Voici le deuxième agenda européen de Baudoin Bollaert, en partenariat avec EuropaNova. Bonne lecture et commentaires.
In vino veritas : en offrant à ses hôtes, le 27 octobre dernier dans le château d’Hampton Court, un Pomerol Le Pin millésimé 1986, cru prestigieux à plus de mille euros la bouteille, Tony Blair voulait peut-être vérifier la pertinence du vieil adage latin…
Hélas pour lui, l’unique vérité qui a jailli de ce « brainstorming » européen ressemble à un camouflet pour la présidence britannique. En quatre mois, son bilan s’est limité au lancement des négociations d’adhésion avec la Turquie. C’est un peu mince.
A Hampton Court, dans la banlieue londonienne, les discussions au coin du feu sur les défis de la mondialisation et les modèles sociaux les plus pertinents en Europe ont sûrement été très intéressantes. Mais on attendait davantage de Tony Blair et des Anglais qui ont toujours préféré le pragmatisme aux débats fumeux.
Il reste deux mois au Premier ministre de Sa Très Gracieuse Majesté pour régler le seul dossier qui compte vraiment aux yeux de ses partenaires et sur lequel il sera jugé : le dossier budgétaire, autrement dit les perspectives financières de l’Union pour la période 2007-2013. Or, sortir du blocage actuel sera acrobatique : Londres, qui ne cède rien sur son « rabais », veut réduire les dépenses agricoles, tandis que Paris rejette toute remise en cause des accords sur la PAC signés en 2002 et valable jusqu’en 2013. Pour ne rien arranger, l’Allemagne est sans gouvernement jusqu’au 22 novembre au moins.
Un compromis à l’arraché émergera-t-il malgré tout du Conseil européen fixé à Bruxelles à la fin du mois de décembre prochain ? Le président de la Commission, José Manuel Barroso, y croit fermement. Il est dans son rôle. Mais il faudrait que Tony Blair se retrousse enfin les manches et consente à bouger un peu.
En juin dernier, le leader britannique se sentait en position de force. A la tête d’un pays en bonne santé économique dont la capitale venait d’obtenir l’organisation des Jeux Olympiques de 2012 au nez et à la barbe de sa rivale parisienne, il incarnait le dynamisme et la nouveauté face aux dirigeants du couple franco-allemand : un Jacques Chirac sérieusement groggy après le « non » français au référendum sur le projet de traité constitutionnel, un Gerhard Schröder contraint de provoquer des élections anticipées au risque - on l’a vu - de perdre son fauteuil de chancelier...
Fort de cet avantage, Tony Blair avait repoussé avec désinvolture le compromis budgétaire proposé à l’époque par Jean-Claude Juncker. Le Luxembourg achevait son semestre de présidence avant de passer le relais au Royaume-Uni et, grâce à son incontestable talent médiatique, le leader du New Labour avait réussi à convaincre l’opinion qu’un budget dont plus du tiers allait encore à l’agriculture - secteur en déclin, disait-il, concernant à peine 5% de la population européenne - ne correspondait plus du tout aux besoins d’une Union confrontée aux grands vents de la mondialisation…
Et puis l’été est passé. Chacun s’est rendu compte que le Premier ministre du Luxembourg - qui connaît mieux que quiconque les arcanes européennes - avait fort bien travaillé. Bien sûr, la PAC est loin d’être parfaite : elle profite surtout aux plus gros et coûte encore trop cher aux contribuables du Vieux continent. Bien sûr, il ne serait pas inutile d’augmenter la part réservée dans le budget communautaire à la recherche, au développement et aux nouvelles technologies. Encore convient-il de comparer ce qui est comparable…
Alors que la PAC est la seule politique vraiment commune entièrement financée par le budget européen, la recherche est une politique nationale appuyée, au coup par coup, par le budget de l’Union. La différence est notable. Si la proposition du Grand Duché avait été acceptée, la PAC aurait coûté 305 milliards d’euros pour la période 2007-2013. Les politiques publiques de recherche des Etats membres et de l’Union auraient représenté, elles, « 785 milliards pour la même période », selon Jean-Claude Juncker, dans le cadre de « la stratégie de Lisbonne reformulée ».
« Qu’on cesse donc de nous raconter n’importe quoi sur cette affaire », s’était exclamé le 22 juin devant le Parlement européen le Premier ministre du Grand Duché. Et, pour rafraîchir la mémoire de ceux qui pensent que l’Europe verte n’a jamais été réformée, il avait conclu en soulignant qu’elle engloutissait 68% du budget européen en 1986, 40% en 2006 et qu’elle n’en aurait plus absorbé au terme du plan luxembourgeois que 37% en 2013. « Quelle obstination à ne pas le voir ! » s’était-il emporté.
M.Juncker visait évidemment, sans le nommer, Tony Blair. Un Tony Blair qui, tout en s’accrochant au maintien du fameux « rabais » britannique négocié par Margaret Thatcher en 1983 à Fontainebleau, avait refusé le compromis luxembourgeois au nom d’une remise à plat totale des dépenses budgétaires de l’Union, à commencer par les dépenses agricoles. Tous les autres chefs d’Etat ou de gouvernement présents au sommet des 16 et 17 juin à Bruxelles l’avaient, eux, approuvé. Avec des nuances pour certains, en s’abritant peut-être derrière le « no » britannique pour d’autres. Mais les faits sont là.
Alors que Jacques Chirac a de nouveau revêtu cet automne son costume de défenseur attitré de l’Europe verte - cette fois dans le cadre de l’OMC - Tony Blair va-t-il reprendre les idées de Jean-Claude Juncker à son compte, laisser la « patate chaude » budgétaire aux Autrichiens qui prendront la présidence de l’Union en janvier ou tenter une manoeuvre de diversion?
La dernière solution est tentante pour lui au moment où la France - plutôt isolée parmi les vingt-cinq Etats membres - accuse le commissaire Peter Mandelson de dépasser son mandat de négociateur européen à Genève en remettant en cause implicitement certains aspects de la réforme de la PAC conclue en juin 2003 pour arracher un accord dans d’autres domaines, comme les services.
Pourtant, là encore, on ne peut pas comparer l’incomparable. La confection du budget communautaire est une chose, le cycle de Doha en est une autre…
« Je suis passionnément européen, je l’ai toujours été (…) Je n’accepterai jamais une Europe qui serait seulement un marché économique », affirmait M.Blair le 23 juin devant les eurodéputés. Sans douter de sa sincérité, il faut le prendre au mot et lui rappeler que sans financements adéquats et sans protection suffisante aux frontières, 80% de l’activité agricole européenne serait condamnée. Avec tout ce que cela supposerait en matière d’autonomie et de qualité alimentaires, de sauvegarde de l’espace naturel et de la biodiversité, d’équilibre territorial et d’entretien des paysages…
Il faut lui rappeler, enfin, qu’à trop retarder la solution budgétaire, il donne le sentiment de ne pas vouloir financer l’élargissement. Un comble pour le Royaume-Uni qui s’en est toujours fait le champion !
Baudoin Bollaert
Blair est un antieuropéen.. Cheval de Troye
de qui on sait... et ça en étonne toujours
certains.
Rédigé par : fraisouille | 11 novembre 2005 à 01:22