Les Italiens n'étaient pas les seuls à voter sur le continent ce week-end. Les Hongrois - qui arborent un drapeau aux mêmes couleurs - étaient également appelés aux urnes pour le premier tour des élections législatives (le deuxième tour aura lieu le 23 avril).
Non contents d'avoir une des langues les plus difficiles d'Europe, les Hongrois ont également inventé, depuis le passage à la démocratie en 1989, un système électoral qui ne fait pas dans la simplicité. Ces élections nous donnent l'occasion de nous pencher un peu sur ledit système et sur la vie politique hongroise - notamment du point de vue de la politique européenne.
Le Parlement hongrois est monocaméral - mais c'est vraiment le seul aspect simple du problème. Il est composé de 386 députés élus selon trois règles différentes. 176 sont élus au scrutin uninominal à deux tours, dans des circonscriptions, comme en France. 152 sont élus au scrutin proportionnel sur des listes départementales. Les 58 restants sont élus... on ne sait trop comment. En fait, ils sont élus sur une liste nationale selon les résultats des "restes", c'est à dire des voix obtenues soit lors du scrutin uninominal soit lors du scrutin de listes et n'ayant pas permis l'élection d'un député. Enfin, un parti doit obtenir au moins 5% des voix dans les scrutins de liste pour pouvoir être représenté au Parlement. Chaque électeur à donc deux voix : une pour le scrutin uninominal et une pour le scrutin départemental.
Ce système bizarroïde répond à trois objectifs : garantir la stabilité, autour d'un clivage gauche-droite permettant l'établissement de majorités claires (d'où le scrutin uninominal) ; éviter toutefois le bipartisme et permettre à des formations "moyennes" d'être représentées au Parlement (d'où le scrutin de listes départementales) ; assurer une forte présence de l'opposition au Parlement pour éviter les phénomènes de raz-de-marée (d'où le scrutin des "restes"). Mais, le plus étrange dans l'histoire c'est... que ça marche plutôt bien ! La Hongrie est à peu près le seul pays d'Europe centrale à avoir réussi la stabilisation de son système partisan. On a bien deux grands partis : le MSZP social-démocrate (ex-communiste) et le FIDESZ libéral de droite (ex-dissidence) ; mais aussi deux partis "moyens" : le SZDSZ libéral de gauche (ex-dissidence) et le MDF chrétien-démocrate (résurgence de l'avant-communisme) ; les mouvements extrêmistes n'arrivent quant à eux pas à prospérer contrairement à ce qui existe ailleurs en Europe centrale, faute d'un système les y aidant. L'alternance fonctionne bien également : en 1990, la droite (alors dominée par le MDF) l'a emporté ; en 1994 se fut au tour de la gauche (MSZP) ; en 1998 retour de la droite aux affaires (mais cette fois avec le FIDESZ comme parti majoritaire) ; et en 2002 à nouveau la gauche avec une alliance MSZP-SZDSZ.
Les premières tendances observées à l'issue du premier tour laissent
penser que pour la première fois depuis la transition démocratique, la
coalition au pouvoir (socialiste-libérale : MSZP-SZDSZ) pourrait être
reconduite. Le MSZP, dont est issu l'actuel Premier Ministre Ferenc
Gyurcsany (dont le modèle est Tony Blair), atteindrait en effet 43.2%
des voix. Le FIDESZ de l'ancien
Premier Ministre Viktor Orban (1998-2002) recueillerait lui 42%. Deux
autres partis dépasseraient le seuil des 5% : le SZDSZ avec 6.5% et le
MDF avec 5% tout juste. A noter que dans l'actuel
Parlement (2002-2006), il n'y a que trois partis représentés : MSZP,
FIDESZ et SZDSZ [Correction : en fait, ils étaient bien quatre également, grâce à un accord électoral entre le FIDESZ et le MDF en 2002 - merci à Máté Horváth pour ces précisions].
A l'issu du premier tour, 212 sièges semblent déjà avoir été attribués : 113 pour la gauche et 99 pour la droite. Le deuxième tour sera donc décisif compte-tenu de l'écart qui n'est pas irrémédiable entre les deux camps, même si la gauche est évidemment en ballotage favorable.
La Hongrie est un bon exemple de la recomposition politique née de la chute du communisme en Europe centrale. On y retrouve, avec certes des spécificités locales, le problème auquel ont été confrontés tous les pays d'Europe centrale après la chute du Mur : quelle bipolarisation privilégier ?
Il y a d'abord eu la bipolarisation entre post-communistes et post-dissidents. Mais aussi le retour de la bipolarisation antérieure aux régimes communistes (conservateurs vs libéraux / ville vs campagne). Et enfin, la tentation de s'aligner sur la bipolarisation traditionnelle en Europe, notamment pour coller à ce qui existe au Parlement européen (PSE vs PPE).
