Le débat sur l'adhésion de la Turquie révèle encore une fois le souhait d'une "Europe politique". Robert Badinter écrivait il y a peu dans Le Monde que l'adhésion de la Turquie consacrait la victoire de la vision britannique d'une Europe "grand marché" au détriment de la vision française (? vraiment ?) d'une "Europe politique". Cette façon d'opposer "grand marché" et "europe politique" me paraît être un excellent exemple de l'absolu flou de cette notion "d'Europe politique".
D'abord, réconcilions les opposition. La France est un grand marché unifié. Les mêmes lois s'appliquent de Dunkerque à Marseille. Même s'il y a des nuances régionales, les marques préférées des Français sont plutôt nationales. Tout le monde a un Leclerc pas loin de chez soi. La publicité est la même à Lille, Strasbourg et Bordeaux... La France est un marché unifié, pour autant que cette expression a vraiment un sens en économie (ce dont je doute, mais bon). Pourtant, il ne viendrait à l'idée à personne de dire que la France n'est pas une entité politique. Au contraire, la société française est très politique, elle a des institutions nationales qui ont eu une très grande importance symbolique, les mêmes partis partout en France, etc. Marché et politique ne s'opposent pas. On peut vouloir ET le grand marché ET des structures politiques communes.
Maintenant, cherchons un peu le sens que pourrait avoir cette "Europe politique", tant désirée.
"Europe sociale", je vois à peu près. C'est l'idée que partout en Europe les mêmes règles de protection sociales s'appliqueraient, avec un haut niveau de protection sociale, qui plus est. C'est le SMIC pour tous à 1.500 euros de Dublin à Cracovie, les 35 heures d'Helsinki à Madrid, et le contrôle des licenciements économiques de Brest à Bucarest.
"Europe économique", je vois aussi à peu près : les entreprises peuvent se tailler des croupières un peu partout en Europe, France Telekom vendrait du gaz aux Finlandais, Fininvest de la télévision aux bulgares, British Pétroleum de l'acier trempé aux Portugais, etc. Cela pour l'enrichissement de tous, du moins des meilleurs, ce qui contribue à la prospérité générale, du moins normalement.
Mais Europe politique ? Le problème c'est que la politique n'est pas vraiment une fin en soit. La politique sert à essayer de faire vivre pacifiquement les gens ensembles, et à régler les problèmes collectifs qu'ils rencontrent : relation avec les autres communautés politiques (diplomatie), protection de la communauté contre les agressions internes (défense), défense de ses valeurs et des membres de la communauté et de leurs biens (police & justice, une tâche politique traditionnellement externalisée en occident à des spécialistes : les juges), prélever sur les membres de la communauté de quoi survenir aux besoins des services précédents (finances), déterminer aussi les règles propres à la communauté (législation générale), etc. Et de plus en plus souvent : gérer des activités spécifiques jugées essentielles à la communauté (énergies, eau, transports, aide sociale...).
En résumé, le politique, c'est une collection d'activité qui ont en commun d'être administrée par un groupe spécifique (les hommes politiques et, à leur demande, les agents publics). Ces activités sont gérées non pas dans un but économique (dégager un profit), mais dans le but de satisfaire les besoins de la communauté conformément à la morale sociale propre à cette communauté. Notons d'ailleurs que ce but est ambigu et souvent détourné : parfois, le politique va gérer ces activités dans son propre intérêt (s'enrichir, écarter ses ennemis, garder le pouvoir qui agréable en soi à exercer), parfois encore dans l'intérêt d'un groupe particuliers (une catégorie d'électeurs, les actionnaires, les familles, les riches, les pauvres, les agents publics...).
Vouloir une "Europe politique" n'est pas nécessairement intéressant : il faudrait qu'on arrive à démontrer qu'il est plus intéressant de gérer tout ou partie de ses activités au niveau européen. A mon avis, la diplomatie et la défense sont des domaines où une gestion européenne est source de meilleure prestation pour les pays européens : un pays est plus présent diplomatiquement quand il représente beaucoup d'habitants, riches et bien organisés. Gérer l'eau au niveau européen me paraît moins utile, parce que nous avons peu de problème d'approvisionnement en eau.
Il ne faut pas oublier non plus que la politique a une dimension symbolique ancienne. La politique n'est pas que la simple gestion des affaires de la cité, c'est aussi de nos jours la seule forme d'expression collective nationale d'importance. Être Français a une importance symbolique et émotionnelle. C'est d'ailleurs cette force émotionnelle et symbolique qui est le principal vecteur de légitimité du politique et qui autorise l'Etat à commander et à prendre des mesures qui sont des contraintes. L'Europe n'a encore que partiellement cette dimension. Ne va-t-on pas y perdre au change ?
