Avis préalable : cet article reprend nombre d'informations et quelques formulations initialement publiées dans l'excellent article d'opinion http://www.libertepolitique.com/public/decryptage/article.php?id=1486 , signé par François de Lacoste Lareymondie. Pour autant, cet article ne tire pas nécessairement les mêmes conclusions de l'analyse des éléments cités que celles retenues par l'article d'opinion mentionné
L'Union Européenne, comme toute institution, est souvent plus grande par tout ce qui s'y fait sans qu'on ne le remarque que par sa gestion de sujets dans le cadre de grands débats institutionnels. Il ne s'est trouvé, je pense, que très peu de gens pour s'interroger sur l'arrivée discrète, quelques années à peine après l'élection au suffrage universel direct en mai 1999 du président Rudolf Schuster de la toute jeune nation de Slovaquie au sein de l'Union Européenne.
L'histoire retiendra certainement les très avancées menées au pas de course par le premier gouvernement Dzurinda et de ses successeurs, probablement aidées par la sensibilité démontrée de l'opinion publique slovaque à son image aux yeux l'opinion publique internationale. Cette sensibilité fut d'ailleurs fut considérée comme la première cause du rejet des méthodes des précédents gouvernements slovaques depuis l'indépendance de 1993. On notera avec ce sujet que la Slovaquie opère depuis 1993 une radio internationale émettant en cinq langues parmi lesquelles le français. Je prends le parti pris de considérer que c'est dans ce contexte de liberation en marche d'une jeune nation qu'il faut comprendre le long chemin entamé par la Slovaquie pour définir juridiquement le droit à l'objection de conscience suite à la signature en décembre 2000 d'un accord politique avec le Vatican dit de concordat, particulièrement attendu par une population se déclarant catholique à 70%, mais sortant d'une longue période de déni idéologique des convictions religieuses, et notamment, de l'existence de quelque droit à objecter que ce soit au nom de principes religieux.
De quoi s'agissait-il donc ? On trouve, bien plus récemment, sous la plume de Martin Plichta, dans le journal "Le Monde", et au sujet de la difficile ratification d'un des quatre accords négociés consécutivement à ce premier (celui spécifiquement consacré à cette fameuse objection de conscience) une formulation qui me semble bien résumer la question :
"Le traité conclu avec le Vatican, le seul du genre signé avec un pays européen, permettrait à "toute personne de refuser d'accomplir tout acte qu'il considérerait comme contraire à sa foi et à ses principes moraux". Si cette clause a été peu à peu reconnue dans les années 1970 par tous les Etats démocratiques pour les appelés refusant de porter les armes pour des motifs religieux, aucun ne l'a étendu à d'autres métiers (NDLR: les lois nationales reconnaissent plus souvent qu'on ne veut bien ici l'admettre le droit à l'objection de conscience pour les praticiens de santé). Dans le cas du traité entre le Vatican et Bratislava, l'objection de conscience serait applicable à toutes les professions où se posent des questions d'éthique, à commencer par les médecins, pour l'avortement par exemple, ou les enseignants."
Vous l'aurez compris, ce débat-là n'est pas sans rappeller à la fois les questions relatives au droit à la vie/droit à l'avortement évoquées lors de la campagne pour le Traité pour une Constitution Européenne, mais aussi, la question concernant l'enseignement du darwinisme et du créationnisme aux Etats-Unis. Prétendre que cette question ne concerne qu'une population, une nation, ou une religion particulière est à l'évidence faire fi de questions fort similaires présentes dans la plupart des pays se revendiquant comme libres, les seuls d'ailleurs où cette question peut être débattue, ce qui n'est pas sans présenter un intéressant paradoxe susceptible d'orienter l'ensemble des débats relatifs imaginables vers une épreuve d'introspection.
Or, et nous le savons fort bien, l'Union Européenne s'est bâtie sur des principes de liberté, et notamment, de liberté de circulation des capitaux, des personnes (à condition qu'elles ne viennent pas "prendre le travail des autres"), et des marchandises (...).
C'est donc dans le cadre de la défense de cette liberté fondamentale d'errer et, ce faisant, d'être servi pareillement dans toute l'Union Européenne pour peu qu'on puisse payer en bons euros sonnants et trébuchants (ou de crever équitablement dans le cas contraire) que la Commission Européenne avait créé, courant 2002, consécutivement à la parution courant 2000 du rapport du Parlement Européen sur la situation des droits fondamentaux dans l'UE, un "Réseau d'Experts Indépendants" (de l'U.E. en matière de droits fondamentaux), ne faisant pas contrairement aux apparences doublon avec ces experts ayant juré d'être indépendants que sont les Commissaires Européens, puisqu'il s'agit de simples juristes-conseils.
