C'est en lisant quelques récents commentaires, et en constatant par ailleurs à quel point certains propos pourtant rédigés pour en provoquer n'en attiraient plus que m'est venue à l'esprit l'idée selon laquelle répéter ce qui a déjà été écrit, débattu et argumenté sur Publius n'a plus guère de sens, ici du moins. Même lorsqu'il ne s'agit que de mes propres opinions, raisonnements et analyses.
Pour cette raison, je me risque ici à infléchir au moins provisoirement la ligne éditoriale de facto imposée par la quasi-unanimité des contributeurs récents à Publius ; à réfléchir à voix haute à l'avenir de la construction européenne au sens citoyen (certains diront sans doute démagogique, voire anti-démocratique) du terme dans le cadre du traité de Lisbonne que nos représentants prendront l'initiative de nous imposer pour notre bien, bien que le passé démontre que leur capacité des traités internationaux reste souvent très inférieure à celle de ceux qu'ils représentent. Donc, même si cette délicate sensation de gravier sur nos muqueuses nous en coûte, rallions-nous, toute honte bue, à l'opinion exprimée de Pervenche Bérès et concentrons-nous sur la question des politiques de l'Union, ou plutôt, sur la manière de les infléchir. Pour le reste, comptons sur le caractère à la fois prévisible et inéluctable des conséquences prédictibles du Lisbonne pour infliger aux défenseurs de cette construction européenne menée par les juristes et les experts les leçons de leur aveuglement.
Je postule inutile de davantage exposer l'opinion mienne selon laquelle la politique de l'Union est la politique de la Commission, c'est à dire, l'oeuvre des fonctionnaires européens, à peine cadrée par le Conseil et vaguement commentée par le Parlement Européen. Je postule tout aussi inutile d'expliquer pourquoi et comment cette politique se résume à la vulgate libérale, c'est à dire, la transposition imparfaite et tronquée et par-là même erronée des grands principes de l'école néo-classique de cette discipline scientifique éminement respectable qu'est l'économie : ce qu'un petit dessin résumera mieux qu'un long discours : de la science mise en oeuvre par d'ignares technocrates enflés de certitudes, de l'ingénierie sociale confiée à des linguistes, et une simple citation d'Adam Smith en guise d'excuse pour l'élévation au rang de poursuite du bien public de la défense des intérêts particuliers en vogue du moment.
Si le rôle approximativement consultatif du Parlement ne suffisait pas à protéger la Commission d'éventuelles initiatives parlementaires éventuellement imaginables avec Lisbonne (selon les défenseurs du traité du moins), noter la présence d'un formidable relais de la vulgate libérale au sein du Parlement Européen : le groupe ALDE (représenté en France par l'UDF), globalement libéral, regroupant un large éventail allant de faux socio-démocrates à d'authentiques libéraux conservateurs, ainsi que des hommes et femmes de paille de Business Europe (le MEDEF européen) mystérieusement présents en position éligibles sur les listes des petits partis nationaux fédérés par l'ALDE dont le seul et considérable poids électoral interdit de facto la constitution de majorités suffisantes pour contredire la Commission Européenne, sauf dans certains cas très particuliers dans lesquels la Commission interprète parfois de travers son propre catéchisme. De surcroit, la Commission dispose parfois du soutien indirect, mais efficace, des communistes qui, en bons héritiers de la doctrine marxiste, estiment que le meilleur moyen d'avancer vers un avenir radieux consiste à laisser les capitalistes avancer d'eux-mêmes vers leur propre fin et pratiquent de ce fait régulièrement à la politique du pire. Laquelle, hélas, s'oppose à toutes les intiatives progressives et constructives qui, je présume, seront les seules à vous intéresser !!! Enfin, le PSE (Parti Socialiste Européen), qui persiste à adopter une grille de lecture idéologique (par opposition à raisonnée ou, rêvons, scientifique), le plus souvent directement inspirée du catéchisme socio-démocrate, des affaires européennes, se montre souvent particulièrement perméable aux argumentaires délibérement spécieux rédigés à leur attention par les lobbies bruxellois : mais bon, on sait bien qu'en pays socialiste, l'envie tient souvent lieu de compétence et par là-même de limite à tout capacité d'esprit critique. D'où la sensibilité naturelle du PSE aux discours des lobbies (associations partisanes citoyennes incluses), habilement cultivée par ceux issus des meilleurs milieux pour lesquels le socialisme n'est qu'un libéralisme parmi d'autres, s'arrêtant là où démarre son intérêt particulier (libéralisme pour les ouvriers, régulation d'état pour mon activité économique à moi).