Or, les gens qui se disent favorable à l'Europe politique n'explicitent pas vraiment leur souhait. Plusieurs options s'offrent à eux en effet : la solution la plus radicale consiste en effet à confier à l'Europe toutes les missions politiques des Etats. Il s'agirait de transformer l'Europe en un Etat unique et central, qui se substituerait aux Etats existants. On peut ensuite imaginer une vaste gamme de compétences dévolues à l'Europe, les autres étant gérées par les Etats. Reste à trouver l'articulation entre les deux : le fédéralisme américain est une possibilité, la construction européenne actuelle en est une autre. Les institutions européennes peuvent apparaître comme faiblement politique et puissament diplomatiques (les décisions sont prises à l'issue d'un processus diplomatique et non politique). C'est une illusion de l'esprit qui fait confondre politique et démocratique. Le processus politique européen est politique (il gère des domaines politiques) mais pas très démocratique (l'avis des citoyens est faiblement pris en compte).
Ces options sont considérablement divergentes et il me paraît peu sain pour la qualité du débat de les rassembler dans une grande enveloppe cachetée "Europe politique". Pour cette raison, je lance un grand appel à banir cette expression et une invitation à tous à lui substituer une description plus précise de leurs souhaits de fonctionnement politique de l'Europe. On s'appercevera sans doute que Tony Blair est pour une Europe politique au moins au tant que Jacques Chirac, simplement qu'ils ne mettent pas les mêmes compétences aux mêmes niveaux.
(cognez pas trop fort dans les commentaires, siouplait messieurs dames)
A relire (en brouillon sur votre propre site) votre texte je m'aperçois qu'il n'est nulle part question d'élus et d'élection est-ce que cela "va de soi" où est-ce une omission volontaire ?
Rédigé par : Quoique | 17 octobre 2005 à 22:38
L'Europe politique c'est à mon avis des principes admis et reconnus par les peuples qui la construisent .
Il faut croire que les principes européens ne contiennent pas suffisement de principes universels qui mettent d'accord les différents peuples d'Europe. En tout les cas le peuple Français ne s'est pas reconnu dans le traité de constitution proposé à référendum.
Qui plus est je suis assez partisane que l'on respecte le principe démocratique du gourvernement du peuple par le peuple sur la base des principes juridiques qui sont notres et tels qu'on les trouve dans notre constitution. Si c'est pour l'échanger contre des principes qui ne sont pas supérieurs en intérêt pour les citoyens, ni qu'ils améliorent leurs droits fondamentaux, mais au contraire les précisent moins , alors je comprends que les citoyens Français ne tiennent pas à y adhérer. Si c'est le marché qui impose son fonctionnement en principe, je ne suis pas Européenne.
Les traités n'étant pas au dessus de notre Constitution, sinon à perdre le sens d'un Etat de droit , j'imagine le long temps pour plancher sur la question de ce qui peut unir les peuples. Etant entendu que pour moi il n'est pas acceptable que les groupes(quels qu'ils soient) qui entendent ...et ne souhaitent que s'affranchir des règles des Etats et encore moins rendre des comptes, n'ont pas le même intérêt dans l'Europe, qu'un citoyen qui en définit les principes lui donnant son statut et s'y soumet ainsi .
Tant qu'il n'y aura pas suffisement de gouvernement et de contrôle par le peuple des citoyens, il n'y aura pas d'Europe politique à laquelle adhérer. Et les citoyens ne se contentent apparement pas d'un grand marché en principe fondateur.
Il n'y a que les citoyens pour élaborer les principes de la société dans laquelle ils veulent vivre, à mon avis.
Le premier principe du traité de Rome dont découle la loi européenne actuelle:
"La Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun, d'une Union économique et monétaire et par la mise en oeuvre des politiques ou des actions communes visées aux articles 3 et 3 A, de promouvoir un développement harmonieux et équilibré des activités économiques dans l'ensemble de la Communauté, une croissance durable et non inflationniste respectant l'environnement, un haut degré de convergence des performances économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les États membres."
Je ne vois pas là la trace d'un principe suffisement supérieur à mon intérêt de citoyenne que j'imagine tout aussi profitable à mes concitoyens des autres Etats , au regard de certains principes de la constitution de mon pays ou de celles des autres pays voisins.
Cela n'engage que moi de le dire.
