(note rédigée simultanément à celle juste en dessous, mais comme elles se complètent, je la laisse en ligne)
Il y a quelques mois, Emmanuel avait écrit une note sur le sujet. Pour résumer, la Commission avait émis un projet de directive sur la brevétabilité des logiciels ("les inventions mises en oeuvre par ordinateur"). Lors de la première lecture au Parlement européen, le texte avait été largement amendé par les eurodéputés, sous la conduite de Michel Rocard (pdf), rapporteur sur le sujet. La version adoptée par le Parlement prévoyait que seules les inventions mettant en oeuvre les forces de la nature, et non les simples formules mathématiques, pourraient faire l'objet d'un brevet. Lors de la première lecture au Conseil, celui-ci n'a pas retenu les amendements du Parlement et a arrêté une position commune proche de la proposition initiale de la Commission, satisfaisant ainsi les grands industriels du secteur informatique.
Aujourd'hui, le texte était proposé en deuxième lecture au Parlement européen.
Si en première lecture une majorité des présents suffit pour adopter une position, en deuxième lecture il faut en revanche une majorité absolue des députés quelque soit le nombre de députés présents ce jour-là (rappelons qu'il ne peut y avoir de vote par procuration). La crainte des défenseurs d'une version amendée du projet (toujours Michel Rocard, soutenu par les Verts, le PSE et quelques centristes du groupe ADLE) était de ne pas trouver cette majorité, ce qui aurait conduit à l'adoption de la version adoptée par le Conseil.
Mais, surprise, mardi soir, le groupe PPE (droite) s'est prononcé en faveur d'un rejet du texte. Le PPE soutenait la position commune du Conseil mais avait peur que la gauche et les centristes dégagent finalement une majorité pour adopter des amendements. Ils ont préféré ne pas avoir de texte qu'un texte amendé par la gauche. Parallèlement, PSE et Verts, qui eux avaient peur de ne pas pouvoir dégager de majorité en faveur de leurs amendements, se sont ralliés à ce rejet pur et simple du texte, estimant qu'il était "mieux de ne pas avoir de texte que d'en avoir un mauvais" selon les propos de Michel Rocard. Au final, ce matin, une très large majorité s'est donc prononcée pour un rejet pur et simple du texte, ce qui arrête net la procédure de codécision (point n°14 du schéma).
Fait extrêmement rare (c'est même une première à ce stade de la procédure !), le Parlement a donc mis fin à un projet présenté par la Commission et soutenu par le Conseil. Le commissaire aux affaires économiques, Joaquin Almunia, a fait savoir que la Commission ne ferait pas de nouvelle proposition si le rejet était voté. On reste donc pour le moment avec 25 systèmes juridiques différents en la matière malgré l'existence de l'Office européen des brevets de Munich.
Damien: je crois utile de préciser que le Conseil n'a pas eu l'opportunité de se prononcer sur la position adoptée en première lecture par le Parlement, la Commission Européenne ayant refusé de la présenter au Conseil (comme le permet le point 3 de la procédure).
Pour autant, il est tout à fait exact que, au Conseil du moins, la France, l'Allemagne, l'Irlande et la Royaume-Uni ont continuellement exprimé un soutien sans faille à la position de la Commission.
Rédigé par : Gus | 06 juillet 2005 à 18:44
Merci pour cette précision, Gus.
Rédigé par : Damien | 06 juillet 2005 à 19:22
voilà une trés bonne nouvelle.
Merci de l'information
Rédigé par : DG | 06 juillet 2005 à 19:30
En complément de mon message précédent, une transcription artisanale de l'extrait de l'intervention du rapporteur du projet pour le Parlement Européen (Michel Rocard) (telle que diffusée le 6/7 à 18h10 environ sur France Culture) :
"Il y a surtout ici une colère collective et celle-là, unanime, de tout le parlement contre la manière inadmissible dont il (le dossier NDLR) a été traité par la commission et le conseil (applaudissements nourris), mépris total, voire sarcastique des choix faits par ce parlement en première lecture, absence totale de toute consultation de la part de la commission dans la rédaction du projet de texte pour la deuxième lecture, tentatives répétées d'empêcher le débat entre gouvernements au conseil lui-même. Dans le principe, c'est déjà scandaleux. La crise que l'europe traverse aujourd'hui comporte largement sa part d'insuffisance(s ?) démocratique(s ?). Le conseil a là une responsabilité écrasante qu'il a particulièrement manifesté dans ce dossier : que ce rejet lui serve de leçon."
