Sébastien de "ça réagit" se fend d'un billet
sur le Traité de Lisbonne. Il revient sur la construction de l'UE, ce
modèle libéral qui tente avec son marché intérieur de pousser un modèle
d'économie sociale de marché. Après son rapide historique et son rapide
inventaire des avancées, il en vient au débat.
C'est
bien le problème. Le débat, ce n'est pas les avancées du texte, mais
uniquement son mode de ratification. J'en veux beaucoup à Sébastien
d'intégrer de suite l'idée que "de toutes façons le fond est trop
complexe pour qu'on en parle". Le fond n'est pas complexe. Qui sait
lire la Constitution Française sait lire un traité des Communautés
Européennes (attention, je ne parle pas du traité sur l'Union
Européenne, qui comporte toutes les politiques prévues dans les 3
piliers, mais bien du traité sur les dispositions institutionnelles).
Alors
certes, les parties 1 et 2 du TCE étaient plus faciles à lire. Mais
bon, on n'est pas là pour parler de ça. Le problème du débat actuel en
France sur l'adoption du traité est profond et trouve ses racines dans
les ruines du Mur de Berlin (approximativement). Je vais essayer de
faire court.
En 1986, l'Acte Unique européen
décide de l'achèvement du marché intérieur: l'objectif est double,
d'abord achever un objectif posé dès 1957, pour ensuite commencer une
intégration politique; Avec l'euro, et avec une démocratisation de
l'Europe, timidement amorcée avec l'élection au suffrage universel des
députés européens en 1979. Le problème c'est que cette volonté de
démocratisation va être mise en branle en plein bouleversement
international, en plein changement de paradigme des citoyens de
l'Europe entière, et en plein chamboulement de l'organisation de l'UE
conséquente.
Entre 1989 et 1995, l'Europe se
tape la fin de son alter-ego de l'ombre, le Bloc Communiste de l'est.
Elle se prend aussi en pleine face l'instabilité à ses frontières, les
guerres d'indépendance de la Slovénie, de la Croatie, et de la Bosnie.
Elle doit gérer les difficultés financières de l'Allemagne, qui
accueille dans un élargissement qui n'en est pas un la RDA en 1990,
alors qu'on prépare l'euro. Elle doit préparer un élargissement à des
pays pauvres, qui vont immaquablement bouleverser le quotidien des 15
"riches".
Ainsi, tandis que l'UE s'apprêtait à
organiser doucement une démocratisation pour en finir avec "l'ambiguïté
constructive" qui a fait son succès sans les peuples jusqu'alors, elle
se retrouve face à la fin du consensus permissif:
les citoyens demandent une démocratisation, et comme tout ce qui relève
de l'expression des citoyens, ils demandent à ce que cette
démocratisation soit rapide.
Plus facile à dire
qu'à faire, d'autant que les hommes politiques nationaux ne sont pas
toujours à la hauteur de la tâche pour expliquer les enjeux et
politiques de l'UE à leurs concitoyens. La Convention sur l'Avenir de
l'Europe présidée par VGE n'est convoquée qu'en 1999, pour réfléchir,
en partie, à des solutions à ce déficit démocratique ainsi provoqué.
La
chose à retenir, c'est que l'UE n'y peut que mais des revendications de
démocratie des citoyens. Elle pensait pouvoir, à l'image des
etats-nation du printemps des peuples, profiter d'une période de longue
transition, pour construire sa démocratie européenne, avec son espace
public européen. Hélas, la Chute du Mur a rendu complexe la question de
l'identité et des frontières de l'Europe. Elle a rouvert le débat des
élargissements, qui semblent sans fin. Et les citoyens ont du mal à
comprendre le subtil équilibre entre élargissement, et
approfondissement.
De même qu'ils ont du mal à
comprendre l'esprit qui anime cette construction. C'est un peu
Hibernatus en somme. Le monde et les institutions Européennes ont
évolué depuis 1957. Et un beau jour de 1992, les Européens se sont
réveillés, et ont paniqué en voyant ce monde qui ne ressemble en rien à
une démocratie représentative nationale. Est venu donc le temps de la
méfiance, envers une UE qui a besoin de l'OTAN pour régler les guerres
des Balkans. Méfiance envers une UE qui un ennemi à ses portes (URSS,
crise des euromissiles). Cet ennemi tyrannique et communiste perdu, les
citoyens ont oublié que le libéralisme est politique avant d'être
libéral, et n'ont désormais que méfiance envers une construction qui
leur semble "libérale", et rien d'autre.
Et
aujourd'hui, alors que le Traité de Lisbonne propose des mécanismes
institutionnels pour sortir de ce cercle vicieux (plus de pouvoirs aux
parlements nationaux, généralisation de la co-décision, simplification
de la prise de décision, institutionnalisation du Conseil Européen),
nos braves nonistes dénonçant le manque de démocratie en Europe,
dénonçant ce complot des élites, se figure qu'avec un référendum
national en France (et un référendum pour dire non, qui plus est), on
pourrait restaurer la démocratie en Europe.
Simplisme, quand tu nous tiens...
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