En complément du précédent billet de Damien sur le thème, et à l'heure où le Commissaire Européen au Commerce se prépare à son grand oral au Conseil, il m'a semblé utile d'essayer de présenter en termes simples les principaux enjeux des actuelles négociations à l'OMC pour l'Union Européenne, avec toute la subjectivité et les approximations qu'une telle approche implique.
Les lecteurs familiers de ces débats savent bien que malgré l'adoption du traité d'Amsterdam, et donc, la création du Comité 133, chargé de la définition du mandat donné par les états-membres à la Commission Européenne pour définir ou négocier les conditions d'entrée sur le marché européen de tout ce qui, d'une manière ou d'une autre, se marchande de par notre vaste monde, les états-membres dans leur ensemble ne se sont jamais accordés sur une définition de ce qui pouvait être ou non marchandable....
Or, à moins de vivre sous terre depuis vingt ans, vous n'ignorez pas que la question de savoir si tout est marchandise fait, comme on dit, débat. En effet, pour la plupart de nos concitoyens, c'est à dire, en fait, à l'exception des purs ordo-libéraux, des anarchistes et des libertaires, il existe toujours quelque chose qui semble sacré, qui n'est pas marchandable, ou du moins, pas sans quelque règlementation évidente ou nécessaire. Mais puisqu'il est ici question de débattre de l'ensemble des visions existantes dans l'ensemble des nations de la planète, il s'avère actuellement nécessaire, pour les citoyens européens, de répondre à quelques questions fort simples redoutablement efficaces pour animer les plus moroses soirées entre amis :
Les savoirs, les techniques, l'éducation, la forêt amazonienne,
l'antarctique, la santé publique, l'eau, l'air, les avancées de la
médecine, les théories économiques, la musique, le cinéma, les espèces
menacées sont-ils des biens, des services, des marchandises, des
propriétés ? Sont-ils commercialisables ? Sous quelles conditions ?
A-t-on le droit de détruire ce qu'on possède ? Peut-on interdire à
autrui de jouir de ce qu'on possède si cela n'aliène pas le propriétaire ? Telles sont les questions sur lesquelles l'Union
Européenne n'a jamais trop voulu se prononcer dans son ensemble, et telles sont les questions, qui, au fond, se posent tous les jours à l'OMC , en termes parfois plus pragmatiques, et donc, telles sont les questions auxquelles l'Union Européenne a (en gros) pour compétence de répondre en lieu et place de vos représentants nationaux.
La signature de l'Acte Unique, qui consacra la délégation aux économistes (scientifiques) de la définition d'une stratégie visant à assurer le meilleur bien-être possible des peuples européens, a, et c'est bien naturel, mené à l'adoption par les états-membres sur proposition de la Commission Européenne de l'une des stratégies parmi les possibles découlant du consensus des spécialistes concernés sur le moyen de maximiser la richesse collective en l'état de la science. Il me semble que le choix précis qui a été fait par l'U.E. a été de tenter de devenir l'économie la plus performante du monde de sorte à contredire les violentes critiques des partisans d'une europe réduite à un simple espace de libre-échange : ce débat a mené à la stratégie de Lisbonne, associée à une certaine orthodoxie monétaire antérieurement décidée, avec le succès que chacun appréciera. Mais la poursuite de cette stratégie implique, aux dires des spécialistes concernés, une intensification des échanges commerciaux faisant notamment abstraction des barrières douanières, et donc, la nécessité de s'accorder au niveau le plus international qui soit sur des règles du jeu acceptables par tous.
Nous supposerons maintenant que, grâce à de passionnantes discussions enflammées avec vos amis, vous disposez d'une opinion sur les questions évoquées ci-dessus. Nous supposerons, par exemple, que vous pourriez sans hésiter dire si, selon vous, une commune devrait ou non avoir le droit de concéder le contrat d'entretien de la plomberie d'une école maternelle à une entreprise internationale tenue ou non tenue, contrôlée ou non contrôlée, par une administration ou un service concédé, sous l'autorité ou non des Men in Black/la CCASD/Nestor le pingouin (rayer les mentions inutiles) de respecter les règles sanitaires, les règles sociales, les normes de construction, les normes anti-incendie éditées par l'état, l'europe, la Generalidad de Catalunya, le think-tank de la fondation Kärcher, la Sainte Inquisition ou le petit livre vert. Ou, plus simplement, si vous pourriez vous faire rembouser par la sécu des médicaments achetés sur internet, si la sécurité sociale aurait raison de faire soigner à Moscou parce que c'est moins cher, ou s'il faudrait modifier le droit français de sorte à permettre aux juristes québécois d'assurer les fonctions réservées aux notaires français. Supposons tout simplement que vous sachiez s'il faut sanctuariser soit la forêt amazonienne, soit les puits de pétrole, soit les deux, soit aucun des deux, ce sera déjà pas si mal. Mais rassurez-vous, certains candidats, mais pas tous, aux plus hautes fonctions électives ont des réponses plus ou moins complexes à ces questions.