Rédigé par : Gus | 06 juillet 2005 à 23:04
A noter que le soutien inconditionnel de la France a la directive date de l'arrivee au pouvoir de la droite, le gouvernement Jospin avait manifesté son opposition apres quelques hesitations initiales lors des premiers debats europeens sur le sujet.
Laurent
Rédigé par : guerby | 07 juillet 2005 à 01:30
Laurent: oui en gros, mais oui et non. Les membres du gvt Jospin n'ont effectivement pas eu l'occasion de se prononcer officiellement sur le sujet.
Pour autant, la France du gvt Jospin a participé (par le biais de l'INPI et de membres de cabinets de ministres de ce gouvernement) aux travaux préparatoires (informels) à la réforme de la convention de 1973 (convention de Munich), lesquels ont abouti à la proposition de la Commission, laquelle ressemblait au final beaucoup au texte qui a été présenté au Parlement Européen en première ET seconde lecture malgré trois ans de "débat". Malgré les avertissements lancés par quelques députés socialistes (et d'autres bords) depuis 1999, la position de la France au sein de ces instances certes informelles a toujours été de soutenir un renforcement de la législation existante et une réforme effective de la convention de 1973.
En un mot, le sujet, pourtant à l'évidence cher au coeur de l'électorat progressiste français plutôt pro-PS a été traité avec une certaine légèreté. Je dois cependant reconnaître que, depuis début 2003, les députés européens français PS ont réellement bien travaillé sur ce sujet.
Je crois au fond, en fait, que la nature exacte du sujet traité n'avait pas été réellement perçue par les ministres socialistes de l'époque. Après tout, le divorce entre les élus de tous bords en général et le milieu de la recherche et de la technologie était déjà consommé à l'époque (il l'avait été dès Lisbonne, qui avait révélé un clivage entre partisans d'une approche purement économique de la science et partisans d'une approche plus scientifique de la recherche). à l'époque, il avait semblé suffisant de "prendre une posture en faveur d'une limitation de la brevetabilité" (Chirac et Jospin avaient publiquement affiché leur soutien à cette vision), mais laisser les cabinets travailler au motif que le sujet était "hautement technique". En pratique, ce que faisait la France à l'U.E. était à peu près l'inverse de ce qu'aurait suggéré les postures affichées par la très grande majorité des candidats à la présidentielle.
Mais bon : puisque le choix de Parlement Européen est un non-choix, mais que le parlement a par contre bien compris que le sujet n'était pas un "simple petit truc technique", il faudra certainement ressortir le sujet pour la campagne de 2007, à moins que le rapporteur de l'EPP (plutôt partisan d'une limitation du champs de la "brevetabilité") n'obtienne une ré-ouverture du dossier dans des conditions plus raisonnables de démocratie et de transparence.
Pour autant, je ne nie pas que l'engagement du ministre de l'industrie du précédent gouvernement (probable candidat à la succession de Nicolas Sarkozy à la présidence du CG92) en faveur des brevets logiciels était lui, tout à fait sincère au point de refuser de recevoir la personnalité américaine pourtant francophone la plus "marquante" du logiciel libre (Richard Stallman) venue pour le voir débattre de la position de la France au Conseil. La position de l'ex-ministre en charge des affaires européennes de l'époque, à cette époque ex-ministre de la recherche n'a fait que confirmer l'existence d'une divergence radicale entre d'un côté les personnes se revendiquant comme "innovateurs" (scientifiques, ingénieurs, programmeurs, créateurs d'entreprises) et de l'autre la vision institutionnelle de l'innovation telle que promue par ceux qui se reconnaissent pourtant incapables de la pratiquer.
Rédigé par : Gus | 07 juillet 2005 à 08:51
Gus, je suis étonné par un point de votre premier post.
Selon vous, le Conseil n'aurait pas eu l'opportunité de se prononcer sur la proposition modifiée du Parlement, la Commission ne lui ayant pas soumis (point 3 de la procédure).
