Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, dans leurs voeux respectifs, ont esquissé quelques idées pour "relancer l'Europe" après l'échec du référendum du mois de mai dernier. Je passe rapidement sur les propositions chiraquiennes qui, à peine émises, ont dû faire face à une fin de non-recevoir de la part du gouvernement allemand. En proposant d'adopter de manière isolée quelques éléments de réforme institutionnelle issus du TECE, sans que cela ne nécessite de révision des traités, le Président s'est vu opposer le "compromis global" que représentait le projet de constitution. Fruit d'une longue négociation entre les 25 (et même les 27), il ne saurait être détricoté sans relancer le débat général.
Il est plus intéressant de se pencher sur l'avenir possible (Sarkozy) que sur le passé certain (Chirac). Le président de l'UMP a évoqué trois éléments (le Quai d'Orsay ayant précisé que le point de vue de Nicolas Sarkozy n'était pas celui du gouvernement français, j'en déduis qu'il ne parlait pas en tant que ministre de l'Intérieur) :
1/ Il faudrait adopter la première partie du TECE - qui concerne la réforme institutionnelle - de manière isolée. Pour cela, un vote du parlement suffirait, il n'y aurait pas à recourir une nouvelle fois à un référendum.
2/ L'élargissement devrait être stoppé, au moins tant qu'aucun accord ne sera intervenu sur la réforme institutionnelle. L'Union devrait, de plus, définir ses frontières.
3/ Enfin, les six plus grands pays en termes démographiques (Allemagne, Pologne, Royaume-Uni, Italie, Espagne et France) devraient former un directoire qui serait en quelques sortes "l'ingénieur" de l'Union.
Que penser de ses différentes propositions ?
1/ On pourrait certes opposer le même argument qu'à la proposition chiraquienne (rupture du compromis global), mais cette idée de Sarkozy me semble plus susceptible d'être une véritable solution pour sortir le TECE de l'impasse dans laquelle il se trouve. En conservant l'architecture générale de la première partie, elle ne remet pas vraiment en cause l'accord obtenu puisque les diverses concessions effectuées l'ont en général été au sein de chaque partie. Je vois néanmoins dans le recours au Parlement plutôt qu'au référendum une tentative de détournement de sens du vote du 29 mai dernier. Rien ne permet de dire que le refus du TECE n'était pas dû au contenu de la première partie (celle qui modifiait le plus le fonctionnement de l'Union qui plus est). Pour moi, il serait donc plus souhaitable de repasser devant le peuple.
2/ Sarkozy nous ressort là l'éternel faux débat sur élargissement vs. approfondissement. Le débat a eu lieu dans l'après 1989, c'est désormais un peu tard pour le tenir. Le processus est enclenché pour la Turquie comme pour les Balkans. La question ne se pose plus que pour l'Ukraine, la Biélorussie et la Moldavie. C'est certes intéressant d'y réfléchir, mais cela ne nécessite pas de grandes déclarations sur "l'élargissement" alors que celui-ci est déjà en grande partie derrière nous. Pour moi, tout cela s'apparente à du brassage de vent (et de peurs, au lieu d'expliquer les décisions prises). Mais j'ai le sentiment que ce genre de déclarations va devenir la nouvelle tarte à la crème des hommes politiques français dans les années à venir.
3/ Apparemment Sarkozy n'envisage plus de "directoire" institutionnalisé, mais juste coordonné politiquement. Cette proposition semble le fruit de son analyse sur l'absence de rôle moteur du couple franco-allemand dans une Europe à 25/27. Il est loin d'être démontré que les intérêts des six grands sont toujours convergents (et c'est un euphémisme). De plus, on se demande si le coût de telles déclarations (le braquage des 19/21 "petits" contre la France) n'est pas beaucoup plus élevé que le bénéfice politique attendu. Selon les sujets, les majorités à trouver pour impulser de nouveaux projets varieront certainement. Vouloir rigidifier cela à travers une structure plus ou moins contraignante, c'est quelque part se fermer des marges de manoeuvre dans la constitution desdites majorités. Cette proposition est par conséquent pour moi assez nocive.
Seul problème : la partie III contient de nombreuses dispositions institutionnelles : toute la procédure devant la CJUE y figure, notamment. Seule, la partie I est une peu borgne et bancale.
La Charte des droits, elle, ne me laissera aucun regret.
Rédigé par : Maitre Eolas | 16 janvier 2006 à 11:07
1. Pratiquement et juridiquement, comment fait-on pour n'adopter que la partie I? Est-ce que ça veut dire qu'on revient à la solution d'un traité constitutionnel qui se superposerait au TUE et au TCE? Qu'on fait un traité qui modifie les deux traités actuels? Quid de la structure en piliers? etc.
2. D'accord. Dans le cas des Balkans, la promesse d'une adhésion future reste le meilleur moyen de tenter de stabiliser la zone. A moins que Sarko ne s'accommode d'une prolongation ad vitam aeternam du protectorat actuel.
3. Yup. C'est aussi idiot que nocif.
Rédigé par : Emmanuel | 16 janvier 2006 à 11:53
1. "cette idée de Sarkozy"...
