Petite surprise dans ma boîte mail la semaine dernière : une invitation à rencontrer Jean-Pierre Jouyet, dans son bureau du Quai d'Orsay, dans le cadre d'une réunion avec un "cercle restreint" de blogueurs organisée par la Netscouade. J'accepte, bien évidemment. C'était donc hier après-midi, et étaient également présents Quitterie Delmas, Vincent Ducrey, Natacha et Sasha de Mémoire Vive, et mon camarade communard Jules de Diner's Room.
Le premier but de cette rencontre était de nous présenter la réunion qui se tiendra à Nantes les 10 et 11 octobre prochains dans le cadre du cycle Paroles d'Européens. Objectif : rassembler pendant deux jours dans la cité des Ducs de Bretagne 500 jeunes de 18 à 30 ans venus de toute l'Union et des pays voisins (Turquie, Russie, Ukraine...) pour plancher en 24 ateliers sur des propositions pour l'Europe de 2020. Douze projets seront retenus et proposés au comité des sages présidé par Felipe Gonzalez qui s'est vu confié une réflexion sur l'avenir de l'Europe. N'hésitez donc pas à vous inscrire (je joue mon rôle de relai web !), j'y serai moi-même le samedi 11.
La rencontre était aussi l'occasion de poser une série de questions au secrétaire d'État, pour dresser une sorte de premier bilan de la présidence française de l'Union après un peu plus de deux mois. L'un des points les plus intéressants du débat a été soulevé par Jules. Il concernait le moyen d'entraîner des débats publics européens au moment de l'adoption des directives et pas uniquement au moment de leur transcription dans les droits nationaux. L'actualité récente, de DADVSI à Edvige, a parfaitement illustré ce phénomène de décalage lié au mode même de la production législative communautaire. Jean-Pierre Jouyet a reconnu la difficulté de la tâche, précisant qu'il n'était pas toujours évident de mesurer toute la portée des directives adoptées par le Conseil. Il a rappelé le besoin de jouer avec des traditions juridiques parfois fortement divergentes d'un pays à l'autre et la difficulté à trouver un point d'équilibre entre des opinions publiques qui n'ont pas toujours des attentes similaires, comme l'a illustré la récente directive retour. Il a aussi réaffirmé le besoin de ce mécanisme d'adoption en commun laissant quelques marges de manœuvre aux autorités nationales afin d'éviter la multiplication d'accords bilatéraux, dont quelque partenaire non-européen pourrait profiter. Enfin, il lui semble que le Parlement européen corrige de plus en plus fréquemment les excès de telle ou telle directive, comme le parcours du combattant de la directive services l'a illustré ces dernières années. Dans cette optique, il a affirmé la nécessité d'inventer des mécanismes pour lier plus fortement débat public et agenda du PE, en soutenant par exemples les propositions de Gérard Onesta sur les agoras citoyennes. Tout en soulignant que le Conseil, et donc les États, étaient plus que réticents à lâcher du lest de ce côté-là.
A une de mes questions sur les moyens d'accorder efficacité diplomatique et respect des procédures décisionnelles dans le cadre de la PESC, Jean-Pierre Jouyet a dressé un véritable plaidoyer pour le Traité de Lisbonne et indiqué pour l'occasion que son adoption avant le 31 décembre 2008 restait l'objectif majeur de la présidence française. Je faisais ainsi remarquer que si l'action de la diplomatie française au nom de l'Union avait pu être efficace pour conclure à un rapide cessez-le-feu entre Russes et Géorgiens, cela avait été en partie dû au mépris des règles de décision collective du Conseil. L'accord des ministres, mis devant le fait accompli, n'était intervenu qu'après proposition et acceptation du plan par les belligérants. N'y avait-il pas dès lors des leçons à en tirer pour l'organisation de la PESC ? Le secrétaire d'État a d'abord rappelé - mais on s'en doutait - que des contacts officieux avaient eu lieu entre partenaires avant toute action de la France pour tester les opinions. Mais reconnaissait qu'un respect des règles actuelles aurait sans doute conduit à la passivité et laissé les Russes renverser Saakashvili et s'installer à Tbilissi. Il a alors rappeler la promesse du Traité de Lisbonne de la création d'un service diplomatique communautaire permanent avec ses propres moyens et d'une présidence plus stable du Conseil (car six mois, c'est le risque d'une trop courte mémoire dans la gestion de ce genre de crise de longue haleine). Un nécessaire premier pas vers plus d'efficacité diplomatique. Il prêchait un convaincu, mais c'était intéressant de l'entendre l'affirmer avec une apparente conviction.
De manière générale, son profil de "technocrate d'ouverture" et son poste plus technicien que directement politique au final, nous ont épargné les belles phrases creuses sur l'action du gouvernement. Une invitation non seulement flatteuse donc (si, quand même...), mais en plus intéressante. Et sur la route de Nantes, d'ici un mois, l'occasion de rencontrer d'autres personnalités qui seront présentes au rendez-vous. On en reparlera donc.
Il y a, à mon avis, une leçon a retenir du débat citoyen et international ayant eu lieu à l'occasion du débat sur la directive C2I. Je vais essayer de l'exposer. Mais ll faut d'abord me pardonner de revenir sans cesse sur ce sujet au seul motif que j'estime avoir été témoin de premier plan sur le dossier.
