Villepin s’est débrouillé pour transformer une opération de consolidation de l’énergie européenne en nouvel avatar du nationalisme économique à la française. Il n’est pourtant pas trop tard pour renverser la vapeur (sic), le gaz et l’électricité valant bien l’acier et le charbon en termes de stimulation communautaire...
L’indépendance énergétique de la France passe-t-elle par le contrôle de l’électricité belge ? Il semble bien que oui, à en croire l’ami Villepin, lequel sera bientôt le dernier à militer pour un rapprochement GDF-Suez en réaction aux prétentions de l’Italien Enel.
Pourtant, et au-delà de son approche nationaliste, mesquine et antihistorique de l’économie, le gandin de Matignon n’est pas totalement dans l’erreur : les entreprises européennes achetant leur gaz aux mêmes fournisseurs russes, africains ou moyen-orientaux, une petite vague de consolidation ne ferait pas de mal à leur puissance de négociation. Et leur capacité à parler d’égal à égal avec Gazprom, plutôt que de lui rendre visite en ordre dispersé, chapeau bas et chéquier en main, serait le meilleur moyen d’éviter une hausse non-maîtrisée des factures de chauffage dans l’Union. Une fusion de GDF et de Suez, de ce point de vue, « ferait sens » ― comme disent les journalistes des Echos lorsqu’ils singent leurs confrères du FT.
Mais l’on voit mal, dans ce contexte, en quoi l’initiative des Italiens constitue un tel scandale. Enel est une société respectable, opérant dans un pays que son allergie au nucléaire rend particulièrement vulnérable aux variations des tarifs énergétiques sur les marchés internationaux. Du coup, il est logique de la voir s’intéresser à Suez, conglomérat hétéroclite dont l’activité électrique et gazière se résume au contrôle d’Electrabel, équivalent belge d'EDF et géant de l'atome... La société transalpine se propose donc de racheter le groupe français, de céder ses divisions de gestion de l’eau et de traitement des déchets ― véritables spécialités de l’ex-Lyonnaise des Eaux ― et de fusionner ses propres activités énergétiques avec celles d’Electrabel. Ouf... Tout le monde suit ?
Sauf à considérer que l’Etat français est dans son rôle lorsqu’il défend les intérêts d’un Français face à un Italien dans un pays tiers, bloquant au passage l’émergence d’entités paneuropéennes solides, la position de Villepin est indéfendable. Toutefois, s'il est admis que la volonté des parties en présence d'atteindre la « taille critique » est légitime, aider Suez à rester un acteur énergétique et prévenir l’isolement international de GDF est concevable... D’où l’évidence d’une fusion des trois entités ― fusion bien plus susceptible de « créer de la valeur » et du « sens » que les batailles boursières qui s’annoncent et leur cortège d'honoraires légaux ou de cadeaux aux actionnaires.
Jean-François Cirelli, le patron de GDF, avait d'ailleurs évoqué cette piste il y a quelques semaines. Mais elle semble ne pas avoir été retenue. Son homologue de Suez, Gérard Mestrallet, étant un proche de Chirac, il est possible que la position gouvernementale ait été, comment dire, légèrement influencée par des considérations assez éloignées de l’intérêt européen, voire simplement national. Le président, on le sait, s’il ne tient pas ses promesses aux Français, est au moins fidèle en amitié.
Serait-il pourtant inenvisageable de s’inspirer de l’une des initiatives fondatrices de l’Union, la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) pour en appliquer les principes au domaine énergétique, les mêmes causes étant susceptibles de produire les mêmes effets ? Dans cette Union en panne, sans horizon politique, sans projet, permettre à des entreprises de se développer librement sur l’ensemble du continent tout en transférant la défense de l’indépendance de nos approvisionnements en énergies fossiles à l’échelon européen me semble une option assez séduisante – sinon indispensable.
Mais bon, Chirac et Villepin, voire les électriciens-gaziers de la CGT, dont on connaît l'indéfectible attachement à la cause de l’intégration européenne, trouveront probablement l’idée saugrenue, ni les stock-options de Mestrallet ni les intérêts corporatistes camouflés en défense du service public n’étant assurés de perdurer dans cette hypothèse. Encore que, pour nos amis syndicalistes, la référence à Lénine puisse éventuellement servir d’argument-massue : « Le communisme, c’est les soviets plus l’électricité », affirmait en effet le papa du bolchevisme !
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