Le traité établissant une constitution pour l'Europe n'est pas encore entré en vigueur qu'il a déjà été modifié. Comment? se demande le lecteur ébahi. La pression des mouvements sociaux européens et le spectre du "non" français aurait-elle déjà forcé les Etats-membres à supprimer la référence à la "concurrence libre et non faussée" à l'article 3, à biffer toutes les mentions de la "liberté de circulation des capitaux" et à remplacer l'expression "libre échange" par celle de "protectionnisme éclairé"?
Hélas, non. Et j'exagère d'ailleurs un peu en disant que le TECE a déjà été modifié. Il serait plus exact de dire que, le traité constitutionnel qui entrera en vigueur le 1er novembre 2006 si la procédure de ratification va à son terme d'ici-là ne sera pas tout à fait celui sur lequel les peuples et les parlements des 25 Etats-membre auront voté. Je m'explique : le traité d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union Européenne a été signé le 25 avril à Luxembourg.
Comme le TECE a été prévu pour, et signé par, les 25 actuels Etats-membres, il faut bien entendu l'adapter à l'entrée, le 1er janvier 2007, de la Bulgarie et de la Roumanie dans l'UE. Evidemment les modifications sont légères, et le plus souvent de pure forme. Les protocole annexé au traité d'adhésion (pdf) prévoit ainsi les "ajustements" suivants au TECE :
- article 10 : la modification du protocole n°3 relatif à la CJUE pour permettre le passage de 25 à 27 juges
- article 11 : la révision du statut de la Banque européenne d'investissement (protocole n°5 annexé au TECE) pour augmenter le capital et le nombre de directeurs
- article 13 : une extension des exemptions à la liberté de circulation des capitaux aux cas de la Bulgarie et de la Roumanie (art. III-157)
- article 14 : le rajout de la Bulgarie et de la Roumanie à la liste des parties au TECE (art. IV-440)
- article 15 : l'ajout des versions roumaines et bulgares dans les versions authentiques du TECE (art. IV-448)
Suivent des dizaines d'autres modifications permanentes ou temporaires à des protocoles et annexes du TECE qu'il serait fastidieux de lister ici (mais ceux qui veulent lire les 391 pages en anglais savent où trouver le pdf). Et le traité d'adhésion lui-même précise bien que "le protocole, y compris ses annexes et apendices, est annexé au TECE [...], et ses dispositions font partie intégrante de [ce] traité" (pdf, article 1, al. 4).
Une question brûlante se pose néanmoins : que se passe-t-il si le TECE n'est pas adopté avant le 1er janvier 2007, date prévue pour l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'UE? Dans leur grande sagesse, les négociateurs ont prévu un second protocole de 414 pages, appelé acte d'adhésion (pdf) et annexé au traité d'adhésion qui trouvera à s'appliquer "dans le cas où le TECE n'est pas entré en vigueur le 1er janvier 2007 et jusqu'à son entrée en vigueur" (p 2). Cet acte d'adhésion listant évidemment les amendements à apporter aux traités (TUE et TCE) régissant le fonctionnement actuel de l'Union européenne.
Pour récapituler : les 25 Etats-membres de l'UE et les deux pays candidats doivent désormais ratifier un traité d'adhésion modifiant par avance un texte (le TECE) qui n'est pas encore entré en vigueur. Le traité d'adhésion se fonde d'ailleurs partiellement sur un article du TECE ("considérant que l'article I-58 du TECE [...] offre aux Etats européens la possibilité de devenir membres de l'Union"], article qui n'a aucune force juridique pour l'instant. Rien de cela n'est évidemment scandaleux mais la logique circulaire à l'oeuvre a quelque chose d'assez vertigineux.
Notons enfin que la pratique, récurrente, indispensable et légitime (tant qu'elle reste limitée à l'adaption des traités, et ne devient pas une forme subreptice de révision), qui constitue à adapter les traités institutionnels au moyen des traités d'adhésions montre à quel point l'argument relayé par Dupont-Aignan sur Nice comme verrou à l'entrée de la Turquie est fallacieux. Son argumentaire se base sur le fait que Nice comporte des dispositions (notamment la pondération des voix au Conseil) permettant d'adapter les institutions à une Union à 27 : les 25 Etats-membres plus la Roumanie et la Bulgarie. Ergo, que l'entrée de la Turquie est impossible dans le cadre du traité de Nice.
