Les Vingt-Sept sont donc tombés d'accord pour convoquer une conférence intergouvernementale (CIG) qui doit s'ouvrir en juillet, sous présidence portugaise, et se conclure avant la fin de l'année. L'objectif étant que le nouveau traité puisse être ratifié avant les élections européennes de juin 2009. Mais quel est exactement le contenu de l'accord, et du nouveau traité qui devrait en découler ?
Pour le savoir, on peut se reporter aux conclusions de la présidence (pdf) disponibles sur le site du Conseil. La partie intéressante (projet de mandat pour la CIG) se trouve page 16 et suivantes.
Le traité qui devra être rédigé au cours de la CIG est dénommé "traité modificatif". Contrairement à ce qui était prévu avec le TECE, il ne s'agit donc plus de substituer un texte unique aux traités déjà existants. Le nouveau traité viendra amender les deux traités régissant le fonctionnement de l'UE : le TUE (Traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht en 1992) et le TCE (Traité instituant la Communauté européenne, signé à Rome en 1957). Il est dit que "le traité modificatif introduira dans les traités actuels, qui restent en vigueur, les innovations découlant des travaux de la CIG de 2004". Il ne s'agit donc pas d'un "mini-traité" purement institutionnel, comme envisagé par Nicolas Sarkozy durant sa campagne.
La première modification introduite par le nouveau traité est le changement de dénomination du TCE qui devient le "traité sur le fonctionnement de l'Union". C'est le résultat de la fusion des piliers (CE, PESC et JAI) et de la personnalité juridique accordée à l'UE. La Communauté, qui était jusqu'ici la seule à posséder la personnalité juridique (ce qui lui permettait par exemple d'avoir une réprésentation unifiée à l'OMC), cèdera donc sa place à l'Union dans le texte des traités. En contrepartie, le texte devrait rappeler le caractère spécifique, c'est à dire essentiellement intergouvernemental, de la PESC. La communautarisation concernera par conséquent essentiellement le troisième pilier, c'est à dire la coopération judiciaire et policière.
Les conclusions de la présidence rappellent ensuite qu'il ne s'agit plus d'une constitution. Tous les termes jugés trop étatiques sont donc abandonnés : le terme de constitution lui-même, le titre de ministre des affaires étrangères qui reste un haut représentant, les dénominations "lois" et "lois-cadres" qui restent des règlements et des directives. De même, toute la symbolique est laissée au placard (drapeau, hymne, devise).
L'essentiel des modifications institutionnelles négociées en 2004 sera intégré dans le TUE. Parmi les différences, on peut noter :
- un rôle renforcé pour les parlements nationaux dans le contrôle de la subsidiarité (le délai d'examen d'une proposition de la Commission passe de 6 à 8 semaines), sur demande des Pays-Bas
- le report à 2014 de l'adoption des nouvelles règles de vote au sein du Conseil ; de 2014 à 2017, une sorte de clause de Ioannina renforcée sera en vigueur, sur demande de la Pologne.
Les autres grandes modifications de 2004 se retrouveront dans le nouveau traité : composition de la Commission, composition du Parlement, création d'une présidence stable du Conseil européen qui devient une institution (il n'est jusqu'à présent qu'une instance informelle), création d'un service diplomatique européen, droit de pétition citoyenne...
Par ailleurs, il sera fait référence à la charte des droits fondamentaux adoptée à Nice en 2000 pour lui donner une force juridique contraignante, mais elle ne sera pas reprise in extenso dans le traité.
Dans le TCE seront intégrés les principales innovations de la partie III de la défunte constitution, à savoir : "les catégories et les domaines de compétence, le champ d'application du vote à la majorité qualifiée et de la codécision, la distinction entre les actes législatifs et non législatifs, les dispositions relatives entre autres à l'espace de liberté, de sécurité et de justice, la clause de solidarité, l'amélioration de la gouvernance de l'euro, les dispositions horizontales telles que la clause sociale, les dispositions particulières telles que les services publics, l'espace, l'énergie, la protection civile, l'aide humanitaire, la santé publique, le sport, le tourisme, les régions ultrapériphériques, la coopération administrative, et les dispositions financières (ressources propres, cadre financier pluriannuel, nouvelle procédure budgétaire)". De quoi relire avec intérêt le commentaire de la partie III réalisé en 2005 par votre serviteur.