Tant qu'à s'engager, ce n'est pas pour perdre en droits dans l'éludation volontaire des principes constitutionnels nationaux , mais pour en gagner et les faire respecter au niveau européen .
Ainsi, par exemple, rien dans notre constitution ne s'oppose à privatisation ou nationalisation.
Je voudrais bien le voir écrit noir sur blanc dans les principes fondateurs européens...cela permettrait tout autant aux partisans de l'un ou de l'autre d'y trouver leur compte, selon les alternances démocratiques.
Qui dit donc principe universel pour moi, dit entre autre : qui n'élimine pas tout autre possibilité du ressort du choix des citoyens. Tant qu'il n'y aura pas cette garantie, je ne vois pas comment trouver un intérêt supérieur dans l'Europe . Et je ne parle pas de ce seul aspect cité...
Rédigé par : DG | 17 octobre 2005 à 22:50
@DG : pas loin d'être d'accord avec vous, mais ça sert à quoi ? Le marché, je vois à quoi ça sert : on s'enrichit, on se développe. Mais l'Europe politique ? (notez bien que je ne suis pas contre, mais je me pose la question, voilà tout).
Rédigé par : Paxatagore | 18 octobre 2005 à 07:21
@DG
Un détail: l'article 295 du traité CE veut précisément dire que la Communauté est neutre vis-à-vis de la nationalisation ou de la privatisation. Certes, c'est écrit dans des termes un peu "communautaires", mais au moins c'est explicite.
Rédigé par : Burt Allibert | 18 octobre 2005 à 09:42
@Paxatagore,
Je m'étonne que vous ne compreniez seulement que ce qui vous semble utilitaire et donc rataché à ce qui se mesure, apparement économiquement.(Là c'est une ironie de ma part: Ce d'autant que vous semblez alors perdre votre temps à réléchir...car en effet à quoi cela sert que vous réflechissiez en public sachant que cela ne nous enrichit ni ne nous développe....)
Plus sérieux, je pensais qu'à votre niveau,
la réflexion sur les institutions et l'organisation du pouvoir et du gouvernement des hommes par eux mêmes , ainsi que les principes fondateurs qui régissent la vie des hommes, accédaient à votre sens.
Est ce réellement le cas que vous n'accédiez pas à ce sens là?
Rédigé par : DG | 18 octobre 2005 à 20:27
Burt,
Pouvez vous citer l'article exact en question. Cela ne parait pas être celui du TCE.
Rédigé par : DG | 18 octobre 2005 à 20:38
C'est bien l'article 295:
"Le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États membres."
Ca peut parraître obscur, mais ça veut dire que la Communauté est indifférente à la propriété publique ou privée d'une entreprise. Donc elle ne peut pas s'opposer à une privatisation ou une nationalisation juste parce que c'est une privatisation ou une nationalisation.
Je reconnais volontier que ma référence était confuse en raison de l'utilisation abusive d'acronymes. Par "traité CE", je voulais dire "traité sur la communauté européenne", enfin, le bon vieux traité de Rome, quoi.
Rédigé par : Burt Allibert | 18 octobre 2005 à 21:00
Burt,
Effectivement votre remarque est exacte. J'ai également noté en lien avec l'article que vous citez, l'évolution que prend la place de la notion de service public dans l'historique de son évolution au cours de l'élaboration des différents traités.
http://www.europarl.eu.int/facts/3_3_4_fr.htm
et celui ci non moins intéressant:
http://www.robert-schuman.org/supplement/sup203.htm
Dans le fond, la notion de service public dans le droit français étant reconnue plus large que celle du droit européen, cela ne contredit pas la position que j'ai exprimé plus haut concernant la légitimité à adhérer à des principes plus favorables et non limités par d'autres qui pourraient en réduire la portée, si ceux ci sont jugés par une constitution nationale, droits fondamentaux des citoyens . Etant entendu que l'intérêt des citoyens n'est pas de voir leurs droits rétrécir au bénéfices de principes établissant des fonctionnements sur lesquels ils n'auraient pas encore le même contrôle. Surtout si ceux ci oblitèrent certains droits fondamentaux constitutionnels plus favorables.
Il me semble donc qu'il faut rendre cela encore plus clair et évident pour que se prononcent les citoyens en connaissance de cause, si cela tient effectivement de principes supérieurs. Pour me prononcer, il faut que cela soit avéré au regard de mes droits constitutionnels.
Enfin, c'est mon avis de simple citoyenne.