Voyons maintenant où en sommes-nous au sein de l'U.E. :
A quelques approximations près (relevées et débattues dans le précédent billet), la politique commerciale est une compétence à peu près exclusive de l'Union, ce qui signifie que les états membres se sont engagés à ne disposer, pour l'essentiel, que d'une et d'une seule politique commerciale vis à vis des autres nations. On entend ici par politique commerciale l'ensemble des règles définissant sous quelles conditions des marchandises (ou des services) franchissent les frontières séparant les états membres de l'U.E. et d'autres états (le principe de libre circulation des marchandises et des services entre états membres étant théoriquement acquis par ailleurs, bien que sujet à de très nombreuses exceptions, le plus récent exemple en date en France étant par exemple la limitation du nombre de cigarettes qu'on puisse ramener de l'étranger).
Pour représenter l'U.E. dans son ensemble là où cela s'avère utile, l'Union s'est dotée d'un Commissaire Européen au Commerce. Du fait de réserves de quelques états membres à déléguer aveuglément leur capacité à fixer des règles douanières, sanitaires, règlementaires d'accès aux marchés intérieurs sans préalablement disposer d'une définition nette de ce qu'est une marchandise ou un service, le Commissaire Européen agit dans le cadre d'un mandat accordé par le Conseil (les représentants des états-membres) sur recommandation du fameux Comité 133 évoqué plus haut. En pratique, le Conseil a toujours suivi l'avis du Comité 133 (après tout, chaque état membre définit ses représentants au Conseil *et* au Comité 133 : il est donc logique que le Conseil se comporte ici comme une simple chambre d'enregistrement).
Je crois donc ne pas être réducteur en affirmant que le Commissaire Européen au Commerce dispose d'une importante marge de manoeuvre pour définir juridiquement ce qui est ou non une marchandise aux yeux de l'ensemble des états membres de l'U.E. . A ce titre, son travail consiste, entre autres choses, à répondre au nom de vos représentants élus aux questions (à mon avis) complexes définies ci-dessus.
Je crois par ailleurs pouvoir affirmer, notamment en me référant aux débats antérieurs sur ce thème sur Publius qu'à ce jour du moins, l'Union Européenne n'a pour ainsi dire rien exclus de champs de l'éventuellement marchandable. Notamment, à l'exception de quelques décisions de le CJCE, l'Union Européenne ne s'est jamais prononcée sur la non-marchandabilité de quelque aspect que ce soit de l'éducation, la santé, la culture (malgré la récente adoption de la convention sur la diversité culturelle à l'UNESCO, voire Note 2), et encore moins sur les droits d'exploitation de ressources fossiles, droits à polluer, charges et délégations de service d'intérêt général, contrats de travail ou de service, titres de propriété intellectuelle, etc., etc. .
Pourtant, la plupart des législations nationales (et régionales dans certains cas) des états-membres sont riches de lois, règlements, normes limitant le commerce, la liberté d'entreprendre ou de commercer, au nom de divers principes juridiques ou moraux parfois abstraits ("droit à une éducation équitable pour tous", par exemple) et, au fond, toujours contestables en démocratie. La liberté de négociation du Commissaire Européen au Commerce semble donc de prime abord contraire aux droits parfois fondamentaux obtenus par les citoyens au titre du pacte fondateur de leur état, droits d'autant plus fondamentaux que ceux consentis par l'Union se résument, au fond, à la liberté de rêver qu'on pourrait librement investir si on avait de quoi faire, de rêver qu'on pourrait voyager librement, de rêver qu'on pourrait profiter d'Erasmus à condition d'avoir pu se payer les études préalables pour candidater à ce programme, de rêver qu'on pourrait entreprendre moins librement au sein de l'U.E. qu'en émigrant dans un pays moins règlementé, mais probablement plus librement que chez soi, de rêver de disposer enfin d'une femme de ménage se contentant d'un ou deux euros de l'heure en rêvant aux libertés dont elle aussi dispose au même titre que vous grâce à l'Union Européenne (zut, j'ai dérapé, pardon)
C'est pourquoi le Commissaire Européen au Commerce, dont le travail consiste notamment à tenter de trouver un compromis ressemblant à un grand marchandage (si tu laisses rentrer mes bananes dans ton pays, je laisse tes banques proposer des services financiers selon ta législation chez moi, etc...) évidemment profitable (du moins, à ses yeux) pour l'Union Européenne, mais évidemment aussi pour ses partenaires de négociation, doit tôt ou tard présenter au Conseil une proposition d'accord.
