent dans le cadre européen.
Rédigé par : GroM | 15 mai 2006 à 11:00
Pourquoi cette vertueuse indignation contre un texte qui vise à rapprocher les législations pénales nationales pour sanctionner la contrefaçon?
La contrefaçon de médicaments, ce n'est pas un problème? Celle de pièces pour automobiles, ce n'est pas un problème non plus?
Les enjeux dépassent les intérêts de la communauté des logiciels libres pour concerner la santé publique et notre sécurité, et je trouve normal que dans un marché ouvert on s'en préoccupe. Où est l'intérêt de l'investisseur que l'on fait soi disant prévaloir sur celui du citoyen, dans ce cas?
Par ailleurs, je ne vois pas ce qu'il y a de scandaleux à ce qu'une création soit protégée contre le plagiat et rémunère son auteur.
Rédigé par : domaguil | 15 mai 2006 à 20:16
domaguil: Si cela peut vous rassurer, les législations nationales des états-membres de l'U.E. sont fort bien et depuis fort longtemps dotées de lois protégeant l'investisseur, l'artiste, la santé publique et la sécurité : d'ailleurs, la proposition de la Commission se base, très grossièrement, sur la législation existante d'une dizaine d'états membres qu'il s'agit en gros d'étendre aux vingt-cinq (harmonisation par le haut). C'est ici la Commission qui estime nécessaire de prendre une initiative au dela de celles déjà prises par les états membres pour "combattre le crime organisé et "protéger les économies et les gouvernements nationaux" (ce qui sous-entend peut-être qu'ils ne le faisaient pas assez bien d'eux-mêmes ? les intéressés apprécieront, la valeur de la coordination ne m'apparaissant pas ici)
Puisque JMBarroso prétend utile de limiter la production textuelle de la Commission, je présume qu'IPRED a une utilité qu'hélas, je ne parviens pas à me représenter. On pourrait, bien sûr, imaginer qu'il s'agit ainsi de construire l'europe : dans ce cas, le thème choisi m'étonne.
Enfin, le thème des brevets concerne l'ensemble des innovateurs et des créateurs d'entreprises (par exemple, en ce qui concerne les brevets sur les méthodes métier ou méthodes d'affaires) : pourtant, j'évite l'exercice de style consacré sur l'emploi, la croissance et l'emploi des jeunes en relation avec l'innovation, en me limitant à une citation de la presse camerounaise.
Rédigé par : Gus | 15 mai 2006 à 21:53
"Si cela peut vous rassurer, les législations nationales des états-membres de l'U.E. sont fort bien et depuis fort longtemps dotées de lois protégeant l'investisseur, l'artiste, la santé publique et la sécurité"
Si vous le dites...Mais je me demande d'où vous tenez cette certitude? D'une connaissance approfondie de la législation des 25 états membres en la matière?
Et, non, ça ne me rassure pas. Ce qui me rassure c'est qu'il y ait une harmonisation européenne par le haut, comme vous l'écrivez. C'est d'ailleurs cela en particulier, l'utilité du droit communautaire: harmoniser ou, si ce n'est pas possible, au moins rapprocher les législations nationales. Ce qui est une nécessité à partir du moment où la
libre circulation prévaut dans l'Union.
D'un coté on on demande des règles communes pour éviter la concurrence déloyale de certains, et de l'autre on devrait s'estimer "rassuré" par l'existence de législations nationales disparates? Il faudrait savoir. Surtout en matière de santé publique, domaine dans lequel l'incertitude n'est guère "rassurante".
"j'évite l'exercice de style consacré sur l'emploi, la croissance et l'emploi des jeunes en relation avec l'innovation"
Là non plus, je ne comprends pas: il faudrait ne pas légiférer ou s'en tenir aux règles "rassurantes" actuelles au nom de la préservation de l'emploi des "jeunes" (!!!) ? Et que faites-vous des emplois des jeunes et des mons jeunes :-), que la contrefaçon et le plagiat détruisent?
Rédigé par : domaguil | 16 mai 2006 à 14:20
Le fond de mon propos est de constater que la Commission Européenne, unique ordonnancier, acteur incontournable et seul acteur incontournable de la construction de l'Union Européenne, confronté à la question de son utilité, notamment lorsqu'il s'agit d'harmoniser par le haut, choisit, parmi les nombreux sujets pour lesquels une harmonisation par le haut de l'existant serait souhaitable, d'harmoniser les règles définissant des sanctions pénales contre les individus et les entreprises jusqu'alors en tout ou partie inconnues dans 15 états membres sur 25, suivant en cela le Conseil des ministres de l'Europe qui s'était déjà risqué à de telles initiatives avant d'être mis à mal en justice, pour des raisons que je laisse aux spécialistes le soin d'apprécier.
Bien entendu, j'estime que ce choix d'harmoniser les restrictions de liberté des citoyens de l'Union plutôt que leurs libertés ou même, rêvons, leurs ambitions ou leurs droits n'est pas neutre, surtout lorsqu'on le met en face de l'absence d'initiative par exemple, relative aux normes minimales de services en matière de santé ou d'éducation, sauf lorsqu'il s'agit, par exemple, de rendre possible l'apprentissage à 14 ans au motif de définir les règles de sécurité au travail ( http://66.249.93.104/search?q=cache:lGP03IEh3xMJ:www.eu.int/comm/employment_social/labour_law/docs/ypr_france_fr.pdf+directive+94-33+apprentissage&hl=fr&gl=fr&ct=clnk&cd=1 http://www.bossons-fute.com/Smr/jeunestravailleurs.php )
Rédigé par : Gus | 16 mai 2006 à 16:57
(Copié/collé d'un autre site et publicité annexe supprimés) --Gus
Rédigé par : Info_Europe | 17 mai 2006 à 19:27