Reculer sur l'intégration européenne à des fins stratégiques, légitimant ainsi le discours anti-UE des extrémistes, ce n'est pas acceptable.
La France est légitimement préoccupée par l’arrivée d’immigrants tunisiens par dizaines de milliers. Ces derniers ont par ailleurs toute légitimité pour tenter de réussir leur vie d’homme dans un pays plus confortable que le leur, mais les légitimités des uns et des autres sont parfois difficiles à réconcilier.
Pour autant, qu’elle réagisse en proposant de revenir sur un acquis majeur de l’intégration européenne, soit la possibilité de circuler librement entre 25 pays du continent (dont la Suisse, moins la Grande-Bretagne), ce n’est pas seulement répondre de manière disproportionnée à la question posée, c’est aussi prendre un formidable risque politique.
Depuis le référendum de 2005, l’extrême droite comme l’extrême gauche ont fait de la « délégitimisation » de l’UE l’axe majeur de leur vision du monde. Leurs arguments ne sont pas toujours strictement superposables, mais les France racornies et rétrécies dont elles rêvent l’une et l’autre se ressemblent comme deux gouttes d'eau.
Les Italiens, c’est entendu, n’ont guère joué le jeu en distribuant les documents de voyage à qui en demandait, considérant sans doute qu’il s’agissait d'un bon moyen de refiler la patate chaude au voisin. Mais peut-être pensaient-il également forcer Paris à sortir du bois au plan politique, confier la gestion du trafic ferroviaire à une brigade de CRS ne pouvant passer pour une solution pérenne.
Expérience concluante : le pays de Jean Monnet et Robert Schuman prend effectivement position, mais c’est pour mieux plonger dans le piège tendu par les démagogues dans la perspective de la présidentielle. Et si la problématique des flux migratoires selon l'Élysée passe désormais par le retour des frontières à l’intérieur de l’Union, le prochain coup de grisou financier conduira-t-il Christine Lagarde à suggérer un retour au franc ? Et la fin de la PAC en 2013 à la dissolution pure et simple de l’UE ?
L'Europe n’a pas seulement besoin d’avancer pour ne pas se casser la figure comme la bicyclette du fameux cliché : elle a surtout besoin de ne pas reculer. L’arrivée de ces Tunisiens à Lampedusa, c’est la conséquence directe des « révolutions arabes », mais c’est aussi, si l’on est d’accord pour prendre un peu de hauteur, l’expression de réalités géopolitiques plus vastes que les égoïsmes et la frilosité « n'adressent » pas.
La lepéno-mélenchonnisation anti-européenne des esprits est déjà suffisamment avancée pour qu’un président s’étant toujours inscrit dans la continuité du projet d’intégration n'en fasse pas, par stratégie pré-électorale, une option raisonnable. L’improvisation en politique, c’est déjà agaçant sur ces histoires de primes sur dividendes ou de lecture de lettres de jeunes rebelles aux écoliers ; sur les sujets sérieux, ça devient inacceptable.
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