Cet accord est donc soumis au Conseil selon la règle du vote à la majorité qualifiée. J'insiste : je parle bien d'un vote à la majorité qualifiée, donc, aucun état ne dispose à lui seul d'un "droit de veto", quoi que semble en dire tel ou tel ministre.
Mais alors, me direz-vous, nos chers ministres se seraient-ils fourvoyés en prétendant qu'il était possible de défendre la PAC à l'aide d'un droit de veto qui n'existe pas ?
Le lecteur appréciera à ce stade la subtilité de son gouvernement : la France ne dispose d'aucun moyen d'interdire au Commissaire Européen au Commerce de négocier les fausses garanties accordées par la PAC à tels ou tels acteurs (fausses, car, comme ici exposé, contredites par d'autres textes de même rang, donc nulles et non-avenues). Elle dispose par contre de trois possibilités :
- La première possibilité est d'examiner la conformité du compromis ramené par le Commissaire au mandat négocié par le comité 133. Bien que j'accepte la contradiction sur ce point, l'autonomie dont ont joui les différents représentants français au comité 133 ces 8 dernières années m'incite à croire qu'il n'existe pas de chausse-trappe : mais l'avenir permettra de savoir si je me trompe.
- La seconde possibilté est de tenter de profiter d'une clause susceptible de contredire une autre règle européenne jusqu'alors non-évoquée dans cet article que l'accord tendrait à remettre en cause (par exemple, quelques exceptions sur des domaines particuliers se traitant non pas à la majorité qualifiée, mais à l'unanimité, ceci donnant alors à chaque état membre un droit de veto sur l'ensemble de l'accord au prix d'un détournement de l'esprit des règles européennes. Mais, sur ce point, je suppose que le Commissaire Européen au Commerce et ses homologues feront preuve de la plus grande prudence. Là aussi, nous verrons bien.
- La troisième possibilité consiste, pour la France, à tenter de monter une coalition visant à faire capoter le vote à la majorité qualifiée à venir. Mais il ne s'agit plus ici d'un droit de veto.
Cette analyse incite à croire que l'actuel gouvernement français devra recourir à des procédés pour le moins périlleux (parmi lesquels un certain aplomb) si son intention est bel et bien de sauver la PAC telle qu'elle est, lesquels procédés nécessiteront probablement de grands exercices rhétoriques comme, par exemple, quelques envolées lyriques sur la nécessité de défendre l'exception culturelle (vote à l'unanimité sur ce sujet, donc, droit de veto) avec pour intention indirecte de défendre la PAC. Je crois cependant qu'il serait de bonne guerre de la part de notre gouvernement de ne pas se laisser écrabouiller sans résistance par les manoeuvres des manifestement très aguerris partisans d'une révision de la PAC au sein de l'Union Européenne, par exemple, en négociant en sous-main quelques autres avancées attendues (chèque britannique, etc.). Bien entendu, vous avez remarqué que l'U.E. ne dispose toujours pas de budget pour 2007 ?
Note : bougui signale l'existence d'une prise de position critique de la confédération paysanne sur l'actuelle PAC, ce qui, dans mon esprit, démontre que le soutien à l'actuelle PAC au sein du monde agricole français n'est pas si unanime qu'on aime à le croire.
Note2 : en les termes de l'Union eux-mêmes :
"5. Cette Convention remet-elle en cause les engagements de la Communauté et de ses Etats Membres à l’Organisation mondiale du Commerce ? Quelle est l’interaction de ce texte avec les engagements à l’OMC ?
La Convention ne remet pas en cause les engagements à l’OMC. Il n'y a aucun objectif ou effet d’extraire ou d’exclure les biens et les services culturels des accords de l'OMC. La Convention reconnaît la spécificité des biens et des services culturels et légitime les politiques culturelles internes et internationales.