J'ai un peu oublié la procédure de codécision, et il est vrai qu'elle a un peu évolué ces derniers temps. Mais il me semble assez étrange que la Commission puisse tout simplement refuser un amendement du Parlement sans que le Conseil ait à se prononcer (sauf à retirer purement sa proposition).
A mon avis, ce qui se passe plutôt c'est que la Commission donne son >avis< sur les divers amendements du Parlement (par exemple en les incorporant ou pas dans sa nouvelle version). Certes cet avis est loin d'être neutre car le Conseil doit voter à l'unanimité pour passer outre un avis négatif sur un amendement à ce stade.
Mais cela ne signifie pas que le conseil n'a pas l'opportunité de se prononcer sur l'amendement.
Ou alors, est-ce que je me trompe?
Rédigé par : Burt Allibert | 07 juillet 2005 à 08:57
@Gus: "A mon avis, ce qui se passe plutôt c'est que la Commission donne son >avis< sur les divers amendements du Parlement (par exemple en les incorporant ou pas dans sa nouvelle version). Certes cet avis est loin d'être neutre car le Conseil doit voter à l'unanimité pour passer outre un avis négatif sur un amendement à ce stade."
Je crois que vous vous trompez de stade: en première lecture, le conseil n'est pas contraint de voter à l'unanimité pour passer outre les avis de la commission, comme le montre l'alinea 2 de l'article 251 "le conseil statue à la majorité qualifiée". Par contre il précise aussi que le Parlement donne à ce stade un "avis", ce qui sous-entend qu'on puisse passer outre, même si cela peut après être politiquement difficile à gérer. Je ne vois pas, d'après le texte du traité, qui a effectivement le pouvoir pour faire cela, du conseil ou de la commission ...
Rédigé par : groM | 07 juillet 2005 à 16:10
Oups ... je voulais dire @Burt Allibert et non @Gus. Désolé.
Rédigé par : groM | 07 juillet 2005 à 16:13
Burt: pas grand chose à ajouter à ce qu'a écrit groM, si ce n'est que les faits sont là et bien là : la chose, s'est produite (de l'avis du rapporteur du projet, entre autres avis), entre septembre 2003 et avril 2004 pour être précis. Et puisque le référendum luxembourgeois est pour bientôt, autant re-préciser que la procédure suivie pour cette directive (co-décision avec vote à la majorité qualifiée) *est* ce que les défenseurs du Traité pour une COnstitution Européenne présentent comme un progrès pour la démocratie dans l'U.E. .
Maintenant, pour aller un peu plus au fond des choses, il faudrait parler des relations entre COREPER I et la Commission d'un côté, COREPER II et le Conseil de l'autre, du point de vue juridique d'une part, et du point de vue des faits d'autre part.
Mais, sur cette affaire bien particulière, on ne doit pas non plus oublier qu'à cette époque, dans le cadre de la "préparation à l'élargissement de l'U.E.", COREPER et le Conseil devaient se préparer à accueillir, au troisième trimestre 2004, des représentants des dix nouveaux états membres de l'U.E. : il était donc évident aux yeux de tous que certaines positions communes seraient définies par un Conseil dont la composition différerait sensiblement de celle du Conseil qui auraient finalement validé les positions prédéfinies, d'où l'intérêt de traiter de manière très consensuelle les positions en cours de traitement troisième trimestre 2004. A ce titre, la position adoptée par le Parlement Européen en septembre 2003 créait un fâcheux imprévu. J'avoue penser que la Commission, sur ce sujet, a certainement avant tout pris l'avis du COREPER.
Rédigé par : Gus | 07 juillet 2005 à 18:22
@groM et Gus: merci, je crois que j'ai compris maintenant.
Gus, je n'arrive pas très bien à cerner votre avis de fonds sur la procédure de codécision. Il semble que vous la trouviez mauvaise à vote du vote à la majorité qualifiée. Préféreriez vous l'unanimité, ou est-ce plutôt que vous préféreriez la majorité simple?
Rédigé par : Burt Allibert | 08 juillet 2005 à 09:12
@Gus et Burt Allibert: Gasp, j'ai faux ! Comme d'habitude en droit, il faut une vision complète du texte pour pas raconter de connerie. Un grand merci donc au "Droit institutionnel de l'Union Européenne" de Jean-Paul Jacqué pour m'avoir fait comprendre le point qui va suivre.