Non, ce n'est pas une idée "de" Sarkozy, c'est une idée dans l'air du temps que Sarkozy a reprise
(et c'était d'ailleurs une idée forte de nombre partisans du NON, il me semble...)
2. "le débat a eu lieu dans l'après 1989"...
C'est bizarre, je ne me souviens pas que ce débat ait été réellement posé devant les citoyens...
Maintenant, c'est vrai qu'il est peut-être un peu tard pour les élargissements déjà en cours... Mais si on continue sur la même logique, l'UE peut continuer à s'étendre à l'est jusqu'au Pacifique, et pourquoi pas au Sud au-delà de la Méditerrannée...
La question est de savoir si l'UE doit devenir une ONU bis, ou si ça doit être une puissance régionale au pouvoir fédéralisé (et démocratique, si cette notion a encore un sens) au-delà de la simple coopération intergouvernementale...
Ecarter d'emblée cette question me semble autant, sinon plus de la "tarte à la crème", que de l'exploiter démagogiquement pour donner le change...
Rédigé par : Jack le Castor | 16 janvier 2006 à 17:22
@Emmanuel & Eolas : Je partage vos réserves quant à la première proposition de Sarko. Mais je ne voulais pas rédiger une note toute négative non plus !
Je pense que dans l'esprit de ceux qui pronent cette solution, il s'agirait en fait d'une révision des TCE et TUE sur les seuls sujets institutionnels. Je ne vois pas d'autres façons de procéder. Le non-dit de la proposition de Sarkozy, c'est que tout cela nécessite de rouvrir le débat entre les 25 et qu'il ne s'agit pas "juste" de voter un bout du TECE.
J'imagine que la procédure devant la CJCE resterait inchangée, puisqu'il n'est apparemment pas envisagé de revenir sur la partie III. Mais bon, tout cela demanderait des développements et pas uniquement quelques phrases jetées au cours d'un discours.
Donc, en gros, je trouve cette solution difficile, mais néanmoins pas complètement irréaliste. Ca peut être une base de départ (pas satisfaisante à mon goût, mais ça c'est une autre question).
@Jack : Certes, Sarkozy n'est pas le seul à faire cette proposition. Mais il a l'avantage sur d'autres d'être potentiellement en position d'appliquer ce qu'il dit d'ici quelques mois. D'où la focalisation sur lui.
Par ailleurs, c'est un fantasme un peu grotesque de prétendre que l'Union deviendrait une ONU bis qui s'élargirait sans cesse. La candidature du Maroc a déjà été refusée pour non-appartenance au continent européen. Et personne, ni en Russie, ni en Europe (mis à part Berlusconi...) n'envisage d'étendre l'UE jusqu'au Pacifique. La seule question qui reste en suspens est celle de l'Ukraine et de la Biélorussie. J'ai le sentiment que les milieux bruxellois ne sont pas très favorables à leur adhésion (d'où la politique de voisinage), mais certains Etats membres comme la Pologne ou la Lituanie font entendre une voix discordante sur le sujet.
Le seul changement par rapport au projet initial concernant le périmètre géographique de l'UE est dû à l'effondrement du mur de Berlin. Dans l'après 1989, il y a eu quelques tergiversations sur la voie à suivre (cf. la "confédération" mitterrandienne). La voie de l'adhésion pleine et entière a finalement été adoptée pour l'Europe centrale et orientale. Pour le reste, les frontières de l'Europe sont restées inchangées. Je rappelle ici que la Turquie a des accords avec la CEE depuis les années 60, et qu'elle est membre de l'OTAN et du Conseil de l'Europe depuis des décénies, il n'y a donc pas eu de modification du visage de l'Europe par sa demande d'adhésion.
Rédigé par : Damien | 16 janvier 2006 à 18:11
Je pense qu'il ne faut pas perdre de vue que les élections de 2007, et, dans une moindre mesure, de 2008, imposeront aux partis et personnes devenues publiques ou aspirant à le devenir de se positionner vis à vis de l'U.E. . A l'heure où les syndicats de dockers font à juste titre remarquer qu'un échec en conciliation dans une procédure en co-décision n'interdit pas à la Commission de re-présenter un texte très similaire à celui de la Commission précédente, malgré, en théorie du moins, un sérieux changement des rapports de forces au sein du Parlement Européenne et donc, la démonstration par l'exemple de la force du consensus libéral au sein de l'union européen qui transcende la lecture que nous faisons habituellement des alternances politiques, cette question n'a rien de bien innocent.
Rédigé par : Gus | 17 janvier 2006 à 07:51
un très bon article. Je me suis permis de faire un trackback vers un article similaire sur Nouvelle Europe ...
Rédigé par : philippe | 17 janvier 2006 à 08:51
Gus, où donc voyez vous un "sérieux changement dans les rapports de force au parlement" entre l'assemblée de 1999 et celle de 2004?
S'il y a eu un changement, c'est plutôt vers la droite que le parlement s'est déplacé. Pas de beaucoup beaucoup, mais en tout cas pas vers la gauche.