Que s'est-il passé exactement en Hongrie ? Dans les dernières années du régime kadariste de "dictature molle", les partis d'avant-guerre ont été réactivés. Le plus puissant a été le parti chrétien-démocrate MDF qui a d'ailleurs été le premier à gouverner la Hongrie post-socialiste (1990-1994). Les autres anciens partis n'ont pas vraiment réussi à survivre. Par ailleurs le MDF est en perte de vitesse constante depuis quinze ans et ne représente plus aujourd'hui qu'environ 5% des voix comme vu plus haut.
Ces "vieux partis" ont voulu remettre au goût du jour la bipolarisation traditionnelle de la politique hongroise qui voit s'opposer une gauche libérale, cosmopolite et budapestoise à une droite conservatrice, nationaliste et provinciale. Mais ce schéma a été perturbé par l'émergence de deux partis nés de la dissidence à la fin des années 80 : le FIDESZ (Alliance des jeunes démocrates) et le SZDSZ (Alliance des démocrates libres). Lors de leur émergence les deux partis avaient un positionnement très proche et entendaient tous les deux rompre, et avec le régime communiste, et avec la bipolarisation d'avant-guerre. Les deux partis étaient ainsi anticommunistes, libéraux (aussi bien politiquement qu'économiquement) et pro-européens. Leur but était de faire entrer la Hongrie dans l'Union européenne et d'instaurer une démocratie et une économie de marché stables. Le FIDESZ avait en plus comme particularité de n'accepter que des membres ayant moins de 35 ans, afin d'éviter toute collusion avec des anciens responsables du régime communiste (une mesure aujourd'hui disparue).
Au début des années 90, ces deux partis se sont retrouvés dans l'opposition au gouvernement MDF. Mais les choses ont changé en 1994 avec la fin de la première législature. Le MDF s' est alors effondré et a laissé par conséquent un espace politique libre à droite. D'autre part, le parti communiste s'est quant à lui mué en parti social-démocrate (le MSZP), ce qui a occupé la gauche de l'espace politique. Les deux partis post-dissidence, plutôt de centre gauche au départ se sont donc trouvés dépassés sur leur gauche et avec un vaste espace politique libre à droite. C'est là que leurs chemins se sont séparés.
Le FIDESZ a en effet profité de la nouvelle donne politique pour adopter les thèmes traditionnels de la droite hongroise, sous la conduite de Viktor Orban (plus jeune Premier Ministre d'Europe de 1998 à 2002, il avait 35 ans en 1998 !). Il se retrouve ainsi à renier son ambition première de rompre avec les vieux clivages. Le SZDSZ quant à lui se retrouve à participer à des coalitions gouvernementales avec le MSZP (comme c'est le cas actuellement, pour la législature 2002-2006), c'est à dire les membres de l'ex-nomenklatura communiste. Le parti doit donc lui aussi faire face à un reniement lourd de conséquences sur le plan symbolique.
Politiquement, le FIDESZ a mieux joué sa reconversion puisqu'il est aujourd'hui le parti central à droite. Le MDF n'est plus qu'une force d'appoint. A gauche, en revanche, le parti central est le MSZP et c'est le SZDSZ qui est la force d'appoint.
Ce qu'il y a d'étonnant c'est que, si les partis traditionnels n'ont pas vraiment réussi leur retour sur la scène politique au-delà des premières années de la décénie 90, en revanche, on retrouve bien les vieux clivages d'avant-guerre dans la politique hongroise actuelle, mais incarnés par des partis aux préoccupations de départ toutes autres. Ainsi, aujourd'hui encore, la gauche est assimilée à Budapest, ville cosmopolite (entendre "juive" et non "magyare"), libérale et liée au grand capital urbain (un comble pour les anciens communistes !), alors que la droite apparaît conservatrice, entretenant toujours le rêve de la Grande Hongrie d'avant 1919, et incarnant la campagne "magyare".
Il y a cependant une particularité hongroise, notamment comparée à la Pologne ou à la République Tchèque, c'est le vaste consensus pro-européen qui règne dans la classe politique. Les quatre principaux partis (je mets de côté l'extrême droite qui représente moins de 5% des voix) ont soutenu les efforts en vue de l'adhésion du pays à l'Union européenne. Et c'est là qu'intervient la troisième bipolarisation, celle calquée sur les groupes du Parlement européen. Le MSZP est lié au PSE tandis que le FIDESZ et le MDF sont membres du PPE. Le SZDSZ, enfin, a rejoint le groupe centriste ALDE.
