Paul Krugman [*] écrit aujourd'hui :
The Fed has spent the last 7 months trying to assure people that there isn’t any fire. But there is.
A l'en croire, il n'est pas illégitime de s'interroger aujourd'hui si, en niant l'existence d'une crise de solvabilité[*] du marché financier américain, la FED n'a pas grandement aggravé les conséquences d'une crise dont la probable survenue faisait l'objet d'articles remontant parfois à 2004 y compris dans la blogosphère économique française.
[*] Selon Alan Greenspan lui-même
Le 26 août 2007, commentant l'alignement immédiat (et très difficilement justifiable au vu des traités) de la Banque Centrale Européenne sur les initiatives de la FED cherchant à cacher les signes visibles de ce début d'incendie, j'écrivais :
Tout un chacun pouvait en effet penser que si le pouvoir dont disposait la BCE était à l'évidence tout à fait considérable, il était de son devoir de limiter son usage à la simple mise en oeuvre du traité de Maastricht : nous savons désormais que tel n'est pas et ne sera plus le cas.
Mettons les choses en face : la Banque Centrale Européenne, en suivant les initiatives en matière de politique financière de la FED, fait preuve d'une très grande autonomie face à la lettre des traités.
Ce faisant, elle s'expose à la critique de laisser filer les prix, alors que sa mission première est d'en assurer la stabilité. Mais enfin, on peut désormais s'interroger quand à savoir si l'actuelle crise n'aurait pas été infiniment moins grave si la Banque Centrale Européenne, plutôt que d'aligner sa politique sur celle de la Réserve Fédérale américaine qui, depuis des années, fait exactement l'inverse de ce qu'elle prétend qu'il aurait fallu faire, s'était contentée d'accomplir les missions pour lesquelles elle avait été créée.
L'avenir nous dira certainement où cette crise du système financier américain nous mènera. Car, après tout, nombreux sont les commentateurs à penser de fort longue date qu'au vu de l'ampleur des mouvements en cours, rien qui ne puisse être fait au niveau des banques centrales n'aurait pu y changer quoi que ce soit, hormis peut-être, retarder de quelques mois l'échéance, au prix, comme l'explique le raisonnement de Krugman, de l'aggravation des conséquences.
Quelques remarques :
+ Je doute que l'injection de liquidité de la part des banques centrales (américaines comme européennes) provoque de l'inflation. Nous sommes bien d'accord que l'augmentation de la masse monétaire provoque de la hausse des prix si elle est décorrelée du niveau de croissance de la zone (cf un de vos billets précédents). Néanmoins ici on n'a pas de "vraie" augmentation de la masse monétaire : les prêts consentis par les banques centrales ont une maturité à faible échéance (c'est-à-dire qu'ils courent sur peu de temps, entre 30 et 60 jours). L'injection est donc temporaire.
+ n'oublions le risque mis en balance avec ces injections : le risque de "credit crunch", au sein duquel les banques, à court complet de liquidité, ne prêtent plus, ni aux autres banques, ni aux autres acteurs de l'économie (via des re-serrement forts des conditions de crédits). Et dans ce cas, l'ensemble des économistes vous dira que les conséquences sur l'économie réelle sont terribles : forte diminution de l'investissement, donc la croissance et contagion évidente à l'ensemble des revenus des taux d'emplois des pays concernés : on parle bien d'une crise économique majeure ici, et non "simplement" financière.
+ votre dernier paragraphe soulève un certain nombre de points intéressants :
1/ l'injection de liquidité est-elle la solution ? A mon avis, à long terme, effectivement non. Mais elle permet d'éviter les défaillances majeures actuelles.
2/ la FED est-elle allée trop loin ? Probablement. Porter secours aux banques de premier rang, et constituer le "prêteur de dernier recours" fait clairement partie de ses attributions. Permettre aux banques d'investissement de disposer des facilités de liquidité normalement réservés aux banques de crédit, sans en exiger contrepartie un contrôle des pratiques de ces acteurs, transformant la FED en "prêteur de premier recours" me semble effectivement dangereux.
3/ La BCE est-elle allée trop loin ? Nous avons déjà eu ce débat : maintenir la stabilité du système financier, pour moi, fait partie de ses attributions. Par ailleurs, elle n'a jamais été aussi loin que la FED. Enfin, les enjeux de la crise me semble imposer un tel niveau de réaction.
Cette crise doit de toute façon donner lieu à une remise à plat des pratiques de la finance. Parmi les éléments qu'on devra remettre en question :
+ la gestion des taux d'intérêts par les banques centrales, et notamment la FED. Il est effectivement connu que c'est dans la résolution d'une crise financière qu'on créé les fondements de la suivante. La faiblesse des taux aux É-U à l'issue de la bulle internet est directement responsable de la bulle immobilière et partant des subprimes. Et la FED est en train de reproduire le problème : qu'il s'agisse d'un problème de liquidité ou de solvabilité, ce n'est dans tous les cas pas un problème de taux, dont les baisses n'ont apportés aucune amélioration autre que psychologique pour les acteurs financiers.
+ l'opacité de la titrisation : en transférant les prêts à des tiers, les banques ont allégé leur bilan des risques, mais donné lieu à la création de produits financiers complexes sur lesquels personne ne pouvant attribuer un risque.
+ les agences de notation, que l'opacité des CDOs et autres RMBSs (les produits financiers de mon paragraphe précédents) n'a pas empêché de noter comme "extrêmement sûrs" ces produits.
+ la structure des prêts utilisés par les acteurs bancaires pour se financer : en recourrant à des emprunts à courte maturité pour financer des investissements long terme, ils prennent des risques inconsidérés sur le renouvèlement de ces prêts à chaque échéance. Dans le cas contraire (contraction du marché interbancaire), c'est la crise. D'où d'ailleurs les injections de liquidité des banques centrales.
Conclusion, après ce commentaire plus long que je ne l'avais prévu : le système doit être corrigé. Mais pas par la violence. N'exigeons pas des têtes pour assoiffer des pulsions de vengeance.
Rédigé par : Julien | 21 mars 2008 à 11:15
Je ne sais pas s'il est cohérent pour les européens, après avoir suivi Greenspan plutôt que Volcker, de trahir Greenspan au profit de Volcker. Mais la plupart de ceux, majoritaires, qui ne vivront certainement pas leurs vieux jours d'une simple pension de retraite par répartition devra se faire sa propre opinions sur cette question, et voter avec son épargne à défaut de pouvoir s'exprimer dans les urnes. Mon sous-entendu est ici clair : l'épargnant choisira la monnaie dont la gestion sera la plus conforme à son intérêt à trente ans : or, la seule garantie plausible à trente ans est une garantie juridique.
Sinon, sauf erreur de ma part (je n'ai pas vérifié), la création d'un grand marché (libéralisé, donc) des services bancaires figurait dans le traité de Rome. Difficile, cinquante ans après, de revenir là-dessus, en Europe du moins, surtout dans le cadre de la ratification d'un traité tel Lisbonne appelé à durer encore quelque temps.
Rédigé par : Gus | 21 mars 2008 à 12:21