Comme, en même temps, le Conseil lui a viré en grande majorité à droite, par le jeu de la perte de pouvoir par les socialites dans la majorité des Etats Membres, on ne voit vraiment pas bien où pourrait résider la source de la volonté politique d'alternance.
Rédigé par : burt allibert | 17 janvier 2006 à 14:35
Sarkozy, c'est un putain d'enculé de sa mère, il faudrait peut-être à un moment envisager de cesser d'en parler comme d'un mec normal, cesser de jouer le jeu des cynismes et des cyniques qui s'ignorent sous prétexte de "respecter le jeu démocratique".
Certes, il y a des moyens plus vertueux et recevables, plus conforme à la réalité du "débat démocratique" (que je ne renie en rien mais son utilisation abusive par certains pour dissimuler leur partisanerie et transformer leur posture éminemment idéologique en objectivité neutre et journalistiquement correct), mais je ne suis pas un professionnel. Prétendre l'être, ou être reconnu comme tel, tout autant qu'avoir une audience et incidemment une responsabilité comme celle que possède Publius, implique à mon sens de trouver ces moyens. Comme par exemple, au lieu de céder à l'admiration imbécile de la virtuosité sorkoziste dans le domaine de la manipulation médiatique et du positionnement démagogique, rappeller le bilan de sa participation à la création législative nationale de ces dernières années : une catastrophe.
Ce sont les médias qui font Sarkozy, tout petit, très petit, et dangereux qu'il soit en réalité. Vous en fait partie, vous les "pronétaires" (pfmmhggbbfff), vous avez une part de responsabilité, qui me paraît en plus à moi, pauvre péquin, d'une importance d'uine certaine manière acrue, du fait des caractéristiques même de vos lecteurs assidus (diplômés, formés, occupant des places dans la société qui les préserve -à moins que ce ne soit Dieu- manifestement de toute forme de pensée autre qu'une solide et ferme perspective pragmatiquement social-libérale.
De plus, je m'en voudrais de paraître offensant et grossier -et si je sentais avoir une once de crédit quand je m'exprime sur ces pages, je m'en tiendrait là, mais le sentiment contraire m'animant, je poursuis allègrement- mais n'ayant d'autre moyens intellectuels que mon pauvre style peinement littéraire versant du côté de l'invective et de l'insulte pour m'exprimer je tiens à dire que Damien, vous êtes un pitoyable rédacteur. Ne serait-ce sans incidence aujourd'hui que d'avoir de telles perspectives politiques tellement déconnectées d'une partie tellement essentielle de la réalité qu'elle semble vous paraître à la majorité d'entre vous triviale, vulgaire et manifestement sans intérêt, j'aurais volontiers gardé le silence, n'aimant par plaisir sadique déclarer comme ce faisant des mots désagréables à quelqu'un mais, je le répète, me devinant sans impact aucun et sans statut d'interlocuteur -dont, c'est vrai, je refuse de ne serait-ce que faire l'effort d'y accéder puisque il me semble flagrant que vous en avez vous-même défini les contours, sans doute inconsciemment, en les calquant sur vos propres dispositions-, je rengaine mes scrupules.
Sarkozy est dangereux et le danger est entretenu par par le cynisme du genre
"il est plus intéressant de se pencher sur l'avenir possible (Sarkozy) que sur le passé certain (Chirac).".
Voilà un bel exemple qui montre bien que, sous couvert d'une analyse politique, on refuse de faire de la politique ; qui démontre à merveille la capacité que vous avez, Damien (rassurez-vous, oserais-je dire, vous n'êtes pas le seul), à prétendre occuper une place de commentateur avisé qui ignore ignorer l'impact désagrégeant pour le débat public -celui-là même que vous prétendez animer- que constitue une telle posture.
Les médias dominants et les autres tels que vous ont fait Sarkozy et sauront certainement oublier ce fait s'il s'avère que la situation se retourne.
J'ai même entendu, comble de l'absurde, un commentaire d'un journal télé affirmer "Nicolas Sarkozy a déclaré n'avoir rien à dire sur le sujet".
On entend même parler de lui quand il n'a rien à dire, ou feint de n'avoir rien à dire.
Il n'est pas une exception dans l'utilisation politique de l'espace médiatique, seulement un aboutissement.
Vous semble-je hors des réalités en considérant que la stratégie de communication considérée comme partie intégrante du fait politique est inacceptable malgré le fait que son existence soit irréfutable ?
J'ai encore digressé autour de lieux communs de la pensée gauchiste, décidemmment je suis perdu. Pardonnez-moi, mes maîtres.
A ce propos, j'ai décidé, tout comme j'ai pu observé que cela se pratiquait, d'accoler à mon pseudonyme le mot merveilleux de "maître".
Bien sûr, c'est du second degrés, cela va de soi. La prétention, c'est bien connu, s'annule à partir du moment ou on rigole. Entre gens de bonne compagnie.
Je vous salue bien, chers amis.
Rédigé par : Maître bougui | 21 janvier 2006 à 14:19