L’Europe manque cruellement d’énergie ces derniers temps. Au sens propre comme au sens figuré.
Au sens propre par exemple avec l’affaire récente du gaz russe. Où elle a brillé par... son absence. Voilà bien un domaine, l’indépendance énergétique et la sécurisation de ses approvisionnements, où la légitimité d’une position européenne commune devrait aller de soi, si tant est d’une part que l’intégration ait un sens concret, et d’autre part que l’Europe veuille peser géopolitiquement (car l’énergie est sans conteste un sujet éminemment géopolitique) face à une Russie en quête d’un instrument de réaffirmation de sa puissance. Or à quoi a t’on assisté en lieu et place d’une parole unique et forte de l’Europe ?
Au bal des égoïsmes nationaux, mené à la baguette par un Gerhard Schröder qui n’aura pas mis longtemps à trouver une reconversion professionnelle (faut-il en effet rappeler que l’ex-chancelier a intégré la direction du consortium chargé de construire un gazoduc au tracé direct entre la Russie et l’Allemagne par les eaux de la Baltique. Projet signé par un gouvernement dirigé par un certain chancelier Schröder - mais cela est une autre histoire...-, sans aucune concertation européenne). Chacun joue son jeu d’approvisionnement énergétique sans qu’aucune autorité européenne ne s’avise à un instant ou à un autre d’apporter un peu de cohérence. Car que révèle cruellement cette histoire de gaz ? L’absence totale de politique énergétique européenne. Ou plutôt, l’absence de vision commune et stratégique de la question de l’énergie à l’échelle mondiale par l’Europe. Car la Commission Européenne a bien une politique énergétique. Qui se résume à deux mots : libéralisation et dérégulation dans les Etats-membres. Au moment même où la Russie redécouvre l’arme « énergétique » et se dote, en reprenant le contrôle de Gazprom, d’un acteur unique capable de peser dans les négociations européennes et mondiales, l’Europe est non seulement incapable d’afficher un interlocuteur unique mais en plus, elle s’acharne à démanteler ceux qui pourraient émerger comme acteurs de poids dans le jeu mondial, avec en première ligne EDF ou encore RWE ou e.on. Et elle se révèle incapable d’impulser des projets transnationaux de réseaux (électriques ou gaziers) qui permettraient pourtant d’esquisser une réelle Europe de l’énergie. Entendre Eric Le Boucher dans l’Esprit Public dimanche dernier se désoler de l’attitude trop « libérale » de la Commission à l’égard de la politique de l’énergie est à ce titre presque jubilatoire pour un « interventionniste » comme moi.
Et dans cette même émission, Jean-Louis Bourlanges, développait l’analyse selon laquelle cette crise reposait en fait également la question des frontières de l’Europe et en particulier de la place singulière de l’Ukraine, véritable marche entre la Russie et l’Europe et sans doute, selon Bourlanges, place qu’elle devrait garder encore longtemps, ni dedans ni dehors, à la fois de l’Europe et de la sphère russe.
Mais l’Europe manque aussi d’énergie au sens figuré. Alors même que l’on nous avait annoncé la présidence anglaise comme une véritable prise de pouvoir de Tony Blair sur l’Europe, avec une ambition retrouvée, ambition anglo-saxonne certes, mais ambition tout de même. Alors même que d’aucuns s’étaient félicités du discours dynamique et volontariste du premier ministre anglais au Parlement Européen en juin dernier, que restera t-il in fine de ces six mois de présidence anglaise ? A vrai dire pas grand-chose. Souvenons-nous: Versac s'était, en juin dernier à l'issue du discours de Blair devant le Parlement européen, fendu d'un billet comparant les ambitions respectives d'un vieux lion usé avec un jeune tigre aux dents acérés et au pas bondissant. Et bien, il suffit de voir d'une part l'accueil que le Parlement européen a réservé au bilan du semestre de présidence du premier ministre britannique (juste pour le plaisir cette citation de Martin Schulz au nom du groupe PSE, qui est remonté à 1912 pour comparer la présidence britannique au paquebot Titanic "dont le capitaine ne s'appelle pas Smith mais Blair"), d'autre part le vote à l'unanimité de la commission du budget du Parlement européen contre l'accord sur le buget européen 2007-2013 conclu par les chefs de gouvernement en décembre dernier, pour mesurer l'ampleur de l'écart quasi chiraquien entre les discours de Tony et les actes de la présidence britannique. Encore six mois pour rien en quelque sorte. Et, tout noniste que je fus, et bien croyez-moi si vous le voulez, mais je ne m'en réjouis guère.
Voilà, c'était le retour de Krysztoff aux affaires publiennes, après six mois de silence, le temps d'une présidence britannique quoi!
