Voici la troisième publication de la chronique de Baudoin Bollaert, en partenariat avec EuropaNova. Réactions et débats en fin d'article.
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Il y a quelques années de cela, un Jacques Chirac badin avait déclaré à Wim Kok médusé : « Moins il y a de commissaires et mieux on se porte ! ».
Il s’agissait de justifier auprès du Premier ministre néerlandais la proposition française - cohérente, au demeurant - de limiter le nombre des commissaires européens à une vingtaine au maximum, quel que soit le nombre des Etats membres.
Hélas, le chef de l’Etat avait surtout trahi, en la circonstance, sa profonde méfiance envers le collège bruxellois…
Le temps est passé et cette méfiance ne s’est pas atténuée.
Depuis l’arrivée à la tête de la Commission de José Manuel Barroso, on ne compte plus en effet les incidents entre Bruxelles et Paris. Au petit jeu du « Si tu me cherches, tu me trouveras », le président français et l’ancien numéro un portugais sont passés maîtres. Et comme M.Barroso est parfaitement francophone, il est difficile de parler d’incompréhension ou de « regrettables malentendus »…
En gros, Jacques Chirac reproche au patron de la Commission d’être trop libéral, trop proche du monde anglo-saxon (n’avait-il pas organisé, alors qu’il dirigeait encore le gouvernement portugais, le sommet des Açores sur l’Irak avec George Bush, José Maria Aznar et Tony Blair ?) et trop à l’écoute des « petits pays » qui composent l‘Union…
José Manuel Barroso, lui, n’est pas loin de penser que la France est schizophrène, qu’elle n’en finit pas de méditer sur son déclin, qu’elle veut tout et le contraire de tout et que son credo pourrait être : « Faites ce que je dis, ne dites pas ce que je fais ».
Parmi les nombreuses escarmouches de ces derniers mois, on en retiendra deux : d’abord, au beau milieu de la campagne référendaire sur le projet de traité constitutionnel, l’intervention de l’Elysée auprès de la direction de France 2 pour que José Manuel Barroso ne participe pas, comme cela était prévu, à l’émission télévisée « 100 minutes pour convaincre ». On était en plein psychodrame sur la directive Bolkestein et Jacques Chirac considérait que le président de la Commission ne savait tenir ni sa langue, ni ses troupes…
Ensuite, plus près de nous, l’échange musclé entre les deux hommes à propos de l’affaire Hewlett-Packard. Après que Jacques Chirac eût accusé publiquement la Commission de se « désintéresser » des problèmes d’emplois, bref des délocalisations et des dossiers sociaux, José Manuel Barroso avait répliqué dans le journal Le Monde en ces termes: « Je crois qu’il existe une éthique de la responsabilité européenne qui nous oblige à expliquer aux citoyens ce que chacun peut faire et j’appelle les hommes politiques à respecter cette éthique ». Le président de la Commission avait même ajouté qu’il avait proposé, quelque temps auparavant, « la création d’un fonds pour faire face aux effets de la mondialisation et que ce fonds avait été refusé par certains Etats, dont la France ».
Dans ce contexte, chaque décision - comme la toute récente nomination de nouveaux directeurs généraux ou directeurs généraux adjoints à la Commission - est étudiée à la loupe et pesée au trébuchet à Paris. La France gagne-t-elle ou perd-elle en influence ? Pour l’instant, elle reste bien lotie avec cinq directeurs généraux sur trente-cinq. Son commissaire, Jacques Barrot, est également vice-président du collège. Et il faut rappeler que deux autres Français occupent des fauteuils-clé : Jean-Claude Trichet dirige la Banque centrale européenne à Francfort et Pierre de Boissieu, en tant que secrétaire général adjoint auprès de Javier Solana, est la cheville ouvrière du Conseil de l’Union.