En décembre 2004, le ministre Jeannot Krecke, en charge d'une réunion du conseil sur le sujet qui avait pour objectif majeur de passer outre quelques opinions dissidentes exprimées notamment par la Pologne et le Parlement Néerlandais, a commis quelques inélégances. Il s'est même par la suite avéré que le technicien en charge de l'enregistrement de la séance s'était hélas pour une fois mélangé les crayons et n'avait pas été capable de produire l'enregistrement de la séance. Néanmoins, divers éléments objectivement appréciables, dont une position écrite et antérieure du Parlement néerlandais donnant des instructions précises au représentant des Pays-Bas au Conseil pour cette réunion, suffisait à établir l'existence desdites inélégances.
De mon point de vue, ces entorses assez flagrantes aux principes généraux des états de droit ont été d'une part le point de déclenchement d'une mobilisation inattendue sur ce dossier particulier, mais aussi, le critère qui a fait basculer l'ensemble de l'importante mobilisation existante dans une logique de contestation globale de l'Union au motif de l'accumulation d'indices de plus en plus évidents du non-respect, notamment par le Conseil et la Commission, des règles applicables. Oublie-t-on qu'un bon citoyen, lui, se plie tous les jours à des règles ? Ce débat a d'ailleurs mené à d'intéressantes et pourtant brèves discussions avec Michel Rocard, notamment à Lyon, qui s'en souvient certainement encore.
J'ai entendu deux honorables européens expliquer que "quand on est plénipotentiaires et d'accord sur le fond, les règles importent peu.". C'est ce qui a été fait à l'occasion de l'action autour de la crise géorgienne. Cette approche est certes efficace, mais alors, se pose une question : pourquoi mêler l'institution européenne à ça ? S'il s'agit juste de s'entendre entre représentants autorisés, une réunion dans un bistrot bruxellois suffit.
L'un des rôles de toute institution est de permettre aux simples citoyens d'émettre quelques objections ou de suivre le processus de prise de décision. Priver le citoyen de cette possibilité, comme cela fût fait à l'occasion de la crise géorgienne, c'est discréditer l'institution, et par voie de conséquence, la totalité de son action. Quand il s'agit d'un comité consultation local, ça a évidemment moins de conséquences que quand il s'agit de l'Union Européenne.
Bien sûr, on me répondra que la PESC exige des réponses rapides et des débats secrets. Tout en souriant, j'acquiesce. Mais dans ce cas, pourquoi faire le travail fait par la PESC à l'intérieur de l'Union s'il ne peut pas être fait dans le cadre des règles de l'Union ? On sait qu'il est difficile de faire évoluer ces règles (comme l'expose fort bien Jouyet soutenant le maire de Strasbourg). On sait qu'en passant outre, on risque une importante crise de confiance avec l'électorat en cas d'échec (a-t-on déja choisi les formes des hommages qui seront à rendre aux soldats européens qui seront tôt ou tard victimes des errements de la PESC ?). Sur ce dossier particulier, on s'attire les reproches des nations neutres et pacifistes dépossédées d'un élément fondamental de leur pacte social par la violation des règles institutionnelles dont la légitimité restait simplement d'avoir été très indirectement acceptées par ratification parlementaire. Et enfin, et ce n'est pas rien, on jette l'idée d'une Europe idéal de paix à la poubelle sans rien avoir pour le remplacer.
Du coup, le débat soulevé par Jules prend un tout autre tour : le débat public sur les directives en cours d'adoption existe. Il a notamment existe pour C2I, REACH, les directives portuaires, Bolkestein, etc. : nul ne niera ici que je contribue d'ailleurs personnellement significativement à l'animer. Avec quelles conséquences ? Je constate avec un certain amusement qu'il semble exister un lien direct de cause à effet entre la publication sur Publius de certains de mes articles et le retrait des références au site Publius chez les grands de la blogosphère francophone (au sens par exemple du classement Wikio). Cela, je vous l'assure, ne me dérange nullement : mon parti-pris est évident et telles initiatives, inscrites pour l'éternité dans Google, servent à mon avis davantage ma cause que toute autre. Mais cela pose une réelle question : existe-t-il une possibilité de débat européen en France au sens de Jules (donc, j'imagine, visible depuis son bureau parisien, commenté sur France Inter et mentionné dans Libé, le Monde, et Le Figaro) passant outre la tendance marquée d'une presse financièrement dépendante de l'institution à en défendre le point de vue quel que soit le comportement de l'institution ? Après tout, sur Sud Radio, l'une de mes radios favorites, l'Europe, et parfois certaines directives européennes, sont avec les radars, l'alcool et le sexe l'un des thèmes de débat fétiche des auditeurs. Se souvenir de la brillante campagne aux présidentielles de Jean-Pierre Mounies pour s'en convaincre.
D'où ma conclusion : le débat existe : le problème, c'est que les professionnels français de l'Europe persistent à rester à côté de ce débat, comme le témoigne la liste des contributions à Publius depuis mai 2005, voirent nient son existence.
Rédigé par : Gus | 12 septembre 2008 à 06:50
Quand je pense au nombre d'années de budget de fonctionnement d'un forum Web ouvert à tous les européens qu'on pourrait se payer avec ce genre de sauteries....
Rédigé par : Vay | 12 septembre 2008 à 11:37