Il est un peu injuste de dire que le seul programme de politique énergétique de la Commission est la libéralisation.
La libéralisation est un des points du programme, c'est indiscutable.
Mais il y a également d'autres points dans la politique énergétique de la Commission, dont par exemple la promotion de l'énergie verte, ou celle des biocarburants.
Il y a également tout un pan de politique sur la sécurité d'approvisionnement, auquel la Commission avait consacré un livre vert. Cela vaut le coup de le lire ce livre vert, car, à mon avis, il donne justement une vision de la politique de la Commission un peu moins caricaturale que celle de l'incarnation institutionnelle d'A. Madelin (certes, ça ne va pas jusqu'à faire virer la Commission à Besancenot).
La où le bât blesse, malheureusement, c'est que le mécanisme institutionnel fait que, parmi l'ensemble des idées politiques de la Commission, la partie la moins interventioniste est celle qui arrive le plus facilement à être mise en oeuvre. Un peu comme si on ne laissait passer que la composante B d'une image en RGB.
Dans la matière énergétique, c'est particulièrement clair: les composantes concurrence et protection de l'environnement passent relativement bien, mais dès qu'il s'agit de faire quelque chose d'autre, l'unanimité bloque le tout pour longtemps, et encore, quand on arrive à trouver un base légale. Rappelons à cet égard qu'il n'y a pas de base légale pour une politique énergétique pure de l'union (sauf énergie atomique) dans les présents traités.
Le résultat en pratique c'est précisément ce qu'on voit: une politique essentiellement basées sur la promotion de la concurrence et des électricité vertes, ce qui n'est pas mal en soi en mon avis, mais passe à côté de la plaque vis à vis de la Russie. Et ce alors même que chaque acteur inditutionnel peut légitimement dire que sa vision à lui est cohérente, si on l'applique pleinement.
Pour améliorer ça, il faudrait arriver à faire preuve d'un double volontarisme: l'un pour pousser les pans de politiques qui manquent de punch. Mais pour ça, il faudrait faire sacrément violence aux bons vieux réflexes nationalistes, dont on ne peut malheureusement pas dire qu'ils soient sur le déclin. L'autre pour ne pas laisser trop la bride sur le colier pour les autres politique. Mais pour ça, il faudrait convaincre une Communauté déjà bien en difficulté de brider ses seuls instruments qui marchent.
Qui aura le courage de promouvoir un tel programme...
Rédigé par : Burt Allibert | 16 janvier 2006 à 14:59
Sur la politique énergétique, j'avoue être d'accord avec Burt Allibert. Les ambitions et les enjeux sont clairs, et ne se limitent pas à l'unique dérégulation des marchés.
Il manque juste un peu plus de volonté des Etats pour s'engager dans une politique commune véritable.
Sur Blair, il est évident que je ne suis pas le seul déçu. Tellement de commentateurs ont noté la différence entre le discours et l'attitude initiale de Blair et le résultat final ! Blair a vite été rattrapé par le jeu des Etats les uns contre les autres, et n'a pas su proposer une véritable solution. Soit. Je me demande lequel aurait fait mieux dans le calendrier qui était le sien, et avec la volonté de la France, notamment, de ne surtout pas faire le cadeau à la présidence britannique d'un accord positif sur le budget.
Rédigé par : versac | 17 janvier 2006 à 19:03
Bonjour
Tout d'abord, Burt Allibert :
Je rejoins Krysztoff, dont je salue sobrement le retour sur ces pages, pour dire que la politique énergétique de l'Europe se résume aux mots qu'il a employé : libéralisation et dérégulation. De la merde.
Pour rebondir sur vos précisions à vous : les biocarburants, c'est la nouvelle pancarte qui fait office d'alibi écolo aux tenanciers des multiples boutiques de la pensée de marché. Le biocarburant, c'est la porte ouverte aux OGM et c'est le nouveau credo des plus intensifs des plus intensifs des pires gens qui se disent "travailler la terre" alors qu'ils ne la considèrent que comme un simple support technique. Ceci dit, de votre part une telle ignorance ne m'étonne pas, vous qui devez considérer toute forme de pensée -telle que j'en donne des indices- peu ou prou proche de l'amour et du respect vis-à-vis de la "pacha mama" des peuples d'amérique comme une gentille mais dangereuse hallucination propre aux bouseux sans culture si ce n'est celle du fascisme qui s'ignore des campagnes françaises profondes tellement elle s'apparente trop à certaines histoires de votre enfance depuis longtemps enfouies dans la case "non-recevoir" de votre cerveau aujourd'hui entièrement dédié à la connaissance en profondeur des institutions, du merveilleux monde politiques pleins de ces gens si grands et responsables, du monde du Droit, des réalités d'une société démocratique, des travaux de penseurs médiatiques et médiatisés réalisés sur tous ces sujets pour édifier le péquin et "contribuer au débat"... vous me faites penser à Nicolas de Morand, je ne sais si j'écris bien son nom à ce brave homme.
