Jeudi, Le Figaro posait la question suivante à ses lecteurs : Redoutez-vous l'élargissement de l'espace Schengen aux anciens pays de l'Est ? Réponse : oui à 70%, non à 30%. Est-ce une spécificité du lectorat du Figaro, a priori plus à droite que la moyenne des Français ? Le Monde posait une question assez similaire le même jour : L'entrée des pays d'Europe de l'Est dans l'espace Schengen de libre circulation des personnes sans contrôle aux frontières, comme les autres pays de l'UE, vous paraît-elle une décision opportune ou prématurée ? Réponse : prématurée à 56% et opportune à 33%. Ces sondages n'ont rien de scientifiques, mais avec 4437 votants pour le premier et 11018 pour le second, ils sont sans doute représentatifs, dans leurs tendances, de craintes plus ou moins diffuses face à la réalité géographique de l'Europe actuelle. Les lecteurs du Figaro, qui ont la possibilité de laisser des commentaires pour expliquer leur vote, parlent d'exode, de misère, de criminalité. Point de vue de droite, sans doute. Mais on imagine sans mal les lecteurs d'un journal de gauche évoquer la concurrence, le dumping social et les délocalisations.
Juste un point de vue de noniste souverainiste ? Jean-Louis Bourlanges, dans un récent entretien publié par Le Monde au cours duquel il expliquait les raisons de l'abandon de son mandat de député européen, citait entre autres "un élargissement bâclé". La dialectique élargissement vs approfondissement qui irrigue une large partie du mouvement pro-européen français, notamment dans sa dimension démo-chrétienne (et qui m'a toujours horripilé), a conduit bon nombre de militants de la construction européenne à s'enfermer dans une nostalgie stérile d'une Europe carolingienne idéalisée ne leur permettant plus, ni de peser sur le cours idéologique de l'unification du continent (faute de comprendre les ressorts d'une évolution impliquée par le contexte géopolitique post-guerre froide) ni de s'apercevoir que l'élargissement mené à bien était en soi un succès de la construction européenne, bien plus que l'édification d'une improbable structure fédérale ne l'aurait jamais été. En se trompant de discours, de combat, ils ont fini par handicaper la France dans sa stratégie d'influence et de défense de son modèle. Cela a sans doute contribué au moins autant que la volonté blairiste d'envoyer des Britanniques en nombre dans les instances communautaires à l'évolution idéologique de la construction européenne ces dix dernières années.
Versac comparait le discours de Bourlanges à celui de Rocard. Il y a des éléments communs, notamment dans la volonté de porter un regard lucide sur l'état de l'Europe et dans une certaine mélancolie face aux rêves fédéralistes, mais il manque chez Bourlanges l'essentiel de ce qui fait le discours européen actuel de Rocard : l'accent mis sur les enjeux pour lesquels une action politique au niveau européen est importante. L'UE a aujourd'hui, par sa taille, la dimension nécessaire pour peser, par son cadre juridique, sur le cours du monde en matière économique. Avec le Traité de Libsonne, qui communautarise en partie la JAI, et avec les enjeux, notamment énergétiques, des relations de voisinage/élargissement avec la Russie ou la Turquie, il y a en plus la possibilité d'ajouter aux politiques de concurrence ou environnementales de nouvelles dimensions permettant aux Etats européens de renforcer leur vivre-ensemble. Le problème, c'est que ces éléments essentiels du futur proche de l'Europe ne sont pas du tout au centre du débat européen en France - et ceci n'est pas dû aux seuls adversaires de l'UE telle qu'elle est.
Comment s'étonner, dès lors, qu'une majorité de sondés ne perçoivent l'extension de l'espace Schengen que sous l'aspect de menaces quand les clercs entretiennent continuellement la nostalgie d'une petite Europe où l'on se sentait chez soi depuis quinze ans. On peut certes s'en prendre, une nouvelle fois, aux nonistes / nationalistes / souverainistes / débiles qui n'ont rien compris à rien, mais sur le coup, ils ne me semblent pas les seuls.
Faut-il avoir grandi à quelques kilomètres du rideau de fer pour éprouver une joie intense, une émotion immense et un élan fantastique pour notre UE et le chemin parcouru ? Quelle déception de voir si peu de réactions officielles et si peu d'enthousiasme en France pour un évènement symbolisant à la perfection la raison d'être de notre UE.
Les français ont pris du temps pour admettre la cruauté des régimes au delà du rideau de fer, ils semblent encore plus lents à comprendre qu'au delà de la valeur symbolique de cette ouverture vers l'Est s'y trouvent des gens qui ont manqué pendant des décennies pas seulement de liberté, mais aussi des plus élémentaires produits de nécessité et de ce fait seront des nouveaux piliers de défense d'une Europe démocratique, économique et sécuritaire.
J'ai deux nationalités, aujourd'hui je me sens moins française qu'autrichienne sachant estimer à leur juste valeur des évènements aussi historiques.
Rédigé par : vienne | 23 décembre 2007 à 17:32
vienne, je voudrais modérer ton propos.
Je suis aussi un européen convaincu, mais celle qui nous est imposée ne me convient pas.
De même, la Pologne (entre autres), prête à se jeter dans les bras des USA, me fait penser que les pays de l'ex URSS ne considèrent l'Europe que comme une étape vers une autre organisation politique.
J'espère juste me tromper.
Rédigé par : Aetius | 25 décembre 2007 à 23:08
vienne, je voudrais modérer ton propos.
Je suis aussi un européen convaincu, mais celle qui nous est imposée ne me convient pas.
De même, la Pologne (entre autres), prête à se jeter dans les bras des USA, me fait penser que les pays de l'ex URSS ne considèrent l'Europe que comme une étape vers une autre organisation politique.
J'espère juste me tromper.
Rédigé par : Aetius | 25 décembre 2007 à 23:09
vienne, je voudrais modérer ton propos.
Je suis aussi un européen convaincu, mais celle qui nous est imposée ne me convient pas.
De même, la Pologne (entre autres), prête à se jeter dans les bras des USA, me fait penser que les pays de l'ex URSS ne considèrent l'Europe que comme une étape vers une autre organisation politique.
J'espère juste me tromper.
Rédigé par : Aetius | 25 décembre 2007 à 23:09
"Mais on imagine sans mal les lecteurs d'un journal de gauche évoquer la concurrence, le dumping social et les délocalisations."
Chiche : il faut essayer justemment d'en trouver : les nommer, et conclure.
Rédigé par : Gus | 27 décembre 2007 à 07:58
J'ai vu un truc identique sur la liste de discussion d'une section du Parti socialiste. En réponse à un mail sur l'intégration de 10 nouveaux États européens à la "zone Schengen" titré : "La liberté de circulation en Europe avance ! ", un message m'a bien halluciné :
"C'est peut être bien pour les touristes, ca l'est surement moins pour l'emploi et les salaires de mes concitoyens"
Bref de la pure xénophobie stupide dans le style "ces étrangers qui nous volent notre travail".
Et ouais... on peut être con et (croire être) de gauche.
Rédigé par : Laurent | 30 décembre 2007 à 19:58
Laurent: c'est d'autant plus stupide que les restrictions à la liberté de travailler et d'entreprendre en France sont de pures créations règlementaires et juridiques françaises. Autrement dit, rien que la construction européenne ne puisse changer, hormis, bien entendu, par transfert de compétence par les traités, dont il ne saurait évidemment être question avant la fin de vie de Lisbonne (au moins 2019 à vue de nez).
Rédigé par : Gus | 30 décembre 2007 à 22:02