L'équipe de Publius aura, par son travail remarquable de relecture systématique du texte, aidé à établir le fait que le Traité pour une Constitution Européenne n'était, pour l'essentiel, qu'une reprise des traités et usages en vigueur. Ce travail a certainement prolongé l'intention affirmée de la Convention visant à rendre explicite (et donc énoncé en un seul document) l'ensemble des traités existants.
La lettre du traité, ainsi que les analyses rigoureuses qui en furent faites sont devenues de fait la première référence pour quiconque souhaite savoir ce qu'est l'U.E., ce qui n'était pas jusqu'alors sans présenter de grandes difficultés.
Car après tout, comme l'observèrent à fort juste titre quelques commentateurs trouvant l'approche de la Convention très « légaliste », le fonctionnement de l'Union s'était souvent contenté d'usages, d'arbitrages, et de traditions, ce qui a toujours rendu son analyse objective délicate pour le profane. Par exemple, et sauf erreur de ma part, le Conseil a joué un rôle majeur au sein de l'U.E. bien avant que des textes ne reconnaissent son rôle et ses prérogatives, et ce, sans que cela ne semble gêner qui que ce soit. En conséquence de quoi, aucune description univoque de l'U.E., c'est à dire, conforme aux principes qui régissent les états de droit (mais l'U.E. n'est pas un état, il est vrai) n'existait donc jusqu'alors. Même l'exégèse en solitaire de l'ensemble des textes existants (et les diverses interprétations de leurs articulations) ne suffisait pas à de se faire une opinion informée. Encore une fois, ce constat n'avait en soi rien de très choquant, puisque l'idée même selon laquelle l'U.E. avait une vocation politique ne faisait pas consensus au sein des spécialistes concernés.
Loin donc de chercher à enlever quelque mérite que ce soit au travail de la Convention, je postulerai, sans ironie aucune, et à l'inverse de nombreux commentateurs ayant voté dans un sens ou dans l'autre, que la Convention a sciemment cherché à répondre au constat qui a présidé à sa création, c'est à dire : tenter de rapprocher les citoyens européens de l'Union, en rédigeant une « compilation » des traités existants faisant autorité, car approuvée formellement par les états membres.
Même si on peut alors très légitimement se poser la question de l'intérêt qu'il pouvait y avoir à faire du résultat de ce travail méritoire un traité en bonne et due forme, on ne doit pas oublier que le fait de le présenter comme tel avait le mérite de clore une bonne fois pour toutes les inévitables débats (politiques, s'entend !) qu'aurait pu entraîner toute interprétation des traités n'ayant pas reçu la validation la plus officielle imaginable, c'est à dire, la ratification. Car, et on l'oublie trop souvent, l'Union Européenne n'existe et ne se change à ce jour que par les traités, ceci impliquant que, pour changer quelque chose dans l'Union, c'est à l'occasion des négociations de rédaction d'un traité qu'il faut le faire et à nul autre instant ! Mais ne pas avoir perçu le caractère étonnamment novateur que représentait l'idée de formaliser l'ensemble des règles de l'U.E. (au motif, par exemple, qu'on ne percevait pas l'intérêt de la démarche faute d'y trouver pour soi quelque utilité) était, à l'évidence, le moyen le plus sûr de ne pas imaginer que cette formalisation servirait immédiatement à étayer du bois le plus solide qu'il soit les critiques féroces (mais jusqu'alors sans prise) d'une partie de nos concitoyens envers ce marché commun devenu de fil en aiguille l'instrument d'une politique définie hors de la vue des électeurs et s'imposant à eux par la force des traités, c'est à dire, « l'Europe », et rien de moins, nous affirma-t-on. Et tel est pourtant bien ce qui se produisit.
Bien qu'on puisse tout à fait penser le contraire, je crois que ce travail de re-formalisation des traités et usages était nécessaire, puisque la campagne a révélé que nombre de nos concitoyens ignoraient que, depuis toujours ou presque, la Commission Européenne était seule à pouvoir initier quelque législation européenne que ce soit, et qu'il lui revenait, le cas échéant, éventuellement aidée en cela par la présidence tournante du Conseil, de construire l'unanimité ou les majorités qualifiées au Conseil autour de propositions au sujet desquelles elle n'a jamais rendu de comptes à qui que ce soit.