Mais, et je tiens à le répéter, ceci est sans importance, puisque le rôle du Parlement Européen se résume, globalement, à commenter et surtout, donner la légitimité d'une validation démocratique au travail de la Commission et, dans certains cas, fort rares (4 depuis la création du Parlement) la censurer. Autant dire que parler des politiques de l'Union avec le Parlement Européen est encore moins productif que de parler avec votre député de la politique du gouvernement. Autrement dit, avec ou sans Lisbonne, le Parlement Européen, impuissant, joue face aux travaux de la Commission Européenne le même rôle que celui dont dispose le peuple face à la construction européenne : il peut valider, voire, éventuellement commenter, de préférence, favorablement, voire même, enrichir, mais en aucun cas s'opposer.
Autrement dit, avec ou sans Lisbonne, le Parlement Européen n'est que la caution démocratique de la politique des fonctionnaires de la Commission Européenne. D'où le risque de se révéler contre-productif à trop s'investir en politique aux élections européennes, en risquant au mieux d'être écouté, au pire, récupéré. D'où ma conclusion : aller dire au printemps qu'il revienne, c'est avant tout ne pas se compromettre en se montrant aux côtés de la fée hiver et ce faisant, laisser penser qu'on cautionne, ne serait-ce que silencieusement, la vulgate libérale érigée en idéal de société.
Ceci n'interdit nullement de travailler avec les parlementaires européens. Nombre d'entre eux sont de vrais grands naïfs, surtout les plus accessibles d'entre eux. De vieux renards désabusés mais prompts à s'enflammer à nouveau y siègent. Il ne faut pas hésiter à s'adresser aux députés étrangers, et surtout, aux députés des jeunes nations, celles qui sont encore en train de faire les finitions de leurs jeunes démocraties : quoi qu'ils en disent, ils (et souvent, elles !) sont flattées qu'on vienne parfois de loin solliciter audience. Et, à la guerre comme à la guerre, il faut savoir ne refuser le débat avec personne. Y compris ceux élus par les défenseurs d'opinions violemment opposées aux nôtres. Il faut à ce sujet noter que les élus des partis extrémistes sont souvent de grands démocrates : seraient-ils députés s'ils ne croyaient pas en la démocratie pour faire progresser leurs idéaux, si nauséabonds soient-ils ?
Mais tout ceci n'est pas grand chose : vous l'aurez compris : la construction européenne, quel que soit le sens qu'on donne à ce terme, se fait à et par la Commission Européenne. Ou plus exactement, par une liaison souvent plus ténue qu'on ne l'imagine entre la Commission et les ministres du Conseil.
La Commission, très expérimentée en la matière, excelle à n'informer que très imparfaitement les ministres du Conseil lesquels n'informent qu'encore plus imparfaitement leurs parlements nationaux. C'est sans doute au coeur de cette hypocrisie soigneusement entretenue par une communication lénifiante et millimétrée que se situent les principales faiblesses dont les citoyens européens, même faiblement organisés, peuvent s'emparer pour infléchir bien plus efficacement que par les voies démocratiques le travail de la Commission.
Avec Lisbonne et la Présidence stable du Conseil, de probables conflits idéologiques, tactiques ou d'intérêt entre la Commission et le Conseil sont à prévoir. N'imaginez pas une seule seconde que les services de la Commission anticiperont cela : leurs fonctionnaires ont, c'est vrai, les meilleurs diplômes des meilleures écoles, et, pour cette raison, vivent dans un univers tout à fait imaginaire qu'ils s'évertuent à régenter, ayant fini par croire eux-mêmes à la fable qu'ils font profession de conter. Le culte du papier, l'usage très approximatif de l'informatique ou le recours à des communicants approximatifs mais bien en vue en ont piégé plus d'un plus d'une fois sans que les méthodes de travail évoluent en quoi que ce soit. Par contre, les représentations nationales au Conseil sont modestes, imprégnées de la culture du secret, de l'oral, de la loyauté et du contact des affaires étrangères de leurs pays respectifs (surtout la France et les ex-membres du bloc de l'Est), et n'ont qu'une estime très limitée pour les fonctionnaires européens et leurs mémos.
