Un lecteur de Publius nous interroge, citant divers articles du Traité CE relatifs à la libre circulation des marchandises : « Je fais suite aux annonces faites dans les divers journaux concernant la limitation de l'importation par des particuliers du nombre de cigarettes achetées à l'étranger, dans un autre Etat membre. Est-ce que le projet de loi qui doit être voté le 2 novembre n'est pas une violation de nos droits européens ? ».
Mais pour en revenir à nos moutons : comment ce fait-il que l’on ne puisse pas librement faire circuler les cigarettes au sein de l’Union européenne ?
Commençons par le début : comme le rappelait encore récemment Emmanuel, l’Union européenne est une union douanière.
A l’égard des marchandises venant de l’extérieur, elle applique un tarif douanier commun : quel que soit l’État membre par lequel pénètre la marchandises non-européenne, elle sera soumise aux même droit de douane, fixé au niveau communautaire.
Pour les marchandises qui se trouvent à l’intérieur de l’union douanière, elles circulent librement. Elle ne peuvent être soumises ni a des droits de douane (ou des taxes qui auraient un effet équivalent en ne frappant que les produits non nationaux), ni à des restrictions quantitatives (quotas, ou tout autre restriction, directe ou indirecte, à l’entrée de marchandises dans un État membre).
En d’autres termes et en principe, du point de vue des marchandises, il n’y a pas de différence entre circuler sur le territoire français, ou circuler sur le territoire européen.
Bien entendu, les choses ne sont pas aussi simple, dès lors que les Etats parties à l’union douanière ne sont pas des petits Etats moyen-âgeux culturellement homogènes, mais des Etats développés, hautement sophistiqués et dont les spécificités culturelles sont très marquées. Chaque État a en effet développé une réglementation complexe de l’économie, touchant les produits et les méthodes de commercialisation.
Une question se pose alors assez rapidement : à partir de quand peut-on considérer qu’une mesure restreint la libre circulation des marchandises ?
Exemple : une règle belge obligeait les producteurs de margarine à présenter leur produit sous la forme cubique, et ce afin d’éviter que le consommateur ne se méprenne dans les linéaires des commerces et n’achète de la margarine à la place du beurre. Cette loi ne restreint-elle pas indirectement la libre circulation de la margarine ? La cour de justice des communautés européennes a jugé qu’il s’agissait là d’une mesure restrictive interdite : imaginez que chaque État membre ait prévu sa forme spécifique pour la margarine. Celle-ci ne pourrait jamais dépasser les frontières d’un État, interdisant la création du (tant attendu) Marché Unique de la Margarine.
Mais à partir de là, on interdit aux Etats membres toute forme de réglementation portant sur les produits et leurs modalités de vente.
C’est pourquoi la première grande exception à la libre circulation des marchandises réside dans les mesures restrictives prises dans un but légitime (santé publique, moralité publique, protection du consommateur, protection de l’environnement, etc.), dès lors qu’elles sont strictement proportionnées au but poursuivi.
C’est ainsi, par exemple, que l’obligation de marquer « Nuit gravement à la santé » sur les paquets de cigarettes constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative. Mais elle se justifie par de légitimes considérations de santé publique, et que la mesure ne dépasse pas ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif affiché. On peut même dire, sans risquer d’être contredit, que la mesure est bien loin de même atteindre le minimum nécessaire pour atteindre l’objectif affiché, mais c’est une autre question.
De même, il a été jugé qu’une interdiction d’importation frappant des poupées gonflables pouvait être légale au regard du Traité CE : il s’agit d’une règle fondée sur la moralité publique, qui est un objectif tout à fait légitime pour la Cour.
Alors, les limitations à l’importation des cloppes : mesure d’effet équivalent ? restriction justifiée ? ni l'un, ni l'autre ?
La suite au prochain épisode.
Question: est-il par exemple imaginable qu'un état édicte des règles contrevenant à des autorisations explicites de mise sur le marché européen prises par la Commission Européenne, par exemple, motivée par des objectifs de santé publique. Je pensais, par exemple, à ceux des OGMs dont la libre circulation et la commercialisation a été explicitement autorisée par la Commission. Un état membre peut-il contredire une décision explicite existante ?