Pour autant, les citoyens ayant suivi de près la campagne n'ont pu qu'observer que cet état de fait, éventuellement choquant de prime abord, ne semblait guère interpeller les hommes politiques de premier plan qui s'investirent dans la campagne. Par contre, la motivation, la sincérité, mais aussi le courage de celles-et-ceux parmi eux qui affrontèrent des tribunes parfois très hostiles ne saurait être mise en doute, leurs actes parlant pour eux.
Doit-on en conclure que, globalement, et probablement à quelques exceptions près, la classe politique française pro-U.E., y compris la plus sincèrement démocrate, ne trouve pas matière à s'émouvoir de cet état de fait qu'un certain nombre de nos concitoyens trouvent choquant ?
Si on accepte ce constat comme à peu près recevable, et si on admet qu'ils ne sont pas nécessairement « tous les mêmes, tous pourris, tous vendus », comment s'expliquer qu'il puisse exister une telle différence d'analyse entre de grands hommes politiques et l'opinion des citoyens qui en général, les suivent l'un ou l'autre dans leurs raisonnements, ce qui n'aurait pu mener qu'à une victoire écrasante au référendum en faveur du traité ?
Au risque de surprendre, je vais me risquer dans cet article à exposer l'hypothèse selon laquelle un tel mode de fonctionnement d'apparence si peu respectueux de la volonté des citoyens de l'Union est tout à fait acceptable, voire même éventuellement souhaitable, lorsqu'un sujet ou une matière est traitée par l'Union Européenne à l'unanimité des états membres, mais qu'il ne l'est plus lorsque la matière abordée l'est à la majorité qualifiée. Tout en regrettant cet état de fait, j'en déduirai que, dans l'actuel cadre de fonctionnement de l'U.E., la prise de décisions à la majorité qualifiée est moins respectueuse des principes dits démocratiques, et donc, de l'intérêt des peuples que la prise de décision à l'unanimité, malgré les inconvénients parfaitement évidents de cette dernière méthode. Dans l'espoir que l'Union ne soit pas éternellement à la merci des risques de chantage qu'implique la règle de l'unanimité, je plaiderai en conclusion pour que l'extension du nombre de domaines traités à la majorité qualifiée s'accompagne de quelques aménagements des règles (et usages !) en vigueur au sein de l'Union.
La très grande autonomie d'action et de décision dont dispose (et dont a toujours disposé) la Commission Européenne, qui seule peut définir ce qui peut devenir la loi européenne, et que personne ne peut contraindre de quelque manière que ce soit est éventuellement justifiable lorsqu'il s'agit de convaincre (c'est à dire, à certains instants, contraindre) un très petit nombre de gouvernements réticents sur quelques points bien précis (par exemple, pour cause d'agenda électoral) pour atteindre l'unanimité nécessaire à chaque prise de décision.
Mais ces pouvoirs confinent à l'excès lorsqu'une procédure avec prise de décision à la majorité qualifiée est à l'oeuvre, et notamment, lorsque la Commission (c'est à dire, en fait, n'importe quel Commissaire Européen), qui fixe également l'agenda du Conseil, est en partie en mesure de choisir avec quelle présidence du Conseil (la plus favorable possible de préférence) elle va pouvoir travailler pour cela. La nécessité de tenir compte des différents agendas électoraux des représentants des gouvernements des états membres étant bien moins réelle dans le cadre d'une décision à la majorité qualifiée, le Commissaire reste libre de choisir comment construire quelle majorité autour d'un texte de leur choix en conservant la main-mise sur l'agenda, par exemple pour favoriser une organisation de l'ordre de présentation des directives favorisant les alliances internes au Conseil, alliances qui resteraient sans objet ou presque lorsque la décision est prise à l'unanimité.
Enfin, et c'est bien là le point le plus important, rien n'impose aux administrations européennes d'informer objectivement quelque état membre, le parlement européen, ou quelques parlement national que ce soit de leurs travaux. Ces jeux peuvent certes sembler normaux et font certainement partie des petites manoeuvres internes propres à chaque assemblée, mais limiter le raisonnement à ce constat est oublier que l'U.E. n'est pas, à ce jour, et qu'on le regrette ou non n'existe à ce jour qu'à travers ce que lui confèrent chacun des états membres ici réputés solidaires, et que cette solidarité implique à l'évidence une uniformité de traitement des états membres notamment en ce qui concerne l'élaboration de la loi européenne (contrainte sous-jacente de la règle de l'unanimité qu'il conviendrait de rendre d'une manière ou d'une autre explicite au cours d'une procédure à la majorité qualifiée).