Je n'ai pas été complet avec mon tour d'horizon involontaire du Parlement Européen tout à l'heure : j'ai oublié de parler des conservateurs du PPE : ceux-ci, par nature, sont particulièrement fidèles.... aux directives politiques émises par le parti national dont ils sont issus. Ils ne perçoivent donc l'Europe que comme un porte-voix de l'opinion exprimée dans l'arène politique intérieure de leurs leaders. Aussi, lorsqu'ils sont dans la majorité gouvernementale du moment, on peut les considérer comme de simples auxilliaires des ministres du Conseil. Dans le cas contraire, leurs opinions souvent tranchées ne sont pas nécessairement prévisibles, mais invariablement arrêtées, surtout lorsqu'un lobbyiste bien inspiré a pu souffler l'existence d'un argument de nature morale sur un dossier (avec un peu d'imagination, on y arrive toujours, même sur le commerce des bananes : les Verts se chargent généralement de trouver une dimension morale à toute question fort bien et s'attirent donc sans réelle difficulté l'hostilité des conservateurs très précisément pour cette raison).
Je tire donc ma première conclusion : aller dire au printemps qu'il vienne, dans le cadre prochain des avancées promises par le traité de Lisbonne, et dans le cadre de l'actuelle situation, c'est militer, au sein d'associations foncièrement européennes, aux côtés des députés conservateurs de votre pays et en servant bénévolement d'expert intègre et loyal pour les fonctionnaires nationaux attachés au service des ministres du Conseil, et compter sur la capacité de coordination de l'association internationale à laquelle vous adhérer (la choisir en fonction de cela) pour parvenir à construire les blocs majoritaires qualifiés au Conseil et démolir préventivement l'action des lobbies sur la Commission et le Parlement Européen. Notons bien que je n'invite nullement à voter pour les conservateurs aux prochaines européennes : leur base électorale est bien assez solide pour garantir une représentation suffisamment significative au P.E. grâce aux scrutins de liste, toujours bien assez significative pour limiter la très faible capacité de nuisance des lobbyistes élus de l'ALDE et du PSE et surtout, interdire de trop évidentes alliances d'intérêt entre cette frange du Parlement et les fonctionnaires de la Commission.
Excellente descriptionn des coulisses de Bruxelles tels que je les connais... Otez-moi d'un doute, vous êtes à Bruxelles ?
Ceci dit, vous décrivez "Bruxelles" comme si la majorité PPE/ALDE était inamovible...
D'autres majorités sont possibles après 2009, ou plus tard...
On peut aussi décrire "Lisbonne" le jour où une autre majorité se dégage... Autre majorité qui aurait le pouvoir de valider ou non la commission, son travail, ses propositions... voire s'opposer à la nomination de l'un ou l'autre. On se rappelle tous l'épisode Butiglonne proposé par Berlusconi, refusé par la commission à cause de ses déclarations homophobes et remplacé au commissariat à la justice par Frattini...
Quitte à s'attirer l'hostilité des conservateurs...
Rédigé par : club-cordelier | 28 novembre 2007 à 22:17
Le printemps, il finit toujours par venir, pas besoin de lui dire...
Mais il est tellement fugace...
Parfois, il vaut mieux ne pas le laisser passer...
Rédigé par : club-cordelier | 28 novembre 2007 à 22:38
Comme je l'écris, ALDE fournit le peu de soutien dont la Commission trouve l'usage pour rendre le P.E. impuissant face à ce que je nomme la "vulgate libérale". ALDE, par l'étiquette "libérale" dispose également d'une base électorale solide, et d'excellents appuis en Europe du Nord et de l'Est. D'ailleurs, nombre de jeunes ténors de l'ALDE sont de futurs ou d'ex-consultants contractualisés par les meilleurs lobbies bruxellois, ayant pour la plupart honnêtement gagné leur siège au P.E. ce qui n'est pas le cas des sous-marins du patronat européen (le scrutin de liste favorisant le commerce de places éligibles).
Bâtir une majorité susceptible de s'opposer à la Commission est presque inimaginable.
En l'état des actuels groupes, seul le PPE a la discipline de vote susceptible de le permettre : c'est d'ailleurs à mon avis ce que font les rares alliés objectifs de Sarkozy (ou peut-être devrais-je plutôt parler d'ex-alliés vu la capacité à irriter de notre Pdt) au Conseil : ceci incluant notamment la Chancelière allemande : tisser des liens entre Conseil et un groupe discipliné au Parlement Européen pour rabattre le caquet des jeunes sots de la Commission avec le soutien d'une Présidence du Conseil forte. Si vous voyez Rasmussen se profiler comme premier président, pariez que c'est cela qui se passera. Et alors une inflexion nationalo-conservatrice de la politique de la Commission sera imaginable.
