L'essence du projet de l'Acte Unique, prolongée par la stratégie de Lisbonne, était de permettre à l'Europe de se moderniser solidairement et de concert. Cet objectif n'était pas une fin en soi : confrontée à la question sociale du chômage et notamment du manque de perspectives d'emploi qualifié pour les générations montantes, l'Europe se proposait de rentrer en phase de croissance économique forte en modernisant son économie, c'est à dire, en en identifiant les secteurs inefficaces pour ensuite les restructurer, les fonds sociaux étant ensuite mis à contribution pour en mitiger les conséquences sociales. Vous reconnaitrez à juste titre ici la stratégie pour la France des socialistes français des ères Mitterrand et Jospin (et probablement le programme du PS pour 2012, d'ailleurs).
Ce plan, pour être mené tel que proposé, c'est à dire, piloté par le haut (le calendrier des restructurations étant défini à niveau gouvernemental), nécessitait de très importantes dépenses publiques destinés à être financés par des emprunts publics à long terme et faible taux d'intérêt. Ce qui exigeait en gros la création de l'Euro, destiné à inspirer confiance aux "zinzins" : les investisseurs institutionnels (fonds de pension, gestionnaires de placements financiers sécurisés, etc). L'Allemagne, en absorbant l'économie de la RDA, avait démontré la viabilité, financière du moins, du plan.
En simplifiant un peu, disons que l'on a bien assez glosé sur les déficits publics pour publier un détail essentiel : tout euro de déficit public supplémentaire est toujours, au final, un euro de revenu supplémentaire pour quelqu'un qui cherche alors généralement à placer ce qu'il n'en consomme pas de manière sûre, pour ses vieux jours, donc, à long terme. Cet heureux homme investit alors quasi-inévitablement, par l'intermédiaire de sa banque, son assurance-vie, qu'importe, dans des emprunts d'état, ou, comme le montre les péripéties de la crise bancaire outre-Atlantique, dans des investissements garantis par des emprunts d'état, ce qui revient donc au même.
Ainsi peut-on légitimement penser avoir trouvé le système magique : l'Etat emprunte, investit ou aide à investir, et se fait financer par ceux qui in fine profitent de ses investissements, et en route vers la prospérité, motivation première du rêve Européen.
Le système, pour fonctionner, exige que lesdits gagnants aient confiance en la monnaie dans laquelle le circuit s'opère : et notamment, confiance en la stabilité à moyen-long terme (5 à 10 ans) de la valeur de la monnaie. Car, si tel n'est pas le cas, ils n'accepteront de prêter leur argent (plutôt que de le dépenser ou de l'investir ailleurs) qu'en contrepartie de taux d'intérêts trop élevés. Cette question est d'autant plus importante que, statistiquement parlant, ledit gagnant d'un euro pour chaque euro de dépense publique supplémentaire est statistiquement parlant le plus souvent un non-européen, qui regarde donc les emprunts publics européens comme un possible placement parmi d'autres, la sécurité étant un facteur souvent sur-coté dans l'esprit de l'investisseur.
Tout cela pour dire ceci : en signant des accords bilatéraux avec six de ses plus importants partenaires commerciaux, la Chine prend acte des risques importants de forte dévaluation à long terme du dollar et propose donc aux investisseurs des pays partenaires d'investir leurs liquidités en Yuans. En effet, dès lors qu'en tant que producteur de produits et de services, on accepte la monnaie de son client comme paiement, l'investissement le plus simple qu'on puisse faire est de la conserver dans un matelas, ou la placer dans une banque régie par le gouvernement de son client. Ce qui aura pour conséquence d'assécher une partie de la manne sur laquelle comptent traditionnellement les USA et l'Europe pour financer leurs grands plans économiques de restructurations ciblées, (c'est à dire, évitant soigneusement de toucher son propre électorat). C'est donc désormais, pour l'essentiel, auprès de ses propres citoyens, que l'Europe de Delors devra aller chercher le financement de sa croissance : et quelque chose me dit qu'elle aura bien plus de difficultés à le trouver lorsque les conséquences sociales de ces restructurations toucheront personnellement lesdits investisseurs eux-mêmes qu'à simple offrir un placement sûr aux épargnants de l'autre bout du monde, qui ont évidemment, dans l'immédiat du moins, tout à gagner à l'ouverture de tous les marchés.
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