En résumé, l'emploi de la majorité qualifiée renforce le pouvoir déjà très important et consensuellement (pour ne pas dire unanimement !) reconnu comme tel de la Commission Européenne au détriment de celui du Parlement (ou des simples membres du Conseil), tout en encourageant l'instrumentalisation à des fins politiques de la position que représente la Présidence du Conseil, laquelle s'est à plusieurs reprises avérée, par exemple à l'occasion du débat relatif à la directive C2I, capable d'une grande créativité dans l'interprétation des règles qui la régissent au nom de l'intérêt de l'Union.
Il y a selon moi une certaine schizophrénie à prétendre, comme nombre de parlementaires européens, d'une part que l'U.E. dispose d'institutions qui fonctionnent bien, et d'autre part que la Commission Européenne et le Conseil ne prennent que trop rarement en compte l'avis du Parlement élu (quitte à le faire en censurant une position commune du Conseil et de la Commission par 600 voix contre 20 dans un consensus arc-en-ciel comme cela s'est vu pour la directive C2I), tout en expliquant que l'élargissement rend l'U.E. ingouvernable (ce qu'elle ne serait à l'évidence pas davantage que quelque pays doté d'un parlement disposant du pouvoir législatif si le Parlement Européen avait, ne serait-ce que sur quelques sujets, un rôle législatif au sens commun de la chose). Mais j'éviterai un débat de fond sur ce sujet, puisqu'il se trouvera certainement toute une littérature pour argumenter pour ou contre une telle hypothèse d'un point de vue théorique ; le débat qui en découlerait n'aurait alors aucune chance d'aider le lecteur à se faire sa propre opinion.
C'est pourquoi, sans prétendre en aucune façon qu'il soit possible de tirer des conclusions générales d'un exemple isolé, je choisirai d'illustrer mon hypothèse par un exemple concret de ce que nous considèrerons ici par prudence (puisqu'il est objectivement impossible de distinguer le machiavélisme de l'incompétence ou le parti-pris de l'ignorance) comme quelques doutes sur la qualité et le sérieux du travail fourni par l'administration européenne, et donc, sur l'utilité que représenteraient pour les citoyens européens quelques gardes-fous.
Entre autres nombreux sujets imaginables (propriété intellectuelle, directive télévision sans frontières ou normes de télécommunication, par exemple), il me semble que l'histoire de l'Accord Multilatéral sur l'Investissement (l'AMI) illustrera aux yeux du lecteur comme elle illustra en son temps tout l'hémisphère nord par voie de presse en 2003 puis 2004 la très grande autonomie dont peut jouir l'administration européenne dès lors qu'elle est suffisamment convaincue de la justesse de ses vues pour se dispenser d'en débattre avec les interlocuteurs que ses fonctions et les engagements qui en découlent sembleraient éventuellement, de prime abord, lui imposer, dès lors que nul droit positif n'existe pour qualifier de faute l'hypothétique manquement. Par ailleurs, puisque le Traité pour une Constitution Européenne prévoit que le sujet de l'investissement (au coeur de l'objet du débat) sera traité à la majorité qualifiée alors qu'il est traité à l'unanimité sous Nice et les traités précédents, et puisqu'il semble par ailleurs possible que cette évolution-là survive à l'éventuel échec de ce traité (j'y reviendrai), le lecteur aura peut-être, à l'avenir, moyen de confirmer ou d'infirmer les hypothèses ici présentées et donc, de consolider dans le sens que les faits indiqueront son opinion sur l'U.E.
Lors de la (toute première) conférence (réunion) de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à Singapour en 1996, les représentants de quelques pays que nous nommerons « riches » pour simplifier, à l'initiative de quelques personnalités économiques et politiques proches des milieux d'affaires des deux côtés de l'Atlantique proposèrent aux pays participants d’entamer des négociations portant notamment sur l’investissement et les marchés publics, visant donc à envisager l'établissement de règles trans-nationales contraignantes relatives au commerce dans ces matières.
Probablement conscients du fait qu'une ouverture trop rapide des marchés des services vitaux à la population (distribution d'eau, de nourriture, de pétrole, d'électricité, assainissement) reviendrait à remettre la santé de populations souvent fragiles entre les mains d'intérêts aux motivations explicitement lucratives, de nombreux pays en cours de développement refusèrent de débattre de ces sujets pour quelque temps, tout en liant dans l'esprit de quelques observateurs leur bonne volonté à aborder ces sujets à leur propre niveau effectif de developpement.