En les termes de la formulation consacrée, la fonction de ce "Réseau" (c'est ainsi qu'il se nomme lui-même, sans doute faute de disposer d'une non-nécessaire définition formelle de sa nature juridique) de juristes, donc, est, je cite d'“assister la Commission et le Parlement dans l'élaboration de leurs politiques en matière de droits fondamentaux", et d'évaluer "la mise en œuvre de chacun des droits énoncés par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne" par les États membres. En termes plus simples, on doit pouvoir dire sans être trop réducteur que ce "Réseau" assume des fonctions semblables à celles d'un jurisconsulte pour la Commission Européenne en ce qui concerne les droits fondamentaux au sein de l'U.E. .
On ne s'étonnera donc pas de voir ledit Réseau saisi par la Commission Européenne au sujet de cet accord dont la transposition en droit national slovaque aurait pu mener à une atteinte à ce droit d'être partout servi pareillement dans l'Union que constitue le principe même de la reconnaissance du droit à l'objection de conscience dans un cadre civil (et non pas militaire). Suite à cette saisie, le Réseau produisit son 4ème avis pour l'année 2005 (dit avis numéro 4-2005), dit relatif au "droit à l'objection de conscience et à la conclusion par des États membres de l'UE de concordats avec le Saint-Siège", dont la lecture et l'analyse devrait délecter tout passionné de droit fondamental, puisque, malgré la volonté de la Commission de limiter la possibilité d'expression du réseau à la seule question des accords avec le Saint-Siège, s'y pose la question de la confrontation de diverses doctrines, et donc, la position de la doctrine européenne vis à vis d'autres doctrines.
La liste des avis émis par ce "Réseau" est disponible à l'adresse : http://europa.eu.int/comm/justice_home/cfr_cdf/list_opinions_fr.htm . Ils ne sont en général disponibles qu'en anglais.
(On notera éventuellement la liste des rapports nationaux réalisés par les membres du réseau et publiés sur le site de la Cellule de Recherche Interdisciplinaire en Droits de l'Homme de l'Université Catholique de Louvain.)
A ce stade, chacun mènera sa propre lecture de cet avis. Je crois cependant, comme François de Lacoste Lareymondie , que le "Réseau" assume la portée potentiellement très vaste de sa position en déclarant, (page 22) que son raisonnement "doit et peut être transposé" à de situations fort diverses, incluant évidemment la question de l'avortement, mais aussi de l'euthanasie, du droit au suicide assisté ou non, de toutes les unions librement consenties imaginables entre les personnes, etc. .
En ce qui concerne le problème évidemment central de l'avortement, l'avis du "Réseau" propose (page 20, dans le seul passage en caractères gras, comme si le Réseau lui-même avait souhaité lui-même souligner l'importance de ce passage) que, en les termes de l'interprétation que représente une traduction non-officielle retouchée :
"Le droit à l'objection de conscience religieuse doit être régulé de sorte que, dans toutes les circonstances où l'avortement est légal, on s'assure qu'aucune femme n'est privée d'un accès effectif au service médical d'avortement. Aux yeux du "Réseau", cela implique que l'État en cause doive garantir, en premier lieu, qu'il existe une solution alternative efficace pour contrebalancer un refus d'avortement ; en second lieu qu'une obligation soit imposée au praticien de santé qui exerce son droit à l'objection de conscience religieuse de diriger la femme demandant l'avortement vers un autre praticien qualifié qui acceptera de pratiquer l'avortement ; en troisième lieu que de tels praticiens qualifiés seront réellement disponibles (partout sur le territoire)."
Il me semble que, du fait de la portée très vaste qu'ont souhaité donner à cette analyse leurs auteurs, mais aussi du fait du contenu finalement assez peu novateur de l'analyse centrale du "Réseau", les formulations choisies dans cet avis prendront, le temps passant, une importance croissante. Bien qu'il soit humainement fort difficile de comprendre depuis la France les subtilités de la vie politique slovaque, je crois comprendre que l'actuel Premier Ministre slovaque (qui était alors ce même Dzurinda que celui cité plus haut) a choisi de ne pas résister à l'éclatement de sa coalition gouvernementale au Parlement suite à sa décision de refuser de ratifier une loi votée par son Parlement, conformément aux conseils de l'Union Européenne, très probablement à la suite de cet avis, du fait de probables contradictions entre cet avis et l'interprétation que le Parlement slovaque a choisi de faire de l'accord de concordat passé avec le Vatican concernant l'objection de consciences des catholiques.
Pour fort différente de celle que nous pouvons observer en France qu'elle puisse être, une telle lecture des relations entre l'Union Européenne et les instances nationales a le mérite de montrer que la question de la supra-nationalité ne se résume pas à un simple accord au plus petit dénominateur communs sur de grands principes tels qu'inscrits dans les textes, mais aussi, à une relecture contemporaine de ces mêmes principes, c'est à dire, un effort d'introspection préalable à toute ambition d'appartenance, d'accès, d'adhésion, ou même de simple partenariat à/avec une entité supra-nationale.
Add. 13/01 : L'excellent article traitant de manière bien plus détaillée qu'ici les faits relatifs à la politique intérieure slovaque paru sur Largo Desolado avait échappé à mon attention.
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