Connaître, étudier, faire connaître son histoire est certainement l'une des clés par lesquels les hommes libres peuvent apprendre à se gouverner. C'est dans ce contexte que nous parlerons ici de deux projets constitutionnels pour l'europe dont l'existence n'a guère été évoquée durant la campagne, et, pour commencer, du projet Spinelli.
Le "Projet de traité instituant l'Union Européenne" du député italien Altiero Spinelli, plus connu sous le nom de "Projet Spinelli" fut adopté par le Parlement Européen dans le cadre d'une résolution votée à une très large majorité (Bulletin des communautés européennes, n°2, année 1984, p.8-26)
Une copie intégrale (non-officielle) de ce rapport est lisible ici. Les nouveautés par rapport aux traités existants y sont mis en valeur par l'emploi de la couleur rouge.
Quelques extraits :
"-Considérant la
nécessité, (...) de doter l'Union européenne
d'une Constitution démocratique afin de permettre le
développement de la construction européenne,
conformément aux exigences de ses citoyens,
- Considérant
que le Traité sur l'Union
européenne ne répond pas pleinement
aux exigences de démocratie et
d'efficacité de l'Union européenne
- Considérant que la Constitution
doit
être facilement accessible
et compréhensible pour les citoyens de l'Union et doit
constituer
l'alternative démocratique de révision du Traité
par rapport à la méthode de négociation
intergouvernementale."
Article 9 - Buts
L'Union a pour buts :
- d'assurer un
développement humain et harmonieux de la
société reposant notamment sur la recherche du plein
emploi, l'élimination progressive des
déséquilibres qui existent entre ses régions, la
protection de l’environnement et l'amélioration de sa
qualité, le progrès scientifique et culturel de ses
peuples,
- d'assurer le
développement économique de ses peuples
dans le cadre d'un marché intérieur libre et dans le
contexte de la stabilité monétaire, de l'équilibre
des relations économiques extérieures et d'une croissance
économique constante, sans discrimination entre ressortissants
ou entreprises des différents États membres, en
renforçant la capacité des États, de leurs citoyens et de
leurs entreprises à adapter solidairement leurs structures et
leurs activités aux mutations économiques,
- de promouvoir dans les relations
internationales la
sécurité, la paix, la coopération, la
détente, le désarmement et la libre circulation des
personnes et des idées ainsi que l'amélioration des
relations commerciales et monétaires internationales,de contribuer au
développement harmonieux et juste de tous les
peuples du monde pour leur permettre de sortir du
sous-développement et de la faim et d'exercer pleinement leurs
droits politiques, économiques et sociaux."
C'est lors de la première législature d'un Parlement Européen disposant depuis 1979 d'une légitimité démocratique qu'une série de conflits relatifs à l'élaboration du budget communautaire que quelques parlementaires fondèrent le "groupe du crocodile", qui parvint assez vite à convaincre le Parlement de fonder en 1981 une commission institutionnelle dont Spinelli devint le rapporteur. Cette commission rendit son rapport que le Parlement accepta (avec quelques amendements) à une très large majorité le 14/2/1984.
La lecture des quatre-vingt sept articles du rapport s'avérant bien plus aisée que celle du TCE (bien qu'intégrant l'acquis communautaire de l'époque), je ne me risquerai pas à le commenter plus avant. Pourtant, il me semble qu'on peut affirmer que bien plus que donner immédiatement une forme (fédérale ou non) à l'europe de l'époque, le rapport proposait avant tout une règle du jeu (avec règles et institutions fondatrices) pour permettre de déterminer quelle structure aurait l'Europe dans l'avenir. On notera avec amusement que la règle de vote au Conseil était la majorité simple sauf exception explicite, et que la Commission conservait l'exclusivité de l'initiative législative ou réglementaire. En matière budgétaire, le Parlement se prononçait sur toutes les dépenses.
Malgré le soutien affiché du président Mitterand à ce projet, le Conseil Européen de Fontainebleau décida en 1984 de charger le comité Dooge d'entamer une réflexion sur les questions institutionnelles de l'Union, lequel finit par proposer l'Acte Unique, qui se donna comme objectif de "mener à terme la réalisation du marché intérieur avant fin 1992" (...) c'est à dire d'un "espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée" (article 7 A).
Bravo, Gus, excellent article! Retrospective salutaire, mais il aurait fallu insister sur les raisons qui ont fait passer l'europe politique au second plan au profit du projet strictement économique.
Les mêmes qui avaient fait cela à l'époque ont voulu faire de l'Europe politique? A leur place, je m'abstiendrais. Il n'y a pas de place pour les technocrates dans le schéma démocratique!
Rédigé par : sys4 | 22 octobre 2005 à 23:06
Un rappel pertinent. Je me permets de faire un relais sur http://relatio.blogspirit.com.
Rédigé par : Daniel RIOT | 23 octobre 2005 à 00:59
Un rappel pertinent. Je me permets de faire un relais sur http://relatio.blogspirit.com.
Rédigé par : Daniel RIOT | 23 octobre 2005 à 01:00
sys4: je laisse tout à fait délibéremment du travail au lecteur. Je crois en effet très profondément que de très nombreux citoyens pro-UE et pro-TCE croient sincèrement que le progrès démocratique et social en europe a commencé en 2000 et ignorent totalement une histoire que les défenseurs du TCE ne se sont guère empressés d'évoquer.
Ce qui est devenu l'Union a donc sciemment refusé il Y a 20 ans une proposition pour une europe démocratique disposant d'une personnalité juridique et des institutions initiales portée par un Parlement Européen disposant de la légitimité populaire.
Rédigé par : Gus | 23 octobre 2005 à 08:09