Il apparaissait donc évident aux yeux des observateurs informés que l'ouverture globale du marché de l'investissement et des services à l'échelle de l'OMC n'était tout simplement pas envisageable du simple fait qu'il n'existait pas de moyen de s'assurer des motivations (autres que lucratives, s'entend) des acteurs désireux de rentrer sur ces marchés face à des acteurs fragiles, ni de garde-fous face à leurs possibles dérives. Et l'ensemble des sujets qu'on croyait ainsi renvoyés aux prochaines calendes furent nommées « matières de Singapour ».
Cet état de fait n'empêcha guère les auteurs de la proposition initiale de persister à ressortir leur proposition année après année, et de tenter en sous-main de convaincre tel ou tel état réticent de retirer son objection encore informelle, y compris lors de négociations sans rapport immédiat avec le sujet dans d'autres cadres, comme, par exemple, l'octroi d'aides au developpement.
Au bout de 7 ans d'obstination de ces mêmes proposants et face au soutien devenu affirmé de l'administration de l'OMC à ce projet, 90 des 140 pays membres de l'OMC finirent en 2003 par notifier (par courrier et voie de presse) leur opposition à toutes négociations sur ces sujets par l'intermédiaire d'une pétition en bonne et due forme à divers interlocuteurs. Ce qui n'empêcha pas le représentant de la Commission Européenne, c'est à dire le Commissaire Européen au Commerce Extérieur, porteur d'un mandat permanent lui permettant de représenter les membres de l'U.E. sur ces matières, de demander à nouveau la ré-ouverture du dossier lors de la réunion OMC du 11 mai 2004, provoquant quelques commentaires pour le moins acerbes y compris dans une presse d'ordinaire plus modérée et quelques remarques adressées aux gouvernements ici représentés. On notera non sans quelque amusement que les fonctions de ce Commissaire étaient tout à fait normalement appellées à prendre fin quelques semaines à peine après cette nouvelle tentative, même si l'on évoquait déjà l'hypothèse selon laquelle cette personne reprendrait prochainement ce même sujet avec cette même approche mais en qualité de Directeur Général de l'OMC quelques temps plus tard.
Cette insistance et, par la suite, ses conséquences diplomatiques pour l'image de l'U.E. et des états membres, n'étaient certainement pas sans rapport avec le fait qu'une initiative fort similaire avait été en cours de 1995 à 1998 au sein de l'OCDE (assemblée plus restreinte, mais aux compétences se recoupant en grande partie avec celles de l'OMC) sous le nom devenu depuis célèbre d' « Accord multi-latéral sur l'investissement » (AMI), que le directeur général de l’OMC (qui participait par ailleurs à l'action de l'OCDE) qualifiait non sans quelque lyrisme de « Constitution d’une économie mondiale unifiée. »(http://www.monde-diplomatique.fr/1998/02/WALLACH/10055). En l'occurence, les signataires de l'accord provisoire étaient l'Allemagne, l'Australie, l'Autriche, la Belgique, le Canada, la Corée, le Danemark, l'Espagne, les Etats-Unis, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, l'Islande, l'Italie, le Japon, le Luxembourg, le Mexique, la Norvège, le Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse et la Turquie – ainsi, donc, que les Communautés européennes. L'accord sur l'AMI fût d'autant plus aisé qu'aucun de ses membres n'était réellement en cours de developpement d'une part, et du fait que la chute encore récente du mur de Berlin incitaient les gouvernements de l'époque à réduire le plus sévèrement possible les places-fortes traditionnelles des dernières poches de résistance idéologique des pays récemment sortis du communisme (c'est à dire, ces mêmes fameux services à la population qui préoccuppent tant les pays en cours de developpement : distribution d'eau, de gaz, d'électricité, cibles traditionnelles des grands investissements internationaux qu'il s'agissait ici de libéraliser). Le contenu certes alors provisoire de l'AMI s'en retrouva empreint d'une idéologie pour le moins radicale, les mots dépassant peut-être ici, mais qu'importe, les intentions dans une de ces courses à l'échalote qui font certainement l'amusement des observateurs des phases finales de l'élaboration des grands accords.
