Entre le 30 octobre et le 3 novembre 2006, se tenait à Chiang Mai, en Thaïlande, la réunion annuelle du Commission du Codex Alimentarius.
Comme le précise le site Web de la Commission du Codex, organisme affilié à l'ONU :
La Commission du Codex Alimentarius a été créée en 1963 par la FAO et l'OMS afin d'élaborer des normes alimentaires, des lignes directrices et d'autres textes, tels que des Codes d'usages, dans le cadre du Programme mixte FAO/OMS sur les normes alimentaires. Les buts principaux de ce programme sont la protection de la santé des consommateurs, la promotion de pratiques loyales dans le commerce des aliments et la coordination de tous les travaux de normalisation ayant trait aux aliments entrepris par des organisations aussi bien gouvernementales que non gouvernementales.
Les lecteurs familiers de Publius auront noté que, puisque l'objet de cette commission est le commerce (mais aussi la santé, mais comme il s'agit de santé des consommateurs, et que qui dit consommateurs dit commerce), l'actuelle pratique au sein de l'Union Européenne est qu'en ces lieux de négociation, les états membres ne sont pas représentés directement : ce sont les services du Commissaire Européen au Commerce qui parlent au nom des états-membres (sous la vigilante surveillance des fonctionnaires appointés du Comité 133).
Le nom de ce comité provient de l'article 133 du traité d ’Amsterdam, qui précise (alinéa 3) que : "Si des accords avec un ou plusieurs États ou organisations internationales doivent être négociés, la Commission présente des recommandations au Conseil, qui l’autorise à ouvrir les négociations nécessaires. Ces négociations sont conduites par la Commission en consultation avec un comité spécial désigné par le Conseil pour l’assister dans cette tâche et dans le cadre des directives que le Conseil peut lui adresser.". Le comité spécial ici cité est donc nommé Comité 133.
Il me semble par ailleurs, et je suis preneur de commentaires sur ce point, qu'en dehors du commerce des armes, des technologies sensibles, des services d'éducation ou du commerce des produits culturels, les services du Commissaire Européen au Commerce sont toujours compétents en lieu et place de tous autres services de la Commission Européenne dès qu'il s'agit de possibles restrictions au commerce extérieur, y compris pour les questions environnementales ou de santé. Et sont par voie de conséquence généralement compétents en lieu et place des services des états membres au sein des instances internationales comme l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Cet état de fait, troublant du moins aux yeux de mon entourage personnel s'explique par cet amusant paradoxe par lequel la majorité des fonctionnaires, donc experts, en ces matières considèrent que le commerce international génère la prospérité, mais imaginent toujours leurs homologues d'autres pays susceptibles d'employer toutes les excuses imaginables pour limiter le commerce international, comme par exemple, les considérations environnementale, de santé, ou même éthiques, sont-ils fourbes (et donc incompétents !), ces maudits étrangers.
Revevons à notre Codex :
A moins d'avoir vécu au fond d'une caverne depuis vingt ans, vous avez certainement entendu parler des campagnes lancées par quelques organisations caritatives dénonçant la commercialisation massive en Afrique ou en Asie de substituts déshydratés au lait maternel (ou au lait tout court), lesquels étaient parfois utilisés par des mères peu instruites mélangés à une eau peu saine. Ces campganes connurent beaucoup plus de succès aux USA qu'en Europe, et ce, pour une raison simple :
Il est d'usage aux USA de considérer que le fabricant d'un produit est responsable des mauvais usages qu'on pourrait faire, y compris par ignorance, du produit qu'il commercialise.
Ce qui n'est que bien plus rarement le cas en Europe, comme le démontre l'orientation même des débats relatifs à la directive au règlement REACH. Je m'explique :
La liberté de fabriquer et commercialiser librement des produits aux USA découle de l'importante responsabilité qui pèse sur le fournisseur du produit ou du service en cas de préjudice causé au consommateur, même si ce préjudice est dû à l'ignorance ou la stupidité du consommateur.
S'est d'ailleurs maintes fois exprimé au sein de l'UNICE l'opinion selon laquelle la moindre protection du consommateur en Europe qu'aux USA, et donc, les moindres risques de lourdes condamnations liées au commerce de produits dangereux ou défectueux constituait en soi un facteur d'attractabilité pour les capitaux internationaux.
On peut alors tout à fait comprendre pourquoi, aux USA, personne ne voit l'intérêt d'imposer des tests de toxicité aux fabricants de produits destinés à être très largements distribués, puisqu'en cas de préjudice causé par effet, leur responsabilité est susceptible d'être invoquée, et l'est en pratique très souvent, notamment par le biais d'actions collectives en justice (class-actions). La philosophie européenne, inspirée des lumières, a plut^ot tendance à faire reposer sur telle ou telle puissance publique la responsabilité d'élèver chacun de ces citoyens à un nuveau d'éducation suffisant pour lui permettre d'une part de reconnaître les usages dangereux d'un produit présumé assez sûr, puisqu'autorisé à être commercialisé, et de savoir par ses propres moyens aller demander justice par le biais de procédures à l'esthétique surranée essentiellement destiné à remémorer au citoyen pourtant bien assez instruit pour parvenir à se faire entendre à quel point est noble l'institution qui consent à entendre sa requêt, pour peu qu'elle soit correctement formulée.
