Une premiere
remarque sur Lille. Il y en avait aussi
pour tout le monde: des plénières "grand public," des ateliers un peu
plus pointus ainsi que la possibilité de tailler une bavette avec les
intervenants. C'était aussi très sympathique
et j'ai pu rencontrer qques personnes dont j'avais envie de faire la
connaissance depuis longtemps.
Sur le contenu, Michel
Rocard a quand même créé un joli froid en balançant que
"l'Europe politique était morte." Ça n'a pas échappé a Marc Vasseur qui a lancé Jean-Pierre Jouyet sur le sujet. Marc trouve que "la réponse fut déconcertante de langue de bois… en gros… le
nouveau traité rend caduque le propos." Je ne partage ni le
point de vue de Rocard ni celui de Marc.
En
effet, la réponse de Jouyet était la bonne: s'il est vrai que les
"non" de 2005 ont mis en standby la construction européenne, la mise
en œuvre du traité de Lisbonne devrait donner des opportunités pour créer une
Europe plus politique, en particulier sur les questions des relations étrangères
de l'UE. L'affirmation de l'Union dans
le monde, via le poste de Haut Représentant de l'Union ainsi que via le
président permanent du Conseil européen devraient affirmer une Europe plus
politique. S'il est aussi vrai que,
comme le rappelait Rocard que la règle de "l'unanimité persiste," en
particulier pour les procédures de décisions sur les questions de la Politique
Étrangère de Sécurité Commune. (PESC).
Le contre argument est de noter que le traité de Lisbonne introduit la
fonction de Haut Représentant de l'Union sera aussi vice-président de la
Commission. Or, on a vu récemment une
montée en puissance de la Commission sur la question, en particulier lors de
rappels à l'ordre de la Russie sur les droits de l'Homme et lors de la libération
des infirmières bulgares. Du coup,
l'influence de la Commission dans les prises de position du Haut-Représentant
de l'Union devrait permettre la mise en œuvre d'une Europe politique, sur les
questions étrangères, plus affirmée. Cette
Europe politique se construit aussi via l'intégration de la Charte des Droits
Fondamentaux.
Le drame de Rocard réside dans son pessimisme pathologique. Manuel Valls le notait d'ailleurs très bien. Évoquant les élections européennes de 1994, Valls se rappelle que: "sa passion de la minorité et d'une certaine manière sa conviction que toute cette aventure était inexorablement vouée à l'échec avaient quelque chose de déroutant" (Les habits neufs de la gauche, p 21).
Une europe incapable de s'entendre sur un taux minimal d'impôt sur les sociétés parviendrait à faire de la politique étrangère ?
A moins de considérer les expéditions militaires lointaines, si populaires à l'époque coloniale, comme de la politique étrangère, j'avoue avoir du mal à concevoir comment tout cela va s'articuler avec l'ONU.
Rédigé par : Péléan | 12 mai 2008 à 20:19
Le traité de Lisbonne est aussi nul que les précédents et se contente de mesurettes là où les circonstances exigeraient des progrès significatifs. Toutefois l'Europe continue à progresser. La manière irresponsable dont s'est fait l'élargissement précipité de l'Union - en 1995 puis en 2004 - sans en contrepartie avancer sur le plan de l'Union politique, est essentiellement responsable de cette situation qui relève essentiellement de la stagnation.
Néanmoins je pense également que Rocard a tord : d'une part parce comme beaucoup il confond Europe politique et PESC. Pour moi l'Europe politique consiste beaucoup plus dans le processus de transformation de la construction européenne en une démocratie internationale, où les lois sont donc issues d'un débat politique - que quelque chose qui consisterait à évoluer vers ce vieux fantasme franco-français d'Europe puissance.
D'autre part il est erroné de raisonner à situation égale. Dans le contexte actuel - Union élargie et hétérogène, incluant des pays ne partageant pas la même vision de l'avenir de l'Union, dirigés pour la plupart par des politiciens dépourvus de vision européenne, le tout dans un cadre institutionnel verolé par un intergouvernementalisme dominateur, il est clair que l'Europe est un projet foireux dont le seul intérêt est l'acquis communautaire.