La révélation au public du contenu (un peu réducteur, disais-je précédement, et donc, inévitablement provocateur) de l'AMI aux Etats-Unis, au Canada, (en 1997-1998), puis en Europe provoqua quelques remous au sein de l'opinion publique des pays du nord, remous certainement amplifiés par l'action diplomatique des pays du Sud inquiets de voir ressortir à l'OCDE en des termes à leurs yeux effrayants les débats qu'ils avaient souhaité refuser à l'OMC. Certains auteurs se risquent même à affirmer que cette révélation fut l'évènement par lequel la cause altermondialiste devint visible, notamment outre-atlantique.
Mais cette révélation, largement amplifiée par les cris d'une fraction de l'électorat du parti au pouvoir en France à cet instant, effrayé à l'idée de se voir accusé de ratifier un accord de prime abord si contraire à ses convictions affichées, provoqua également d'étranges couacs au sein du gouvernement français, qui découvrit que, bien que la plupart des personnes informées pensaient que les affaires étrangères (extra-européennes pour le moins : l'OCDE n'est pas strictement européenne, loin s'en faut) relevaient du domaine réservé du Président de la République, que la Présidence ignorait tout du sujet. Le Président de la Commission des Affaires Etrangères du Parlement, pourtant éminent membre du parti au pouvoir et unaniment considéré comme un ministrable en réserve, disait n'en pas savoir davantage et déclara très formellement le 4 décembre 1997 à l'assemblée « Nous ignorons qui négocie quoi au nom de qui. ». Le ministre de l'économie sembla, par contre, en mesure d'affirmer que le contenu de l'accord n'aurait aucun impact sur le droit français (mais comment pouvait-il être en mesure d'affirmer cela, se demandait-on ?), dans un silence pour le moins ennuyé des services des affaires européennes, tandis que les groupes financiers internationaux se répandaient dans la presse financière pour battre le rappel de l'argent frais en vue d'investir sur des marchés européens encore faiblement règlementés en droit national (car faisant l'objet de monopoles d'état de longue date), mais alors désignés comme étant en cours d'ouverture rapide à la conccurrence. Cette cacophonie incita le Premier Ministre d'alors à annoncer formellement le retrait de la France des négociations (en 1998, après plusieurs mois de débats et déclarations diverses). A en croire les déclarations postérieures du Président de la République de l'époque sur la manière dont furent gérées sous ce gouvernement les affaires européennes dans leur ensemble, on peut penser que ce retrait fit l'objet d'un consensus entre le Président de la République et son Premier Ministre, de la même manière que le fut la signature postérieure de l'agenda de Lisbonne. Le retrait annoncé de la France provoqua « une pause » des négociations au sein de l'OCDE, pause à l'issue de laquelle les négociations ne reprirent pas. En effet, les règles de l'U.E. de cette époque voulaient que les affaires relatives à l'investissement (sur lequel l'U.E. a compétence) soient traitées à l'unanimité au Conseil, et donc, que les pays membres de l'U.E. devaient simultanément ratifier tout accord interne ou externe sur ces sujets : le retrait annoncé de la France impliquait donc ici, au grand désespoir de quelques candidats à la signature, le retrait de tous les autres membres de l'U.E. .
Mais comment en avait-on pu arriver au fait que la moitié d'un gouvernement national puisse ignorer l'existence même de négociations l'impliquant vis à vis de pays extérieurs à l'U.E., au point que le chef de gouvernement lui-même ne semblait pas disposer d'un avis clair sur le sujet ?
Lorsque l'U.E. traite une matière à l'unanimité au Conseil, il est fréquent que le Commissaire le plus concerné (en fait, l'administration concernée) représente l'U.E. à l'extérieur en toutes circonstances et ce, pour une raison fort simple : le Commissaire Européen, qui n'est, en théorie, qu'un négociateur, a tout intérêt à s'assurer que tous ses mandants (donc, tous les membres du Conseil) approuvent sa démarche puisque, si tel n'est pas le cas, le représentant de n'importe quel état membre au Conseil ferait aisément capoter l'éventuel accord. Par ailleurs, prétendre ne pas avoir été assez complètement informé assez tôt est l'une des très rares excuses recevables pour refuser provisoirement du moins, de valider un accord d'apparence raisonnable au sein du Conseil (comme l'illustra l'attitude de la Pologne lors de la construction de la position commune au Conseil sur la directive C2I), ceci impliquant que les Commissaires Européens veillent normalement à être irréprochables quand à l'information des représentants des états-membres de sorte à ne pas laisser de prise à des manoeuvres visant à retarder la construction des consensus. Mais alors, dans ce contexte, le risque d'abus de pouvoir par le Commissaire ou ses services est finalement très réduit : il est tout à fait raisonnable de lui laisser toute liberté de se ridiculiser où bon lui semblera et comme il le souhaitera en s'écartant trop de l'opinion initiale des représentants des états-membres (qu'il lui appartient de faire évoluer jusqu'à obtention d'un consensus effectif).