Cette Convention n’est pas subordonnée (ni supérieure, NDLR) à d'autres traités, mais bien sur un pied d'égalité avec, par exemple, les accords de l'OMC. Elle n’est pas en conflit mais au contraire complémentaire par rapport à ces autres accords internationaux."
Le décryptage demeure quelque peu abscons, comme beaucoup de choses qui entourent les arcanes européens. Quoi qu'il en soit sur le plan juridique, la position française sur la PAC est difficilement justifiable dans les principes dès lors que la plupart des pays européens sont favorables à une réforme d'envergure. L'Union a d'abord été un marché commun où, par définition, les politiques commerciales sont du domaine communautaire. Il sera intéressant de voir jusqu'où la France va pousser le bouchon en la matière, entre l'écueil de politique intérieure et le risque de contribuer à faire dérailler les négociations internationales du cycle de Doha.
Rédigé par : Aloysius | 06 novembre 2005 à 17:49
Aloysius: je suis absolument convaincu de la totale déconnexion dans l'esprit de l'opinion entre la politique intérieure et extérieure de la France (et donc, y compris européennes, car, en France, à mon avis du moins, les affaires européennes ont toujours été considérées comme des affaires extérieures). Je prends à temoin le fait que le président Chirac a été encensé par l'opinion pour sa gestion de la crise irakienne tout en étant, même à l'époque, très contesté en politique intérieure.
Comme le soulignait l'article précédent de Baudouin Bollaert, Tony Blair n'a ni l'intransigeance, ni l'attachement de techniciens politiques aussi talentueux que ceux dont disposait Thatcher à l'époque où elle définissait l'Europe à Bruges ( http://www.brugesgroup.com/mediacentre/index.live?article=92#britain ). Qui plus est, les temps changent : les petits états commencent à avoir réellement besoin d'europe pour assurer leur existence à terme, surtout lorsqu'ils ne disposent pas d'une langue nationale pour assurer la survie de leur indentité.
Nul concerné pourtant n'oubliera ce qu'il faut retenir de l'ère Thatcher : la brutalité en politique intérieure est dangereuse, mais parfaitement excusée en politique extérieure. Parions que ce gouvernement ne perdra pas beaucoup d'estime aux yeux de l'opinion (et risque même de regagner du terrain) en faisant preuve de fermeté s'il ne se trompe pas dans sa perception de l'opinion publique *réelle*, exercice auquel Jacques Chirac montra par le passé des talents insoupçonnés. Et n'oublions pas que le chef de ce gouvernement est un spécialiste des affaires étrangères.
Rédigé par : Gus | 06 novembre 2005 à 18:26
@Gus
Je ne suis pas un expert de l'OMC, mais il me semble que les Etats de l'Union en sont membres chacun pour soi (en plus éventuellement de la Communauté mais je n'en suis pas certain). Cela laisse donc en principe à chaque état la possibilité de mettre son véto sur un accord commercial à l'OMC, la France en particulier, de manière juridiquement valide (mais, diplomatiquement désastreuse, j'en convient).
Plus sur le fonds de votre billet, je note que vous revenez sur la question de ce que vous appelé la "marchandabilité" de domaines tels que la santé, la culture, l'éducation etc...
Vous avez raison à mon sens de dire que l'Union ne s'est pas prononcée sur la question de savoir si ces domaines relèvent d'activités commerciales (à l'exception de la sécurité sociale, pour laquelle il y a un arrêt de la Cour).
Et ce pour une raison assez simple: il n'y a aucun doute que ce sont des activités commerciales. Il y a des marchands de livres, disques, scupltures, des cours privés et des écoles payantes. Et aussi des cliniques privées, des infirmières à leur compte, etc etc. Bref: autant d'activités ou une personne propose un service à une autre contre paiement. On appelle ça du commerce (le fait que ce mot ait pris une connotation péjorative en France trouble malheureusement le débat à cet égard).
La vrai question est: sont-ce des activités commerciales commes les autres? C'est à dire, doit-on et peut-on prévoir des dérogations aux règles habituelles de concurrences pour ces activités?
C'est une toute autre question.