Le Royaume-Uni a optenu des clauses d'opting out sur l'application de la charte des droits fondamentaux et sur la coopération policière et judiciaire.
Par ailleurs quelques aménagements de pure forme rédactionnelle ont été trouvés, sans que cela ne remette réellement en cause le fonctionnement de l'UE : ainsi de la suppression de la référence à la concurrence libre et non faussée dans les objectifs de l'Union sur demande de la France, ainsi de la non réaffirmation de la primauté du droit européen sur les droits nationaux à la demande du Royaume-Uni.
Les Pays-Bas et la France ont également obtenu l'ajout d'un protocole sur les services publics aux autres protocoles prévus en 2004 (sur le rôle des parlements nationaux, sur le fonctionnement de l'eurogroupe, sur l'adhésion de l'UE à la CEDH, sur l'Euratom, etc.).
Enfin, une référence implicite aux critères de Copenhague est faite, sur demande des Pays-Bas, dans le chapitre relatif à l'adhésion de nouveaux Etats membres.
On peut en conclure que l'essentiel de la substance du TECE se retrouvera dans le traité modificatif. On évite le mini-traité purement institutionnel qui aurait laissé de côté toutes les innovations contenues dans l'ex-partie III. S'ils ont dû céder sur quelques éléments symboliques, les 18 ayant voté "oui" sauvent l'essentiel. Mais la dynamique intégratice semble un peu cassée pour l'avenir. Ainsi, de nombreuses nouvelles formulations insistent sur les limites très strictes posées par les Etats membres à l'action de l'UE. Et, plus grave, il est désormais explicite que les Etats membres peuvent réduire les compétences attribuées à l'UE. Pour mémoire, les actuels traités indiquent que l'acquis communautaire ne peut pas être remis en cause et doit être renforcé.
On sauve le présent, mais on hypothèque l'avenir. Faut-il vraiment s'en réjouir ?
De plus, pour le citoyen, on perd en lisibilité en revenant sur l'idée d'un texte unique.
D'un point de vue diplomatique, enfin, le principal enseignement du sommet aura été la marginalisation un peu plus accrue du Royaume-Uni qui invente de fait une sorte de "partenariat privilégié" ou d'Europe à la carte. La France et les Pays-Bas ont profité de leur position pour faire avancer assez facilement certaines de leurs revendications... assez peu substantielles. La Pologne ne sait pas trop sur quel pied danser, entre volonté de se voir reconnu un rôle singulier au sein des nouveaux adhérents et peur de se laisser marginaliser. Les frères Kaczynski se voient déjà accusés de capitulation par l'opposition libérale à Varsovie, quand les sociaux-démocrates les félicitent de ne pas avoir bloqué l'Europe. Les autres Etats-membres doivent se dire "tout ça pour ça". Quelques années de perdues pour accoucher d'une "constitution moins".
Tiens, il y a encore de la lumière par ici ? Heureusement qu'il reste gus et damien pour écrire des billets... lol
Bien sûr cet accord ne va pas jusqu'à combler toutes mes espérances, mais apparemment c'était la seule solution, à part perdre 10 ans de plus pour tout renégocier, alors on va s'en contenter...
Pourquoi a-t-il fallu que le "non" l'emporte ! Et quel gachis !
Et quand je vois les concessions faites aux pays ou dirigeants les plus euro-sceptiques, ça donne franchement l'impression que le "non" souverainiste en France est récompensé.
Alors que le "non" de gauche paie très cher son choix stupide car nombre d'avancées sociales que le TCE contenait ont soit disparu soit seront à la carte désormais comme la Charte.
C'est assez ironique tout de même...
Rédigé par : odanel | 24 juin 2007 à 16:49
La "marginalisation" du R-U me semble une bonne chose, en ce sens qu'elle permettra à l'intégration européenne de se poursuivre au besoin dans les directions que le consensus mou des états-membres souhaitera et ce, malgré l'avis ou l'opposition d'un ou deux états-membres.
Comme cela se fait déjà pour l'Euro, Schengen, de nombreux partenariats industriels et programmes de recherche, etc., il est vrai.
Rédigé par : Gus | 24 juin 2007 à 18:48