Au passage je le salue, d'ailleurs, ce Monsieur, si prompt à rappeler à l'antenne de ses "matins", en compagnie de ses délectables partenaires, l'avalage de travers pas passé encore de ce fameux et désormais bien noir pour l'histoire de l'Europe (main sur le coeur) 29 mai 2005 par le biais de multiples petites accroches d'humeur du genre de celle de ce jeudi 18 janvier 2006 quand il a, au milieu de la célébration patentée de Publius, cru bon de demander à son invité... (en substance) : "Mais Monsieur Machin, on a vu dernièrement que le débat politique en France et sur le net français en particulier ne parvenait pas à se détacher des insultes, du brouaha, de l'empoignade généralisé... pensez-vous que..."
J'ai bien ri. Nicolas, tu m'as bien fait rire. A force de présenter le "site de Versac" comme une référence, je ne m'étonne plus de la vigueur des tes sous-entendus niaiseux sur la dangerosité de la pensée qui refuse les moules pourris et les fausses alternatives du milieu classique et traditionnel de la politique ni sur l'inanité de la composition de ta pauvre équipe.
Te donnes-je ici un assez bel exemple de ce fameux "esprit gaulois" qui s'embourbe dans l'invective au milieu d'un débat entre gens sérieux ?
Je le souhaite.
(mon adresse mel est exact et t'attends pour toute réponse si tu préfères un échange privé, après tout j'ai dévié du sujet du fil)
Pour revenir sur les bio-carburants, je me contenterais de dire ici que près de chez moi, dans une commune de moins de trois cent habitants vit un monsieur qui a le statut d'agriculteur. Il a bénéficier en 1998 d'une subvention d'à peu près 80 000 euros d'un organisme public dont j'ai oublié -pardonnez-moi- le nom exact (mais qui subventionne les "initiatives" faites autour de la gestion de l'eau) pour faire creuser un étang de deux hectares qui servirait de support à une irrigation intensive pour faire pousser des trucs de merde immangeables mais si compétitifs. Il a fait ça après avoir arraché environ 50 km de haies en quelques années, comme ça, juste pour rentabiliser son engin pourri. Il n'a pu attendre les 18 mois de séchage de la terre -très argileuse ici- pour que la digue (haute de 12 mètres) puisse retenir les tonnes d'eau que l'étang était censé accueillir. Elle a cédé. L'eau a retrouvé rapidement le cours de son lit, je passe sur les dégâts et surtout sur les frais, pris sur l'argent public depuis les début, pour arriver à des profits privés, on connaît bien toute les déclinaisons de ce principe. Ce gars passe bientôt aux bio-carburants, parceque "c'est l'avenir" et surtout parcequ'il y a du pognon à se faire. Le voilà lui l'extra-intensif à promouvoir le bio-carburant. Forcément, il sera le premier au créneau vu le réseau de soutien institutionnel et politique qu'il se tape et vu le modèle idéal qu'il représente pour le discours dominant ambiant sur l'agriculture... et l'énergie...
le bio-carburant c'est l'exemple même de ce dont est capable en recyclage de grande qualité la pensée néo-libérale, vous savezn celle qui n'est pas une idéologie en face des autres, celle qui n'existe pas sauf dans le fantasme des nostalgiques staliniens qui s'ignorent, celle qui s'habille de marketing et de lieux communs se déclinant sur mesure pour tous les crânes d'ici et d'ailleurs, qu'ils soient chroniqueur ou journaliste ou juriste ou universitaire ou serveur de bière ou technicien en info ou professeur des écoles ou paysan ou commercial ou VRP ou lycéen ou ce que tu veux.
Le bio-carburant sert l'industrie agro-alimentaire au détriment de ce dont a besoin la paysannerie comme les consommateurs : un arrêt du processus sans fin de concentration des terres, la souveraineté alimentaire dans le droit international, l'encouragement à une connaissance réelle de la terre et des terroirs, un frein et un grand coup de bâton au productivisme et au tout-intensif.
J'en profite pour mettre ici ce lien vers un très bon article d'Acrimed sur le traitement médiatique réservé, en ces jours de négociation OMCesQue, au grand, au sublime, à "l'homme de dialogue" vertueux et surout, surtout, socialiste, j'ai nommé M. Lamy :
http://www.acrimed.org/article2243.html
J'en ai fini. Je vous salue bien.
A bientôt, Nicolas.
Rédigé par : bougui | 20 janvier 2006 à 21:41