L'article 250 est également applicable à la première phase de la procédure de codécision. Cela signifie que si le conseil veut s'écarter de la proposition de la commission en première lecture, il doit voter à l'unanimité. Moralité de l'histoire: soit la commission reprend à son compte les amendements éventuels du Parlement et le conseil peut les adopter à la majorité qualifiée, soit elle ne les reprend pas à son compte et le conseil ne peut les adopter qu'à l'unanimité. C'est manifestement ce qui s'est passé dans cette histoire de brevets logiciels.
La réponse à ma question est donc: la commission.
PS: on notera qu'en deuxième lecture, l'article 250 ne s'applique pas.
PPS: sur les quatre textes jusqu'à présent rejetés par le Parlement sans conciliation, 2 étaient relatifs aux brevets (biotechnologiques pour le premier, logiciels pour le second), ce qui constitue une proportion assez élevée ...
Rédigé par : groM | 08 juillet 2005 à 09:59
Gus : "Maintenant, pour aller un peu plus au fond des choses, il faudrait parler des relations entre COREPER I et la Commission d'un côté, COREPER II et le Conseil de l'autre, du point de vue juridique d'une part, et du point de vue des faits d'autre part."
Et de la comitologie!
groM : "on notera qu'en deuxième lecture, l'article 250 ne s'applique pas."
Hum... je peux me tromper mais je ne pense pas. La Commission peut toujours forcer l'unanimité au Conseil après la seconde lecture du PE. L'exception ouverte par l'article 250 CE concerne la procédure de conciliation (pendant laquelle la Commission perd effectivement l'essentiel de ses prérogatives)?
Rédigé par : Emmanuel | 08 juillet 2005 à 16:06
@Emmanuel: heureusement que vous êtes là pour corriger mes erreurs.
Il faut donc lire "on notera qu'en phase de conciliation, l'article 250 ne s'applique pas", comme le montre une lecture un peu plus attentive dudit article.
Rédigé par : groM | 08 juillet 2005 à 17:09
Emmanuel: ce serait avec un immense plaisir que je lirai une opinion fraîche sur la comitologie. Mais je ne me risquerais pas le premier sur ce terrain glissant, faute de bases théoriques et de recul. Je crois d'ailleurs que les manques auxquels le rapporteur du Parlement faisait allusion était peut-être la violation de l'obligation d'information complète du parlement citée dans le "Modus vivendi" relatif à la comitologie du 20 décembre 1994, qui n'a certes, en pratique été que très rarement respectée (malgré une proposition de réforme des procédures de comitologie en ce sens de la Commission le 11 décembre 2002 visant à promouvoir égalité des capacités de contrôle du P.E. et du Conseil).
Burt: en ce qui ne concerne que ma petite opinion, je trouve que le terme de "codécision" est assez inadapté pour décrire un processus dans lequel les supposés co-décidants ne peuvent éventuellement s'entendre que si une tierce partie daigne leur en laisser l'occasion. Par ailleurs, il traine dans les archives de Publius un lien sur une petite vidéo assez symptomatique de la manière dont peut se contruire une majorité qualifiée au Conseil. ( http://media.ffii.org/Council18may/denmark040518.wmv )
Rédigé par : Gus | 11 juillet 2005 à 17:58
Après le rejet de la directive visant à rendre légaux les brevets logiciels, la Commission Européenne déclare que l'Office Européen des Brevets, ainsi que les offices nationaux, continueront à délivrer des brevets logiciels, en contradiction avec la convention européenne applicable, et malgré le vote écrasant du Parlement Européen :
http://news.zdnet.co.uk/business/legal/0,39020651,39210094,00.htm
" "The Commission maintains that, without the directive, patents on computerised inventions will continue being granted by national offices and the European Patent Office," said the Commission in a statement. "It [the EPO] does not grant 'software patents' — computer programs per se, algorithms or computer-implemented business methods — that make no technical contribution," said the EC."
Bon : si les instances de l'U.E. elles-mêmes décident d'ignorer le Parlement Européen s'exprimant à une majorité de 95%, on fait quoi ?
Rédigé par : Gus | 22 juillet 2005 à 21:12