Rédigé par : Burt Allibert | 07 novembre 2005 à 09:39
Vous écrivez que l'Union Européenne ne s'est jamais prononcée sur la non-marchandabilité de la culture
Elle a pourtant pris position sur cette question en signant la "Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles" adoptée le 20/10/2005 dans le cadre de l'UNESCO (plus précisément c'est la Communauté européenne qui a signé cette convention, l'Union n'ayant pas la capacité juridique de le faire). La convention affirme que "les activités, biens et services culturels
ont une double nature,économique et culturelle" et "parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens...ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale". Elle reconnaît et légitime le rôle des politiques publiques dans la protection et la promotion de la diversité culturelle. Si elle ne peut pas modifier les accords de l'OMC, en revanche ses objectifs et ses dispositions devront être prises en compte lors des négociations commerciales, ainsi que dans l'application et l'interprétation des accords commerciaux. C'est pourquoi elle constituera (une fois ratifiée) un instrument juridique important au service de la défense de l'"exception culturelle".
Rédigé par : Domaguil | 07 novembre 2005 à 15:28
Domaguil: Effectivement, je n'avais pas remarqué que cette récente annonce pouvait peut-être changer quelque chose à la marge de manoeuvre de la Commission Européenne quand à la marchandabilité des biens culturels. Intuitivement, je reste cependant sceptique dans ce secteur comme dans le domaine de l'assurance maladie ou de l'éducation, au sujet desquels la CJUE s'est parfois prononcé. Plus exactement, j'attends que la Commission Européenne exploite sa prérogative exclusive (et maintes fois revendiquée comme telle) de rédacteur unique de la règle européenne en proposant une transposition de ces principes en règles explicites de l'Union.
Burt: Je doute que votre absence de doutes fasse suffisamment l'unanimité pour se dispenser d'une expression explicite. Après tout, le commerce des livres est très règlementé dans de nombreux états membres. La Suède s'émeut régulièrement de voir sa législation protégeant les enfants des émissions de télévision inadaptées bafouée par des entreprises émettant en suédois depuis les iles britanniques. Vous n'ignorez pas, j'imagine, que nombre d'enseignements et de formations même strictement professionnalisantes sont très règlementés à peu près partout en europe (médecine, techniques, dogmes et enseignements règlementés). Mais pour en revenir à nos moutons, je voudrais faire une remarque de bon sens : l'U.E. ne saurait ouvrir largement aux acteurs économiques d'outre-atlantique ou d'asie des secteurs économiques pour lesquels le commerce n'est pas explicitement règlementé (ou "harmonisé" pour reprsendre une terminologie moins choquante aux oreilles des libéraux) au sein du marché intérieur et ce, pour une raison simple : cela reviendrait à fausser la concurrence à l'intérieur du marché européen en faveur soit des fournisseurs nationaux (devenus libres d'importer depuis l'extérieur de l'U.E. pour re-commercialiser sur leur marché national sous leur drapeau, comme le font par exemple certains groupes agro-alimentaires), soit de fournisseurs extra-européens devenus capables de s'implanter directement à l'intérieur des états-membres alors que les sociétés appartenant aux états-membres voisins se retrouveraient gênés pour opérer par des règlementations particulières aux deux nations considérées (comme le font par exemple certaines sociétés financières extra-européennes commercialisant librement leurs services à l'intérieur du R-U là où leurs concurrents européens sont parfois entravés par leur règlementation nationale ou leur structure propre).
Les partisans du libre-échange commettent donc une énorme erreur en s'imaginant que l'absence de législation explicite sert le libre-échange. Bien au contraire, une analyse tout à fait superficielle permet de conclure que la promotion du libre-échange entre l'U.E. et le reste du monde sans harmonisation des règles commerciales au sein du marché intérieur *défavorise économiquement les états membres sur les marchés des autres états membres*. Et puisque chacun des 25 gouvernements peut mener cette analyse, il est inutile d'espérer que les travaux de l'OMC avancent sans avancées préalables sur la règlementation, pardon, l'harmonisation des règles au sein du marché intérieur (du fait des chicaneries de tel ou tel état membre soucieux de ne laisser passer que les déséquilibres en sa faveur introduit par la libéralisation d'un secteur donné).