Il n'est toutefois pas exclus que la prise de conscience croissante des aspects inacceptables et inefficace du système - qui aujourd'hui se traduit par un rejet - puisse si les circonstances s'y prêtent se transformer en une force de progrès. Il est acquis aujourd'hui que le non français par exemple n'était pas pour l'essentiel un non anti-européen mais au contraire l'expression de la déception face aux échecs répétés des politiciens à faire avancer la construction européenne de manière satisfaisante.
Il ne manque à l'Europe que quelques hommes d'État clairvoyant à des postes clés pour dépasser l'impasse institutionnelle d'une Europe à 27 que l'on a pas su réformer à temps et pour imaginer d'autres solutions pour avancer.
La faute de Rocard est de se contenter de décréter le constat d'échec de l'Europe actuelle sans proposer de pistes pour sortir de l'ornière, quitte à laisser quelques uns sur le bord de la route.
Rédigé par : Valéry | 12 mai 2008 à 21:25
"Néanmoins je pense également que Rocard a tord : d'une part parce comme beaucoup il confond Europe politique et PESC. "
Je ne suis pas certain que Rocard résume l'Europe politique à la PESC, mais sur le fond, je crois que vous n'avez vraiment pas tort, Valéry.
NB: L'échec des politiciens à faire avancer l'europe s'explique aisément : pris individuellement comme collectivement, ils ont dans leur immense majorité tout à y perdre, surtout ceux des grands états. Et même une minorité coalisée ne pourra rien contre la force de la majorité de ceux qui voient surtout l'Union comme un moyen de faire progresser leur intérêt. Une fois ce constat posé, il est peut-être possible de conclure que l'éventuelle construction d'une europe fédérale est sans doute possible, mais pas dans le cadre de l'Union.
Rédigé par : Gus | 13 mai 2008 à 09:23
"Une fois ce constat posé, il est peut-être possible de conclure que l'éventuelle construction d'une europe fédérale est sans doute possible, mais pas dans le cadre de l'Union."
Sauf que ne pas tenir compte de l'Union - qui a fait les 3/4 du chemin vers l'Europe fédérale, pour espérer reconstruire quelque chose par ailleurs me semble relever d'un optimisme abusif. Je partage votre explication sur le conflit d'intérêt des politiciens de haut rang qui ne peuvent faire avancer la démocratie européenne qu'à leur détriment, toutefois cette même explication exclut une alternative constructive hors du cadre existant. C'est pourquoi réformer celui-ci est la seule solution constructive et les différents traités signés ces vingt dernières années malgré leurs sévères insuffisances, le permettent en partie.
Rédigé par : Valéry-Xavier Lentz | 14 mai 2008 à 13:50
L'Union a l'énorme défaut d'interdire aujourd'hui toute possibilité de fédération de taille plus modeste. Pire encore : la promesse implicite (et souvent survendue) de prospérité économique aux candidats à l'adhésion les fait peser dans le sens d'une Union agissant essentiellement de sorte à maximiser l'activité et le profit des entrepreneurs : ce qui, vous en conviendrez, s'éloigne d'une certaine europe politique.
Je reste convaincu qu'un pacte social, fondement de toute société se construit sur un renoncement à quelques libertés individuelles "naturelles" en contrepartie de droits, garanties, et d'un projet de société. L'Union n'est pas cela, ne l'a jamais été, et ne peut plus le devenir depuis l'Acte Unique et le rejet du projet Spinelli.
Bien entendu, rien n'interdit de rêver : mais ce n'est pas de rêves dont nous avons besoin, mais d'une refondation du pacte social : ce peut être à niveau régional, inter-régional, national, ou trans-national.
Rédigé par : Gus | 14 mai 2008 à 16:04