Comme on l'a vu plus haut, cet argument est absurde : si les 27+ Etats membre décident un jour d'approuver l'entrée de la Turquie dans l'UE, le traité d'adhésion comportera des dispositions modifiant les traités en vigueur. Nice a d'ailleurs déjà été modifié par Athènes, sans que personne, ou presque, ne s'en émeuve. Si les dispositions spéciales "Europe à 27" restent en vigueur, et que l'adhésion de la Turquie est approuvée, elles seraient amendées par le traité d'Istanbul, d'Izmir ou d'Ankara. Croire que Nice constitue un verrou dénote ou une méconaissance gravissime du droit européen ou la volonté de prendre les électeurs pour des crétins.
@hmmm
"Cette paranoïa devient agaçante. Vous avez élu des représentants qui ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, c'est son rôle, gouverne."
Nous avons élu des représentants sur la base de programmes. Je me trompe peut-être mais je n'ai pas souvenir d'un quelconque programme politique lors d'élections nationales où il a été question du langage, de la position a tenir lors des discutions des traités européens. J'étais et suis toujours conscient que nos représentants gouvernent au-delà des frontières nationales. Mais c'est quand même pas ma faute si j'étais incapable de dire vers quelle Europe ils comptaient nous conduire. Je ne crois pas être loin de la réalité en disant que l'Europe s'est malheureusement construite dans l'ignorance des peuples, du peuple français en tout cas (et c'est certainement pas que la faute des politiques). Aujourd'hui on nous (re)donne l'opportunité de nous exprimer sur le sujet. A nous de la saisir et d'exprimer notre opinion.
Rédigé par : Olivier | 13 mai 2005 à 02:09
Je reviens sur cet article suite à la lecture de Libé de ce matin qui m'a poussé à faire un peu de recherche sur le web sur une autre question : celle de la modification des erreurs matérielles du texte. Il y a des polémiques sérieuses sur la qualité de la traduction dans au moins deux pays (la Pologne et la Lettonie - voir aussi pour Malte à http://www.maltatoday.com.mt/2004/05/30/t4.html ).
Ce qui est plus curieux, c'est que les gouvernements letton et polonais semblent entendre que ces erreurs _pourront_ être rectifiées.
Citations :
Pour la Pologne (source http://www.warsawvoice.pl/view/7523 ) "Paweł Świeboda, head of the EU Department at the Ministry of Foreign Affairs, has announced that correction of a translated text is nothing unusual, and that the Italian and German versions also include similar mistakes. He points out that verification of the translation of an international treaty is an accepted practice regulated by stipulations in relevant conventions. " et (source http://derstandard.at/?url=/?id=1923269 ) " Der mangelhafte Text wurde schon im Amtsblatt der Europäischen Union veröffentlicht. Jetzt wird es also umso schwierig, ihn zu korrigieren. "Wir haben schon an die italienische Regierung, die ein Depositar der Verfassung ist, einen Antrag gestellt, um die nötigen Änderungen einführen zu können", sagte Swieboda. "
Pour la Lettonie (source http://www.mfa.gov.lv/en/news/press-releases/2005/April/19/ ) "The Ministry of Foreign Affairs submitted the corrections to the Secretary-General of the Council of the European Union on February 24 and received a letter from the General Secretariat stating that only ten of the corrections requested could be considered essential and, therefore, could be made; the rest could be considered stylistic inaccuracies, and their correction in the Treaty is not necessary. On April 1, the Ministry of Foreign Affairs asked the General Secretariat of the Council of the European Union to reassess the proposed corrections that were rejected and, at the same time, ensure adequate quality of the published text.
Currently, Latvia is waiting for an answer from the General Secretariat of the Council of the European Union. It is expected that the draft law will continue its course when the translation errors have been corrected, since the corrections of errors are prepared by the General Secretariat of the Council of the European Union, which sends the draft corrections for approval to the states that have signed the Treaty Establishing a Constitution for Europe. "
Rédigé par : Jacques L. | 14 mai 2005 à 09:31