Et, encore une fois, cette harmonisation est une prérogative exclusive de la Commission Européenne. Bien entendu, comme l'a montré le débat sur la directives services, il s'avère que l'opinion publique réagit généralement assez mal lorsqu'une proposition de libéralisation explicite d'un secteur est proposée par l'actuelle Commission Européenne (ou la précédente, d'ailleurs). On peut avoir différentes opinions sur cet état de fait, mais on peut aussi se contenter de constater un divorce, et se demander si la construction européennne peut avancer en se reposant sur un mécanisme qui nomme comme Commissaires Européens des personnes en lesquelles les citoyens européens ne se reconnaissent pas (constat qu'on peut certes chercher à contourner en "communiquant", comme le soulignait Emmanuel dans un billet précédent, puisqu'il est probablement difficile pour les membres de la Commission de renier leurs convictions alors même que c'est souvent sur la base de convictions lisibles et affirmées qu'on les choisit).
Rédigé par : Gus | 07 novembre 2005 à 22:06
Burt: Si j'ai bien compris (me détromper au besoin) les engagements des états membres vis à vis de l'U.E. se cumulent avec ceux vis à vis de l'OMC. Donc, un pays membre de l'OMC et de l'U.E. votant à l'OMC d'une manière différente que celle découlant d'une position commune de l'U.E. dans le cadre de ses compétences "vraiment exclusives" violerait ses engagements vis à vis de l'U.E. (mais j'avoue ignorer quelles seraient les conséquences d'une telle violation d'un traité international ?).
Rédigé par : Gus | 07 novembre 2005 à 22:51
Gus,
Sur les rapports OMC/UE, je crois que vous décrivez plutôt bien la situation. Un véto à l'OMC violerait certainement le traité CE, mais d'une façon tellement atypique que les répercutions légales seraient vraiment difficiles à définir. Par contre, bonjour la crise diplomatique.
Sur la question des marchandises, je ne suis en réalité par si éloigné que ça de votre position. Je suis en particulier bien d'accord sur le fait que tout marché doit être régulé d'une façon ou d'une autre. Certains plus, certains moins, tout étant une question de dosage et d'opinion politique. C'est aussi sans doute liée globalement au besoin de protection du consommateur et au besoin de préserver les fonctions essentielles de l'Etat.
Si je me suis exprimé de manière un peu provocatrice, c'est parce que je de temps en temps fatigué d'entendre les uns et les autres se retrancher derrière des slogans du genre "mon domaine d'activité n'est pas une marchandise", alors qu'ils sont par exemple en tournée de promotion pour attirer plus de clients vers leur dernière oeuvre.
Pourquoi dites-vous que l'harmonisation est une prérogative exclusive de la Commission?
Il me semble que la matière est règlée par les articles 94 et suivants du traité CE, qui donnent au contraire cette compétence au seul Conseil. Ce sont les règles de concurrences qui sont (et encore, avec certaines restrictions) prérogatives de la Commission. Elle ne permette cerainement pas d'harmonisation.
D'ailleurs, il y a une jurisprudence célèbre de la Cour qui a empêché la Commission d'utiliser les règles concernant les aides d'Etat pour conduire à une harmonisation fiscale. La Cour disait justement que la Commission ne pouvait faire ceci à cause du fait que le traité ne lui donne pas les mêmes compétences pour l'harmonisation.
Pour finir, je trouve que vous soulevez un débat très intéressant sur les risques liés à une trop grand accès de nos marché à des sociétés de pays tiers. A première vue, j'étais assez d'accord avec vous sur le fait que l'absence de réglementations dans les pays tiers pourrait poser des problèmes à nos propres sociétés. Mais je me pose la question suivante: l'OMC dispose-t-elle de moyens légaux qui empêcheraient les pays qui la forment d'imposer leur propre réglementation aux produits/services importés de pays tiers? Cela existe dans l'Union, la Cour pouvant faire supprimer toutes les formes de restrictions quantitatives ou mesures équivalents. Mais il me semble que l'OMC ne dipose quand à elle que des codes antidumping et antisubvention, ce qui est beaucoup moins fort. Je suis vraiment chercheur d'information à cet égard. A discuter en tout cas.