A l'évidence, l'administration de la Commission Européenne, représentant l'ensemble des états membres de l'Union lors des négociations préliminaire à l'OCDE n'avait pas sû, à l'époque, se faire comprendre du gouvernement français au moins, (et probablement de quelques autres, mais nul n'en saura jamais rien), et n'avait pas davantage réussi à faire percevoir au gouvernement français de l'époque qu'elle avait prérogative à négocier au sein de l'OCDE au nom de la France au titre des Communautés Européennes au même titre que la France elle-même. A ce titre, rien (hormis la prudence et le bon sens) n'obligeait la Commission à informer le gouvernement français des choix qu'elle faisait en son nom, surtout si, par ailleurs, un individu qu'un membre de la Commission Européenne pouvait légitimement imaginer comme étant un représentant autorisé du gouvernement français (sans bien entendu avoir les moyens de les vérifier : ces choses ne se faisant pas) était également présent lors de certaines phases des négociations. Pourtant, comme nous l'avons vu, le résultat final n'est pas sans laisser ouvertes quelques questions sur la qualité du travail fourni par les services du Commissaire, qui aurait dû, en l'espèce, se mettre en mesure de démontrer, éventuellement à huis clos, que le grave désagrément (un enterrement pour un accord international entre 29 nations, ce n'est pas rien !) causé par cette cacophonie n'était pas dû à une négligence de ses services. Mais aucune explication finale de cette affaire n'eut jamais lieu.
Résumons : ici, la règle de l'unanimité a eu pour conséquence que le défaut d'information d'un gouvernement ou d'un parlement national, associé à une petite mobilisation de l'opinion publique a suffi à ce qu'aucune décision ne puisse être prise. Qu'on s'en réjouisse ou qu'on le regrette dans ce cas précis, force est de constater qu'il semblait nécessaire d'informer l'ensemble des instances politiques légitimes (et uniquement celles-ci) de l'Union (c'est à dire, les instances nationales de chaque état de l'Union à ce jour, qu'on s'en réjouisse ou qu'on le regrette) pour faire passer cette décision au sein de l'Union.
Les services de la Commission prétextèrent par la suite que les bizarreries de la cohabitation « à la française » et le mystère aux yeux du profane que constitue la répartition des compétences entre Premier Ministre et Président de la République dans ce cas étaient à l'origine de ce cafouillage. De bonne grâce, le Président de la République d'alors et son fidèle Premier Ministre s'affichèrent à partir de cet instant main dans la main au sein des manifestations officielles de l'Union qui suivirent jusqu'à la fin de leur mandat et ce d'autant plus facilement que le Premier Ministre de l'époque cherchait à consolider son image de Président potentiel.
La compétence du Commissaire concerné à représenter l'U.E. fait évidemment l'objet d'une décision (formelle ou informelle) du Conseil (nous l'avons déjà dit, l'U.E. tend à préfèrer l'essai et l'usage à la règle qu'on conçoit avant de l'appliquer, lourdeur pourtant constitutive des entités de droit). Point intéressant : il n'existe (à ma connaissance et à ce jour ?) aucune procédure (c'est à dire, dans les faits, aucun précédent) pour annuler une telle décision informelle, y compris lorsque les modalités de prise de décision sur la matière concernée évoluent.