La vérité oblige à dire, néanmoins, que l’époque Delors est révolue et que, dans une Union qui compte maintenant vingt-cinq pays, il faut faire de la place à tout le monde ! La Commission n’est pas plus « anti-française » aujourd’hui qu’elle ne l’était, hier, sous la présidence de Romano Prodi ou de Jacques Santer. Mais elle n’est pas « pro-française » pour autant. Et si elle est, aux yeux de certains, trop « libérale », c’est qu’elle est tout simplement l’émanation des gouvernements en place. N’oublions pas que les commissaires sont désignés par les Etats membres, même si le Parlement européen peut parfois les récuser !
La Commission était la moins bien servie des trois grandes institutions européennes dans le projet de traité constitutionnel. D’une certaine façon, le rejet de celui-ci la renforce dans sa centralité. Gardienne des traités existants - du traité de Rome de 1957 au traité de Nice de l’an 2000 - elle incarne la continuité en rappelant que le double « non » français et néerlandais n’a pas créé de vide juridique. Elle incarne aussi le mouvement par sa volonté de moderniser les politiques communes. Elle incarne enfin l’ouverture puisqu’elle gère le processus d’élargissement sur mandat du Conseil.
Oh, bien sûr, le collège bruxellois n’est qu’un rouage de la machine. Or la machine est sérieusement grippée. On dit l’Europe en crise et les Cassandre n’ont pas forcément tort. Mais, comme le répète M.Barroso, il faut parfois prendre un peu de recul. Il y a 60 ans, les Européens sortaient d’un conflit mondial terrible et découvraient les horreurs de l’Holocauste. Il y a 50 ans, la guerre froide s’installait sur le Vieux continent. Il y a 40 ans, Franco, Salazar et les colonels régnaient en maîtres en Espagne, au Portugal et en Grèce, tandis que les dictatures communistes confortaient leur pouvoir à l’Est de l’Europe. Il y a 20 ans, l’Urss pointait ses missiles nucléaires sur l’Allemagne. Il y a une douzaine d’années, les Balkans s’embrasaient de nouveau… Oui, l’Europe déçoit, l’Europe piétine, l’Europe se chamaille, mais l’Europe a traversé des périodes autrement plus difficiles que celle qu’elle connaît aujourd’hui. L’échec du projet constitutionnel et le sentiment de paralysie qui en découle ne sont peut-être que des péripéties. Le Vieux continent en a vu d’autres…
Sans volonté politique, il est vrai, l’Union risque de s’immobiliser longtemps comme un voilier dans la pétole. Mais le pire n’est jamais sûr. Regardons le concept d’Europe puissance : il est loin d’être seulement l’affaire des Chefs d’Etat et de gouvernement, des diplomates et des experts militaires. José Manuel Barroso a raison de souligner que l’Europe puissance n’existera jamais avec vingt-cinq mini-marchés de l’électricité, des chemins de fer ou des services… Elle passe donc par la consolidation du marché unique et la maîtrise de la mondialisation, deux secteurs où, là encore, le rôle déterminant de la Commission n’est plus à démontrer.
Jacques Chirac doit donc enterrer la hache de guerre avec la Commission, en finir avec la politique facile du bouc émissaire. Et M. Barroso, plutôt que de jouer au censeur, doit mettre le collège bruxellois au service des Etats membres en difficulté de façon plus visible qu’aujourd’hui. Sur les perspectives financières de l’Union, sur la Turquie, même sur la PAC et le mandat du commissaire au commerce, Peter Mandelson, les positions des deux hommes sont assez proches. Alors à quand le calumet de la paix ?
Baudouin Bollaert
Conseiller éditorial d’EuropaNova
Cet agenda européen, comme d'autres documents mis en ligne ne sauraient refléter une quelconque prise de position d'Europanova : les propos qui y sont tenus n'engagent que son auteur.
C'est curieux : il me semblait vraiment que les Commissaires européens étaient choisis par le Président de la Commission et pas par les états membres.
Mais, si tel n'est pas le cas, pourquoi y-a-t-il eu tant de difficultés avec Butiglione ? C'était Berlusconi qui voulait tant que ça le conserver ?
Rédigé par : Gus | 23 novembre 2005 à 07:35
Ce sont bien les Etats Membres qui choisissent leurs Commissaire (voir à cet effet l'article 241(2) du Traité CE).