Peut-on dès lors s'étonner d'avoir vu, encore une fois, les services de la Commission Européenne plaider en notre nom à tous à Chiang Mai pour la reconnaissance comme "indéniablement bénéfiques à la santé des enfants" les ajouts (souvent brevetés !) de fluor, de calcium, et autres additifs prodigieux que son industrie aime à mêler dans les aliments industriels (le plus souvent deshydratés) destinés à servir de substitut de lait maternel aux enfants de plus de six mois ? Alors même que la non-toxicité du fluor chez l'adulte peine à être établie ?
Bien entendu, l'une des vocations parfaitement avouée du Codex est de permettre un commerce aussi mondialisé que possible des aliments en général, au delà des produits agricoles bruts, ne serait-ce que pour permettre aux pays producteurs de tenter de capter le bénéfice pouvant découler de la transformation de ces produits agricoles en aliments conditionnés. L'anticipation des débats relatifs aux questions de santé, découlant ou non des questions de bon ou mauvais usage d'aliments (souvent soit périssables, soit bourrés de produits chimiques d'innocuité douteuse) au sein du Codex permet de préparer le terrain à des négociations se donnant pour objectif ultime , en pratique rarement attteint, un commerce entre Nord et Sud aussi libre qu'à l'intérieur des pays du Nord eux-mêmes. C'est donc bien dans l'intention d'aider les grands groupes alimentaires clients des agriculteurs européens, possédant leurs unités de transformation en Europe et installant le plus souvent leurs sièges sociaux en Suisse, à écouler leurs produits sur les marchés asiatiques et africains que les services de la Commission Européenne plaident pour la reconnaissance à niveau mondial de la totale innocuité des susbtituts déshydratés au lait maternel, y compris ceux intégrant les additifs les plus divers et destinés aux plus jeunes enfants, avec le soutien des USA, et donc, au mépris de l'ensemble des arguments de santé ou des raisonnements se basant sur le principe de précaution si populaires à l'occasion des grandes déclarations.
A la différence des grands éditorialistes de notre presse nationale, je n'imagine pas une seule seconde la chancelière Angela Merkel prendre le risque d'embarrasser le futur président français en se risquant à être plus enthousiaste et constructive dans l'immédiat que l'une ou l'autre de deux plus probables gagnants de l'élection présidentielle à venir, c'est à dire, modéremment. Non pas que je nie à la chancelière quelque courage que ce soit : je suppose simplement que le risque de fragilisation d'une Union Européenne affaiblie en cas d'exploitation populiste d'une attitude par trop matamore sur le sujet ne lui aura pas échappé.
L'Union Européenne a existé car elle a apporté paix et prospérité aux citoyens. Je fais partie de ceux qui regretteront longtemps que ses dirigeants historiques aient pu croire que cela suffisait bien. Pourtant, je ne peux pas reprocher à la présidence allemande de remarquer que l'intensification des échanges commerciaux transatlantiques permettrait certainement de re-créer un peu de cette prospérité qui fût un moteur important de l'Union. Après tout, début 2004, tel était le projet essentiel des proches de Dominique Strauss-Kahn (non pas que je sois fan : je remarque simplement que cette stratégie a été défendue par une bonne partie du PS français avant la claque référendaire). Je serais d'autant moins surpris de voir la présidence allemande recourir à cette stratégie que, dans la mesure où l'Union a la possibilité d'agir sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit ou presque sur ces sujets, il est tout à fait raisonnable d'espérer des résultats rapides (par exemple, à l'occasion du conseil européen de mars 2007) à condition d'éviter tous les dossiers fâcheux qui se sont déjà ouverts à chaque fois que cette stratégie à été envisagée, par exemple, à l'occasion des accords de Marrakech, de l'AGCS, de l'AMI, et des diverses et innombrables tentatives de réforme des règles relatives à la propriété intellectuelle, industrielle et artistique (EUCD/DADVSI, IPRED/IPRED2, C2I). Je ne doute pourtant pas une seconde de la capacité des collaborateurs de la chancelière Merkel à savoir faire preuve du talent requis, et ce d'autant plus que le sentiment de responsabilité que porte l'Allemagne face à un élargissement rapide de l'Union dont ils étaient les plus fervents défenseurs à l'ouest les honore.
Par contre, après l'échec qu'auront vécu les partisans d'une certaine vision de la défense du consommateur avec REACH, je m'interroge quand à savoir comment, dans le cadre du rapprochement commercial souhaité par la présidence allemande entre USA et UE, les dispositifs le plus souvent économiques et non pas juridiques de protection du consommateur existants aux USA seront transposés au sein de l'UE.
Car, dans le cas contraire, il ne faudrait pas s'étonner de voir les industriels américains réagir rationnellement, c'est à dire, considérer l'UE comme un marché aux risques juridiques et financiers réduits, de la même manière que nos industries considèrent si souvent les pays en voie de developpement comme marché d'écoulement de produits jugés inadaptés ou dangereux chez nous.
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