Il peut donc arriver, à l'occasion d'un traité, par exemple le Traité pour une Consitution Européenne, qu'une matière sur laquelle le Conseil statue à l'unanimité devienne une matière sur laquelle le Conseil statue à la majorité qualifiée et une telle évolution est souvent considérée comme une avancée démocratique. C'est par exemple le cas pour l'investissement dans le Traité pour une Constitution Européenne. La Commission Européenne avait exprimé depuis bien longtemps le souhait que cela se fasse dès Nice, mais cette proposition n'avait pas alors obtenu un très grand écho auprès des représentants des états membres à cette époque (les plaies concernant l'AMI étaient certainement encore un peu vives à cet instant ?). Pourtant, nous avons pû constater que le comportement pour le moins peu précautionneux des services de la Commission européenne concernant la gestion du dossier de l'AMI n'aurait certainement pas empêché la constitution d'une majorité qualifiée sans même leur avoir imposé de savoir rendre compte de leur action à leurs mandants, et donc, comme le montrent les faits, dans la plus complète ignorance d'au moins un Parlement national. Sur ce point, curieusement, la proposition d'Edouard Balladur au cours du débat préalable à la révision de la Constitution visant à renforcer le droit à l'information du Parlement allait certainement dans le bon sens, mais cette proposition n'a pas été retenue, et ce, fort logiquement, puisque c'est plutôt à niveau européen qu'une telle décision d'obligation d'information devrait se prendre. Mais force est de constater que, sur ce point, la Commission est seule à pouvoir proposer ses propres règles si tant est qu'il faille les appliquer à l'échelle de l'U.E. .
Le changement programmé des règles de prise de décision concernant l'investissement au sein de l'U.E., associé à l'une ou l'autre des diverses perceptions qu'on pouvait retirer de l'examen des péripéties de cette affaire suffisait d'ailleurs à expliquer pourquoi les citoyens qui s'étaient mobilisés contre l'AMI en 1998 auront très certainement voté contre le Traité pour une Constitution Européenne, ne serait-ce que par peur de devoir mobiliser et se mobiliser à nouveau en cas de relance de l'AMI, avec tous les désagréments qu'une telle mobilisation engendre pour de simples particuliers. Par ailleurs, ceux de leurs concitoyens que ces derniers avaient réussi à sensibiliser au sujet en 1998 et auxquels ils avaient pu expliquer, à leur manière, le rôle parfois trouble à leurs yeux joué par les représentants de l'Union agissant à l'insu de des élus des différents états membres auront eu sept ans pour déterminer en leur for intérieur si les faits et le vécu de l'U.E. durant ces sept années ont ou non donné raison aux accusations de fonctionnement en vase clos portés à l'encontre de l'administration européenne de l'époque (on pense ici, par exemple, à la directive Bolkestein, à la directive C2I et, d'une manière générale, à ces textes qui semblent mal résister à la lumière du jour).
Encore une fois, il serait aisé d'expliquer la différence entre ce que dit un gouvernement national en son pays et les positions qu'il prend au sein du Conseil par le fameux « tous pourris, tous vendus », éventuellement assisté du « tous incompétents, trop cons pour gouverner ». Je me permets juste de ne pas explorer cette hypothèse au profit d'une autre, plus humaine à mes yeux, et donc, plus crédible : la légèreté avec laquelle l'administration européenne se permet trop souvent de traiter ses dossiers, légèreté encouragée par l'impunité juridique dont elle bénéficie de fait.
L'exemple de l'AMI illustre qu'à ce jour, le bon fonctionnement de l'Union Européenne découle, pour l'essentiel, de la qualité des Commissaires (et de leurs administrations), puisque ceux-ci sont, en pratique, libres de mener la politique qui leur semble bonne (on pense ici, encore une fois, à la directive Bolkestein, si conforme à l'opinion de son auteur de son propre aveu !), et donc, sont les personnes qui, en accord avec d'éventuelles majorités au Conseil, font de l'Union Européenne ce qu'elle est et ce qu'elle devient, indépendamment des orientations politiques des gouvernements des états membres, mais aussi, des orientations politiques représentées au sein du Parlement Européen (la constitution de la dernière Commission illustra le scénario de graves divergences sur l'appréciation des candidats aux postes de Commissaires Européens entre le Président de la Commission et le Parlement). L'éventuelle improbable ratification du Traité pour une Constitution Européenne n'aurait rien changé à cet état de fait, son principal mérite se bornant ici à exposer les faits.
il me semble que nous n'avons qu'un commissaire de second rang a la commission deplus la reforme du nombre de commissaire peu nous amener a perdre cet unique commissaire.
donc en effet la communication avec le gouvernement se trouve de plus en plus tenue.
est ce que je me trompe ?
cette organisation est probablement sur sa fin, la ridicule fuite (en autre) en avant du 3 ocotobre va laisser des traces.