Rédigé par : Gus | 23 novembre 2005 à 07:31
Dès lors qu'une marchandise, un secteur d'activité ou une profession a fait l'objet d'une harmonisation au niveau communautaire, c'est la réglementation qui harmonise qui va trouver à s'appliquer, et non plus les règles générales du Traité.
En effet, soit c'est les Etats membres qui font l'arbitrage entre les exigences du marché intérieur et les autres problématiques d'intérêt général, soit c'est la Communauté. Une fois que l'arbitrage communautaire a été fait, il ne peut plus être remis en cause par les Etats membres : c'est le principe même d'un arbitrage au niveau supra-national.
Si ce principe ne s'appliquait pas, alors autant ne pas harmoniser les règles applicables au produits et aux professions.
Rédigé par : Gagarine | 23 novembre 2005 à 11:21
Vous écrivez que l’obligation de marquer « Nuit gravement à la santé » sur les paquets de cigarettes constitue une mesure d’effet
équivalent à une restriction quantitative. Ce n'est pas le cas car il s'agit en fait de l'application des dispositions de la directive européenne 2001/37 du 5/6/2001 relative au rapprochement des dispositions législatives...des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac (Journal officiel L 194 du 18/07/2001).
Il n'existe pas de limite en ce qui concerne ce que les particuliers peuvent acheter et emporter lorsqu'ils voyagent dans l'Union,du moment que les produits achetés sont destinés à l'usage personnel. Mais pour certains produits (les cigarettes,par ex.) les états peuvent fixer des niveaux indicatifs en deça desquels l'usage personnel est présumé. Cependant ils ne peuvent pas fixer des niveaux trop bas. Pour les cigarettes le niveau ne peut pas être inférieur à 800. Plus de détails à la page de l'Union européenne suivante:
http://europa.eu.int/comm/taxation_customs/
common/travellers/within_eu/index_fr.htm#
Par conséquent le projet de loi française risque d'être contraire au droit communautaire et censuré comme tel par la Cour de justice des Communautés européennes s'il venait à être appliqué.
Rédigé par : domaguil | 23 novembre 2005 à 21:43
@domaguil :
La directive 2001/37 ne concerne-t-elle pas plutôt les expressions du genre "Fumer tue" ? L'expression "Nuit gravement à la santé" est antérieure à cette date il me semble, et était bien du ressort de la législation française.
Sinon, je partage votre conclusion. Mais attendons de voir ce que Gagarine en dira.
Rédigé par : Damien | 23 novembre 2005 à 22:54
J'aurai dû choisir un autre exemple que le "nuit gravement à la santé", c'est vrai.
Par exemple : le fait d'interdire d'imprimer des indications telles que "10% de produit en plus" sur des barres chocolatées constitue une mesure d'effet équivalent.
En attendant, l'obligation de porter cette indication sur les paquets de cigarette, si elle n'avait pas été prévue par une législation communautaire, aurait dû être constitutif d'une mesure d'effet équivalent.
Pour le reste, c'est ce qu'on appelle un spoiler, et c'est pas cool :)
Rédigé par : Gagarine | 24 novembre 2005 à 00:03
Désolée gagarine, dans mon élan j'ai anticipé sur la suite de votre article; vous avez raison "c'est pas cool":-)
Mais je vois que nous en arrivons à la même conclusion sur cette question: c'est déja ça!
damien, les mentions générales prévues par la directive 2001/37 sont "fumer tue/peut tuer", ou "Fumer nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage".
Rédigé par : domaguil | 24 novembre 2005 à 18:20
Je pense que votre réponse se trouve ici:
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/06/860&format=DOC&aged=1&language=FR&guiLanguage=en
Il y est clairement expliqué que:
"La législation européenne autorise les particuliers à importer, sans frais supplémentaires, des marchandises soumises à accises (tabac et boissons alcoolisées) pour lesquelles la taxe a été payée dans un autre État membre, à condition qu'ils transportent eux mêmes ces marchandises, qui doivent être destinées à leur propre consommation. Ces dispositions ne s’appliquent pas si les marchandises sont achetées pour le compte d’un tiers."
"Exit" donc les limites fictives imposées par les gourvernements ...
Rédigé par : Philippe Raviart | 14 août 2010 à 16:54