Rédigé par : Burt Allibert | 08 novembre 2005 à 10:01
Burt: concernant la question de l'harmonisation, je partage votre point de vue pour la définition juridique du terme "harmonisation" (que je traduirais en langue commune par "harmonisation par le haut"), mais pas pour la définition en langue commune (qui, outre la libéralisation/dérèglementation peut inclure une stratégie d'identification du plus petit dénominateur commun aux législations existantes, c'est à dire, une sorte de "comitologie à rebours"). Par ailleurs, je remarque qu'en pratique, seule la commission peut initier la création d'organismes redondants avec des organismes nationaux (l'office européen des brevets, par exemple), et les mettre en concurrence avec les organismes nationaux (INPI en .fr, par exemple) dans leur ensemble.
je crois effectivement que la question de la protection du consommateur est une question-clé, surtout si on veut bien l'élargir à des questions de santé publiue comme par exemple le trafic aérien, routier, les OGMs, les autiorisations de mise sur le marché, etc. C'est alors qu'on constate avec amertume le positionnement au fond opposé à la construction européenne du président Barroso, qui a estilmé devoir mettre fin aux travaux relatifs à quelques dizaines de directives, dont un bon nombre de directives relatives à ces aspects.
Je crois cependant qu'il ne faut pas réduire les militants altermondialistes à leurs slogans les plus fructueux, tout aussi détournés de leurs fins initiales que quelques célèbres principes du libéralisme économique. Je constate avec amusement que nombre d'acteurs politiques de premier plan vocifèrent simultanément à la fois contre une vision étriquée du libéralisme et une vision tout aussi étriquée de l'altermondialisme, sans pour autant daigner débattre des conséquences parfois néo-colonialistes des dogmes proches à l'idéologie du capitalisme financier et du libre échange généralisé.
Rédigé par : Gus | 09 novembre 2005 à 18:33
@Gus C'est la Commission qui a créé l'office européen des brevets? Moi qui croyait que c'était encore un de ces trucs intergouvernementaux (si, vraiment !)
Sinon tout à fait d'accord sur le fait que certains types d'"harmonisation" que nous avons vu dernièrement, par exemple la directive services, lorsqu'ils sont basés sur le principe du pays d'origine, sont en réalité des antiharmonisations. Cet esprit est le contraire de celui de la constition d'une Communauté, justement.
Plus que d'une volonté de nuire de tel ou tel Commissaire ou Président, je crois que celà provient plutôt d'une forme de recherche de la facilité, avec, souvent, sans doute sincèrement de la part de la plupart, la conviction que la facilité et l'efficacité se confondent.
Rédigé par : Burt Allibert | 09 novembre 2005 à 21:14
Burt: Hmmm ... je crois que vous avez raison :
" The European Patent Organisation
* Established by the Convention on the Grant of European Patents (EPC) signed in Munich 1973, the EPO is the outcome of the European countries' collective political determination to establish a uniform patent system in Europe."
Bon, je crois qu'il va falloir que je révise cet argument-là dans mon matériel de démolition de la Commission Européenne . Le truc a effectivement été créé par les états-membres (l'ancêtre du Conseil, donc.)
Rédigé par : Gus | 09 novembre 2005 à 22:58
Réfléchir aussi fort et avec autant de mots c'est pas mal. Maîtriser les arcanes juridiques sur le quart de la moitié d'un sujet c'est essentiel. Anticiper et tenter de prévoir c'est important, c'est même gouverner comme dit le président du conseil général de mon département au sujet d'un aéroport en prévision. ('culé)
Mais connaître les conséquences sociales des politiques, celles-là même sur lesquelles on passe des heures et des journées pour se permettre de l'analyser, de la comprendre et d'en faire part au copains, c'est bien aussi.
S'intéresser à la manière dont les agents qui se voient soumis à l'application des politiques vivent cette dernière, c'est encore mieux; mais s'y intéresser au-delà de colonnes de chiffres, de statistiques, s'y intéresser autrement que comme un sujet d'étude ou une variable à rasonnablement prendre en compte...
La mauvaise économie oublie les coûts sociaux et environnementaux de ses actions pitoyables.
C'est pourquoi je me permet de mettre ici ce lien qui consiste en un article de la confédération paysanne sur la PAC.
http://www.confederationpaysanne.fr/article.php3?id_article=663
avec mes excuses pour le ton moralisateur il est tard je fatigue
Rédigé par : bougui | 13 novembre 2005 à 23:31
"l'Union Européenne ne s'est jamais prononcée sur la non-marchandabilité de quelque aspect que ce soit de l'éducation, la santé, la culture, et encore moins sur les droits d'exploitation de ressources fossiles, droits à polluer, charges et délégations de service d'intérêt général, contrats de travail ou de service, titres de propriété intellectuelle, etc., etc."
Ah bon? Voici un lien internet pour vous eclairer sur la position de l'UE vis-a-vis des biens culturels:
http://europa.eu.int/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/05/387&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en
C'est bon de soulever certains sujets, mais il faut aussi savoir s'informer.