On reproche souvent au PS français de ne pas avoir clarifié sa ligne idéologique : c'est oublier que, factuellement, le PSE ressemble davantage à un ramassis d'arrivistes cyniques et amoraux qu'aux porteurs d'un projet de société. Et j'imagine mal les Verts et la gauche franche comprendre d'ici 2009 que le recours au moralisme idéaliste au P.E. est contre-productif de par l'hostilité qu'il génèrera chez les conservateurs.
Donc, si on parle d'inflexion, je n'imagine guère comme inflexion qu'une inflexion conservatrice : dans laquelle, à mon avis, la France de Sarkozy s'intègrera sans trop de peine et d'ailleurs ralliera certainement le courant SPA du PS (Socialisme, Patriotisme et Autorité). En Espagne, au Portugal ou à l'Est, les choses sont plus ouvertes : essentiellement parce que la décentralisation y est allée très loin. Mais ces nations ont encore la modestie de ne pas trop vouloir peser face aux fondateurs : ceci n'aura qu'un temps et si une surprise apparait, elle ne peut guère, en pratique, que venir de là.
Du point de vue disons ver, il y a certainement quelque chose à jouer avec les nationalistes catalans, qui n'ont toujours pas très bien compris qui a tué "l'Europe des régions" qui leur plaisait temps et qui sera certainement le nouveau cheval de bataille de Stoiber en Bavière. J'imagine aussi que les premières grandes manoeuvres du Conseil favoriseront trop honteusement les grands pays (voir les débats de marchands de tapis sur Galileo et le désastre Airbus), poussant les petits pays à soutenir à nouveau "l'Europe des Régions".
Rédigé par : Gus | 28 novembre 2007 à 22:41
Il me vient alors à l'esprit que ce que proposait Pevenche Bérès sur LCP était à interpréter comme un alignement des pratiques plutôt disciplinées du PSE sur celles du PPE, dans l'optique d'une éventuelle influence au conseil. C'est à mon avis oublier que le PSE est à peine moins infiltré de lobbyistes élus qu'ALDE
Rédigé par : Gus | 29 novembre 2007 à 08:09
Curieux, ce que vous décrivez au fond du fonctionnement de l'Europe , je n'avais pas besoin de vous lire, pour le savoir. Il m'a suffit un temps de lire le trés bon livre docummenté de "Europe Inc", de l'observatoire de l'Europe industrielle, lu en 2001.
Rédigé par : dg | 29 novembre 2007 à 21:41
Rien n'a effectivement changé depuis 2001. Ni même, au fond, depuis Maastricht/Amsterdam. Le TCE n'aurait d'ailleurs rien changé de bien significatif.
Pour être honnête, Barroso a fait nettement infléchir les pratiques de la Commission dans le bon sens. Ce qui explique l'étendue innattendue de ses soutiens au P.E. Mais je ne suis pas certain que les évolutions qu'il aura initiées survivent à son départ.
L'Union dans laquelle nous vivons est celle conçue par Delors en 1986 : des institutions dans lesquelles la démocratie se limite à permettre aux citoyens voter pour des listes (donc, des partis) qui ensuite élisent un président de l'exécutif, lequel a énormément de marge d'appréciation sur la manière de conduire les affaires.
C'est pour cette raison qu'on peut en étant à peine réducteur souligner que tout ce que l'Union a de haïssable pour des gens de gauche est l'oeuvre de Prodi, (un peu aidé il est vrai par Lamy et Cox).
Cette europe "unijambiste" dont Delors est si fier a aussi été sérieusement affaiblie par les coups de boutoir des états-membres dont les parlements, qui ne sont pas aussi traditionnellement godillots qu'en France, voient dans le pouvoir de l'exécutif européen une atteinte nette à leurs mandats : il existe en effet dans l'Union des états-membres dans lesquels les députés prennent leur mandat au sérieux desquels nous pourrions d'ailleurs nous inspirer. L'air de rien, le travail de sape paie toujours, à la longue : mais hélas, deux conséquences : la première est que dans ces pays nul ne s'offusque qu'un député européen instrumentalise son mandat (puisqu'il n'a aucun pouvoir et doit contrebalancer le pouvoir de la Commission : il agit donc en résistant). la seconde est que l'affaiblissement global de l'institution européenne facilite le travail des lobbies.
Rédigé par : Gus | 30 novembre 2007 à 08:20