Ainsi, en ayant emprunté des chemins de traverse, la Hongrie se trouve aujourd'hui être le pays d'Europe centrale dont la vie politique colle le plus à celle qui s'est développée à l'Ouest du continent. C'est encore loin d'être le cas en Pologne, en République Tchèque ou en Slovaquie.
Néanmoins, malgré ce large consensus pro-européen, l'objectif affiché par les uns et les autres de qualifier le pays pour une entrée dans la zone euro en 2010 semble difficilement atteignable. Le déficit budgétaire de l'ordre de 6% du PIB selon le gouvernement (et de 8% selon la banque centrale) devra être ramené sous le seuil des 3% en 2008 pour que le forint (la monnaie hongroise) puisse se qualifier pour le système de stabilisation des cours autour de l'euro, dans lequel il doit pouvoir rester pendant au moins deux ans avant une qualification effective. On en est encore loin.
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Add post-2e tour :
Comme on pouvait s'y attendre, la coalition MSZP-SZDSZ a confortablement remporté les élections. Pour une analyse plus complète, on pourra se reporter à celle de l'Observatoire des élections en Europe de la Fondation Robert Schuman.
Merci pour cet article très intéressant.
Julien
Rédigé par : Julien | 13 avril 2006 à 12:55
Les Hongrois sont peut-être compliqués, mais on en connaît un pour qui tout est simple ! Bon ok, il est seulement fils de.
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Rédigé par : Philippe Gras | 13 avril 2006 à 21:45
Très intéressant article sur les élections hongroises.
n définitive, un système électoral et de répartition de sièges au parlement très compliqué, à certains égards, mais qui semble avoir joué en faveur d'un des buts recherché : la stabilité.
De plus, la Hongrie ne s'est pas encore "régionalisée", comme l'ont fait la République Tchèque et la Pologne, notamment, et dont on peut se demander si ce n'est pas plus sage, compte tenu, d'une part, de la petite taille de ces pays, et, d'autre part, de leur trop nouvelle démocratisation qui risque de transformer la vie politique en pétaudière ingouvernable, avec une forte augmentation du clientélisme, entre autres.
A la veille de la 2e période de fonds structurels ( 2007-2013 ) l'instabilité de certains est gravissime et l'UE, trop pressée, est aujourd'hui incapable d'enrayer ces dérives.
Rédigé par : Christian | 14 avril 2006 à 08:40
Merci pour cette précieuse mise au point. On a tendance à occulter tout ce qui se passe à l'Est de l'Allemagne, et c'est bien dommage.
Une remarque cependant : le hongrois, contrairement à sa réputation, n'est pas une langue si difficile.
Certes, il y a 26 cas et surtout un vocabulaire à peu près totalement non indoeuropéens.
Mais il y a extrêmement peu d'exceptions, et chaque cas dispose d'une seule forme (si l'on excepte les variations dues à l'harmonie vocalique). C'est nettement plus commodes que toutes nos prépositions.
Merci pour votre oeuvre de salubrité publique !
Rédigé par : DavidLeMarrec | 17 avril 2006 à 00:23
C'était intéressant à voir un article français sur notre élections et système électorale. Je voudrais seulement ajouter deux choses.
Depuis longtemps les parties parlémentaires veulent amoindrir le nombre des députés et reformer le système parce que 386 députés sont trop pour ce petit pays.
"A noter que dans l'actuel Parlement (2002-2006), il n'y a que trois partis représentés : MSZP, FIDESZ et SZDSZ." Ce n'est pas vrai. Le MDF est représenté aussi, mais seulement parce qu'il était le partenaire du Fidesz depuis 1998. Sans l'aide de Fidesz, il n'aurait pas reçu des sièges dans le Parlement Européen. C'est pour cela beaucoup des exposants de Fidesz regardent le MDF un trahiteur maintenant, comme il est commencé une campagne contre le Fidesz.
Et comme un Hongrois, je peux vous dire: la langue hongroise est beaucoup plus difficile que la langue française.
Rédigé par : Máté Horváth | 28 avril 2006 à 23:39
Merci pour ces précisions Máté Horváth, je vais corriger l'article en conséquence.
Rédigé par : Damien | 30 avril 2006 à 15:44
Bon moi je suis complètement perdu. Si on résume est-ce que ça donnerait ça ?:
Premièrement, les électeurs (le peuple) votent pour élire les membres de l'assemblée nationale. Ces mêmes membres doivent élire un président à tout les cinq ans. Ensuite, pour élire le Premier ministre, c'est le même principe que pour le président mais ce dernier doit approuvé la décision de l'Assemblée. Enfin, le premier ministre doit choisir les membres de son cabinet
Rédigé par : Iorek | 04 juin 2006 à 00:48