Rédigé par : fredouil | 19 octobre 2005 à 23:53
fredouil: Je ne me risquerai pas à porter un jugement de valeur sur "notre" actuel cmmissaire, même si j'éprouverais bien des difficultés à écrire un bilan un tant soit peu volumineux de son action. Pour autant, selon moi, la fonction de commissaire aux transports est une des fonctions de commissaire dans lesquelles un europhile convaincu a toute facilité sur les dossiers complexes que sont les enjeux écologiques du transport, l'importance en termes de compétitivité globale européenne (à coût faible pour les travailleurs, à la différence des lubies de l'UNICE) du bon maillage et de la bonne desserte de l'europe géographique, etc.
Qui plus est, les aspects pénibles du secteur (concurrence, marché intérieur, service public) sont traités au sein d'autres DGs de la Commission, sous l'influence notamment des précédents commissaires qui ont privilégié l'approche commerciale du transport au détriment d'une approche équipement/infrastructure : cette direction-là est donc une des plus faciles à gérer. Mais il est aussi vrai qu'elle est une de celles qui offre le moins de débouchés glorieux dans les multinationales ou les organismes internationaux de dérégulation, cette ennuyeuse caractéristique la rendant peu attractive pour les individus doués de quelque talent non-motivés par quelque autre intérêt que le leur propre.
Il est cependant troublant de constater qu'aux yeux des analystes politiques (de la presse française), l'importance d'une position à la Commission est directement proportionnelle au montant des enjeux économiques immédiatement gérés par la direction générale correspondante, et donc, à la capacité du Commissaire à faire pencher la balance de la fortune immédiate en faveur de la nation à laquelle il appartient, indépendament de l'intérêt économique des autres états-membres.
Rédigé par : Gus | 20 octobre 2005 à 05:40
Jacques Barrot (donc le gvt francais) a deux hanticapes a la commission :
- il ne parle pas un mot d'anglais !!!! et est donc exclue de toute negociation de couloir
- c'est un guignol qui n'a fait que gaspiller l'argent du contribuable tout sa carriere.
Avec un commissaire comme cela, on ne risque pas de faire avancer nos pions.
Rédigé par : fredouil | 20 octobre 2005 à 06:34
@Gus
Alors, là, c'est étonnant. Pour une fois, je suis d'accord avec vous!
En effet, je trouve que la charge de Commissaire au transport est systématiquement dévalorisée par la presse française, à un tel point qu'on peut se demander si ce n'est pas plus de l'aveuglement coordonné que de l'ignorance.
C'est un poste a fort contenu communautaire (pour qui veut bien s'y atteler -je reconnais que pour l'instant on a pas vu grand grand chose), qui couvre des dossiers prestigieux comme Galileo par exemple.
De plus, le commissaire au transport a également la charge des dossiers d'aides d'Etat au transport, ce qui n'est pas rien (toutes les lignes aériennes et les sociétés maritimes comme par exemple celles qui font la liaison entre des grosses îles de la méditerranée et le continent).
Bref: à mon avis, c'est un des postes les plus importants, même si, bien sûr, il est moins visible qu'une poignée d'autres.
@fredouil
Manifestement, vous n'avez pas complètement saisi le rôle d'un Commissaire européen. Comme le fait remarquer justement Gus (décidément!...), le rôle d'un Commissaire n'est absolument pas de faire avancer la cause de son état d'origine, encore moins d'en faire avancer des pions.
Par ailleurs, vos informations sur le niveau de son anglais me semblent un peu datées. A mon avis, vous sous estimez par ailleurs grandement la capacité des autres occupants du couloir à parler français !
Rédigé par : Burt Allibert | 20 octobre 2005 à 08:45
"d'un Commissaire n'est absolument pas de faire avancer la cause de son état d'origine, encore moins d'en faire avancer des pions."
on appel ca une difference entre la theorie et la pratique ;-)
"vos informations sur le niveau de son anglais me semblent un peu datées" : je l'ai rencontre en mars 2003, assez desempare dans un milieu anglophone ;-) a plus de 65 ans je doute qu'il se soit beaucoup ameliore lol
Rédigé par : fredouil | 20 octobre 2005 à 10:52
Ben voilà, fredouil, justement il a pris des cours depuis 2003. Il semble bien se débrouiller maintenant, en tout cas, certainement pas plus mal que le commissaire du bloc de l'est moyen.
Rédigé par : Burt Allibert | 20 octobre 2005 à 10:55