Rédigé par : DG | 18 octobre 2005 à 22:18
@DG
Pour ma part, j'ai l'impression que ces principes de référence communs entre Etats Membres (en gros, démocratie, liberté, droits de l'homme, etc etc) existent très largement de manière implicite, en raison de l'histoire et de la culture commune que nous partageons avec les autres peuples d'Europe.
C'est précisément le pari de la démarche fonctionaliste que de ne pas chercher à énoncer explicitement ces principes, pour éviter précisément que le diable caché dans les détails ne fasse resurgir nos démons du passé.
Bien entendu, le risque, avec ce pari, est que l'absence de référence explicite aux principes ne soit interprétée comme une volontée délibérée d'aller contre ceux ci, ou d'imposer un agenda caché. Ce risque est d'autant plus grand bien entendu que l'élargissement de l'Union fait entrer des Etats dont on peut douter avec une certaine légitimité de leur adhésion aux principes "implicites" (tout étant cependant question de degré).
C'est à mon sens précisément ce risque qui s'est matérialisé lors de la consultation sur le referendum.
Maintenant, le difficulté est précisément que, suite à cet événement, nous nous retrouvons devant une forte attente de mettre noir sur blanc les principes implicites.
C'est ce que vous attendez, DG, si je ne m'abuse, et ce de manière tout à fait juste et sincère, je n'en doute pas.
Mais c'est précisément ce que nous aurons le plus grand mal du monde à faire.
Rédigé par : Burt Allibert | 19 octobre 2005 à 14:13
Incroyable le nombre de "précisément" que j'arrive à fourrer en un simple post.
Rédigé par : Burt Allibert | 19 octobre 2005 à 15:02
Burt,
J'accepte votre résumé de ma position et j'accepte aussi que vous pensiez que ce soit la complexité qui découle d'une attente légitime, (qui n'est pas que mienne d'ailleurs, même si tout le monde n'a pas les moyens ou le temps de le préciser). Heureusement que vous n'avez pas dit trop difficile, car cela m'aurait révélé un état d'esprit de renoncement. Mais difficile, heureusement n'est pas de l'ordre de l'inexistant.
Petite anecdote, depuis ma lecture du TCE, qui amena la lecture d'autres textes encore, j'ai bien vu l'étendu de ce qu'il semble nécessaire de maîtriser pour prendre une position en connaissance de cause.
Cela a amené, en sus d'une curiosité et un regard sur l'antériorité de ce qui existe, un cheminement vers le droit.
Ce n'est là qu'une parcelle de l'effort consenti pour fonder un raisonnement qui se veut avoir un peu de poids. Ce n'est là encore qu'un effort individuel , mais qui rejaillit en exemple aussi sur un entourage, pour aller dans le sens d'une position défendue, par d'autres aussi .
Je pense que c'est difficile, mais cela a du sens.
Tout ceci pour expliquer que de vouloir construire des choix politiques que j'espère voir vivre à un niveau qui me représente, comme d'autres le veulent , me demande de participer à réduire un tout petit peu cette difficulté dont vous parlez.
Pour revenir au sujet de Paxatagore, une Europe politique peut effectivement être la désignation d'un sens indéterminé et trop flou , au regard de nombreuses règles qui se sont mises en place sans mettre en avant les principes fondateurs des Etats qui donnaient sens à l'investissement des citoyens et parce que beaucoup d'entre nous ont oublié de les regarder ou de se les rappeler.
Quand certaines personnes estiment qu'elles ne saisissent pas l'opposition entre les règles du marché et des choix politiques, ou qu'elles estiment encore qu'ils ne peuvent pas coexister, je pense alors qu'il est encore légitime de revenir à la source de ce qui a du sens pour nous.
De là découle ce que l'on souhaite voir exister.
Si rien n'est supérieur à la souveraineté des peuples par eux même, il faut alors penser une politique européenne qui s'exerce en ce sens sur la base des principes qui donnent sens et structure aux institutions et à la reconnaissance du statut citoyen.
L'europe politique, pour moi, c'est déjà regarder si mon statut de citoyenne européenne m'ouvre davantage de droits qu'il ne m'en enlève au regard de la constitution et au regard de la réalité des pratiques découlant du droit européen.
Ma citoyenneté française et mes droits, au fond, en ont déjà pris un coup.
Je ne peux donc adhérer dans ce sens.
Mais je travaille, à mon niveau, pour ne pas renoncer d'avancer dans l'Europe.
Rédigé par : DG | 19 octobre 2005 à 20:51
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Rédigé par : fausto | 11 novembre 2005 à 18:08