Rédigé par : Tof | 15 novembre 2005 à 12:37
Tof: je prends bonne note de votre observation et modifie mon article en conséquence.
Rédigé par : Gus | 15 novembre 2005 à 16:33
Je regrette le temps du débat sur le TECE au printemps dernier. C'était loin de la morne plaine de publius d'aujourd'hui. Les spécialistes sont retournés entre spécialistes, publius se flatte et s'auto-flaire le cul de pouvoir ou d'avoir gagner un prix de merde au sujet de je ne sais quel concours extraordinaire et unique apporté à la démocratie (ahah), et je vous assure, vu le bordel que ça a foutu et le nombre de genoux qui ont tremblé de peur angoissé ou de rage ou des deux, on n'est pas près de redemander son avis au peuple, cette notion abstraite et flou mais pas suffisemment pour ne pas dire qu'il est dangereux.
Le printemps 2005 voyait insultes, réactions, discussions, paroles excessives, parfois nulles parfois pas, analyses justes et minables, échange électrique entre gens qui ne se parlent jamais d'habitude.
Ca s'est produit et ça n'est pas près de se reproduire. Merde-euh.
Rédigé par : bougui | 15 novembre 2005 à 23:14
merde-euh, je suis encore hors-sujet
Rédigé par : bougui | 15 novembre 2005 à 23:15
Bougui: rassurez-vous : vous aurez l'occasion de remettre le couvert en 2007 (présidentielles) 2008 (élections probablement reportées du fait du trop grand n'ombre d'élections en 2007), puis à l'occasion de chaque référendum en vue de l'adhésion d'un nouvel état membre comme promis par Jacques Chirac (oui, enfin, bon..). Et puisqu'il y a 5-6, voire 8 adhésions en vue...
J'espère que vous ferez partie de ceux qui poseront aux candidats à la présidentielle des questions précises sur leur vision du rôle de la France au sein de l'U.E. dès l'an prochain ?
En attendant, le positionnement français sur REACH ou l'OMC a déjà de quoi bien ennuyer l'administration ou les quatre ou cinq derniers derniers gouvernements français. Mais ne vous faites pas trop d'illusion : le principe même d'une bonne politique est de choisir l'instant et l'objet du débat. Par exemple, éluder l'évolution de la répartition des fruits de la croissance pour n'aborder que la question des déficits publics.
Rédigé par : Gus | 16 novembre 2005 à 04:58
GUs,
Attention, ce que vous dites est peut être juste puisqu'à l'adresse à laquelle tof vous renvoit, il est dit:
"5. Cette Convention remet-elle en cause les engagements de la Communauté et de ses Etats Membres à l’Organisation mondiale du Commerce ? Quelle est l’interaction de ce texte avec les engagements à l’OMC ?
"La Convention ne remet pas en cause les engagements à l’OMC. Il n'y a aucun objectif ou effet d’extraire ou d’exclure les biens et les services culturels des accords de l'OMC. La Convention reconnaît la spécificité des biens et des services culturels et légitime les politiques culturelles internes et internationales. "
Rédigé par : DG | 16 novembre 2005 à 08:30
DG: J'en prends très bonne note, en effet.
Rédigé par : Gus | 16 novembre 2005 à 23:38
Attention DG et Gus!
Dans votre texte initial, vous dites que l'UE ne s'est jamais prononcée sur la non-marchandabilité de la culture.
Mais le lien que je vous est indiqué montre bien la position de l'UE sur le sujet:
Les biens culturels sont des biens marchands. Ce que la Convention permet, c'est de subventionner le secteur culturel.
En terme d'équivalence, c'est comme les subventions de la PAC pour l'agriculture. Sauf que ces subventions agricoles sont dénoncées par de nombreux pays en développement et les USA.
D'ailleurs, les USA étaient opposés à la convention de l'Unesco, car elle permet des subventions à la culture qui, en termes de marché, représente de la concurrence déloyale.
En gros, ce que l'UE dit, c'est: "ok, les biens culturels sont des marchandises, mais pas n'importe quelle marchandises, et si vous voulez envahir nos marchés, ne vous attendez pas à faire face à une concurrence normale".
Rédigé par : Tof | 17 novembre 2005 à 11:45
Un dessin sur l'OMC ici :
http://www.local.attac.org/paris19/article.php3?id_article=104
Rédigé par : omc en images | 01 décembre 2005 à 17:59