En principe, ils sont sensés faire des "propositions" au Conseil et au Président, mais, à ma connaissance, il est bien rare qu'il y ait plus d'un candidat proposé par poste... Et puis de toute façon, comme le Conseil est encore la à censurer les avis du Président, en pratique, son avis n'a pas vraiment d'importance. Bien sûr, pour Butiglione, c'est Berlusconi qui tenait à le mettre à Bruxelles, je crois surtout pour des raisons de politique interne.
Ce procédé de choix des Commissaire est évidemment très contestable à mon goût car elle relève du mélange des genre entre intergouvernemental et communautaire. Ca peut à la rigueur marcher lorsque les dirigeants des Etats Membres ont suffisamment de hauteur de vue pour nommer des gens connus pour leur indépendance d'esprit.
Mais on connait bien la musique : ce n'est pas aujourd'hui que ça changera, car avoir une Commission faible est précisément un objectif à atteindre pour certaines familles de pensée politique (qui ne sont d'ailleurs par représentées que dans ses Etats insulaires...) .
Rédigé par : Burt Allibert | 23 novembre 2005 à 08:53
Conclusion: Heureusement que la France a un bon Commissaire avec Jacques Barrot, sinon ce serait la merde!
De tps en tps faut quand même dire merci aux mecs discrets grâce auxquels les choses fonctionnent quand même. Merci Jacques Barrot!
Rédigé par : googlr | 23 novembre 2005 à 12:50
Shorter:
L'Europe peut surmonter la petite crise actuelle, à condition que Chirac et Barrosso se reconcielent, et que l'on continue à créer un grand marché commun.
Vive l'Europe!
Rédigé par : Michaël P. | 23 novembre 2005 à 14:33
EFFECTIVEMENT BARROT ME SEMBLE ETRE LE SEUL MOYEN DE RECONCILIER DURABLEMENT PARIS ET BRUXELLES...
Rédigé par : brice | 23 novembre 2005 à 14:38
brice: c'est bizarre, malgré 6 grèves de la SNCF en France cette année, on entend pas beaucoup parler du commissaire européen aux transports. Bon : vous me direz, on ne le voit guère non plus agir concernant la proposition de la Generalidad de Catalunya de prolonger la ligne de train à grande vitesse de Figueras à Montpellier, ce qui poserait le précédent amusant de voir une région espagnole faire des travaux publics sur le sol français. L'Europe des transports, c'est quoi, déjà ?
Rédigé par : Gus | 23 novembre 2005 à 17:15
Gus: "Generalitat" si us plau
Rédigé par : Achille | 23 novembre 2005 à 17:35
Achille: Oups ! Désolé d'étaler ainsi mon ignorance.
Rédigé par : Gus | 23 novembre 2005 à 20:20
@Gus :
J'entendais Barrot pas plus tard que ce matin sur France Info... :o)
Il évoquait les nouvelles mesures concernant la sécurité du transport maritime (post-Erika et Prestige). Quelques infos ici :
http://europa.eu.int/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/05/1457&format=HTML&aged=0&language=fr&guiLanguage=en
Rédigé par : Damien | 23 novembre 2005 à 22:59
@damien
1/ ca me fait honte que l'on foute de vieux guignol comme Barrot a la commission
2/ ces " nouvelles mesures", sont l'archetype de l'inutilite europeenne :
- qui navigue avec un pavillon european ?
- il faudrait environ 2o fois plus de controleur pour mettre cette legislation en route, donc quaduc par principe
- pour les degazages, l'amende coute encore moins cher que de le faire au port.
barrot etait le porte parole ideal pour ces "nouvelles mesures" dont il n'est en rien responsable.
Rédigé par : fredouil | 24 novembre 2005 à 06:07
Petit éclaicissement sur les mesures nouvelles contre les navires poubelles:
Vous pouvez consulter:
http://www.fenetreeurope.com/php/page.php?section=actu&id=4893
Voilà pour ceux qui n'auraient pas encore réalisé qu'avec Barrot au moins les choses changent et que la France à Bruxelles c'est vos plages propres!
Rédigé par : brice | 25 novembre 2005 à 11:34