La campagne officielle pour le referendum démarre demain, et avant cette épuisante quinzaine, je vous propose de faire un point sur les aspects purement juridiques de ce referendum.
Rappelons que dans le cadre d'un referendum, un projet de loi ou de révision de la Constitution (la seule, la vraie, celle du 4 octobre 1958 instituant la Ve république française) est soumis à l'adoption par le peuple exerçant directement le pouvoir législatif, un pouvoir législatif allégé du droit d'amendement, impossible à exercer à 41 millions d'électeurs inscrits. Il ne peut y avoir de referendum-sondage du type "préférez-vous une hausse de la TVA ou une hausse de l'impôt sur le revenu ?".
Je laisse de côté le "referendum local" qui est un faux referendum, introduit dans la Constitution par la révision du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, par lequel une collectivité territoriale peut soumettre aux électeurs inscrits sur son ressort une délibération qui ressortirait de son organe délibératif, en relevant toutefois que là aussi, c'est le pouvoir normatif qui est exercé par les électeurs.
Un referendum se distingue des autres scrutins par le fait qu'il ne s'agit pas d'élire des candidats qui doivent être traités sur un pied d'égalité, mais de voter oui ou non à un projet de loi.
Le Code électoral est muet sur les referendums. C'est donc un décret qui est pris à l'occasion de chaque scrutin qui en précise le déroulement. Toutefois, un décret ne peut réinventer le droit électoral, et concrètement, ce décret se contente de renvoyer aux dispositions du Code électoral régissant les élections des députés, conseillers généraux et municipaux, ou de reprendre in extenso certaines dispositions, telles celles sur les votes blancs et nuls.
Le referendum du 29 mai prochain est ainsi régi par le décret n°2005-237 du 17 mars 2005 (pdf).
La campagne proprement dite fait l'objet d'un décret n°2005-238 du 17 mars 2005 (pdf). Ce décret nous apprend notamment que la campagne démarre le 16 mai à zéro heures et se termine le samedi 28 à minuit, et que toute publicité (le Code électoral, auquel il est renvoyé une fois de plus, parle de propagande sans que ce terme ait une connotation péjorative) par voie de presse est interdite depuis le 9 mai 2005.
Les partis politiques, bien que ne présentant pas de candidats, ne sont pas tenus à l'écart. Ce serait anticonstitutionnel, puisque l'article 4 de la Constitution précise que les parti politiques "concourent à l'expression du suffrage".
Le décret n°2005-237 habilite à participer à la campagne les partis politiques qui en ont fait la demande avant le 29 mars 2005 à 18 heures, et qui remplissent les conditions suivantes :
– les partis et groupements politiques auxquels au moins cinq députés ou cinq sénateurs ont déclaré se rattacher pour l’attribution en 2005 de l’aide publique aux partis et groupements politiques prévue par l’article 9 de la loi du 11 mars 1988 susvisée ;
– ou les partis et groupements politiques qui ont obtenu, au plan national, au moins 5 % des suffrages exprimés à l’élection des représentants français au Parlement européen qui a eu lieu le 13 juin 2004.
Ces partis sont, dans l'ordre d'arrivée des demandes d'ahbilitation, qui correspondra au numéro du panneau devant chaque bureau de vote :
1. Mouvement pour la France.
2. Association Parti socialiste - Parti radical de gauche et apparentés.
3. Union pour la démocratie française.
4. Rassemblement pour la France.
5. Parti communiste français.
6. Front national.
7. Les Verts.
8. Union pour un mouvement populaire.
Philippe de Villiers a donc été le plus motivé pour déposer sa demande, l'UMP étant bonne dernière, ce qui n'est peut-être pas innocent. Le Mouvement Républicain et Citoyen de Jean-Pierre Chevènement ne pouvait être habilité, n'ayant pas atteint les 5% lors des européennes de 2004.
Les partis politiques non habilités ne sont pas condamnés au silence, mais ils ne jouissent pas des droits suivants :
– de disposer d’un panneau d’affichage aux emplacements d’affichage prévus durant la campagne par l’article L. 51 du code électoral ;
– de concourir à la formation des bureaux de vote par la désignation d’assesseurs et d’assesseurs suppléants ;
– de contrôler les opérations électorales par la désignation de délégués et de délégués suppléants ;
– de participer aux opérations de dépouillement par la désignation de scrutateurs ;
– de disposer d’un temps d’émission télévisée et radiodiffusée, dans les conditions prévues aux articles 3, 5, 6 et 7 du décret 2005-237 relatif à la campagne en vue du référendum ;
– de bénéficier, dans les conditions des articles 8 à 10 du décret relatif à la campagne en vue du
référendum, d’un remboursement de certains frais de campagne, dans la limite de huit cent mille euros.
Où l'ion retrouve la question, traitée par Versac, du déséquilibre de temps de parole en faveur du oui invoqué par les tenants du non (si je puis me permettre une incise, si je suis très réservé sur l'aspect méthodologique pour mesurer ce déséquilibre, le CSA me paraissant sous-estimer le problème, et Arrrêt Sur Image le surestimer, je ne mets pas un instant en doute la réalité de ce déséquilibre). Que dit la loi à ce sujet ?
C'est l'article 5 du décret n°2005-237 qui pose les règles du temps d'antenne réservé aux partis politiques pour diffuser leur propagande (au sens juridique, sans connotation péjorative) :
Les organisations politiques habilitées mentionnées à l’article 3 disposent dans les programmes des sociétés nationales de programme d’une durée de 140 minutes d’émission télévisée et de 140 minutes d’émission radiodiffusée, qui est répartie, par arrêté du Premier ministre, de la façon suivante :
1o Chaque organisation habilitée dispose d’une première attribution de 10 minutes ;
2o La durée restante après attribution de la dotation prévue au 1o est répartie entre les organisations, pour moitié proportionnellement au nombre des députés et des sénateurs qui ont déclaré s’y rattacher pour l’attribution en 2005 de l’aide publique aux groupements politiques, et pour moitié proportionnellement aux résultats obtenus lors de la dernière élection des représentants français au Parlement européen.
C'est à dire que 2h20 sont consacrés aux plages d'expression directes des partis habilités, à raison de 10 minutes par parti habilité (ce qui fait donc 80 minutes) les 60 restantes étant réparties en fonction de la représentation parlementaire et des résultats aux européennes.
Cela signifie une très forte prédominance du oui, les partis ouistes ayant obtenu 64,88% des voix aux européennes, détenant 96% des sièges de députés (calcul ne tenant pas compte des non inscrits), et 95% des sièges des sénateurs (j'ai mis les RDSE au sein des ouistes, et n'ai pas tenu compte des non inscrits), cela aboutit à ce que 1h41 de ces 2h20 soient attribuées aux ouistes contre 39 minutes au nonniens (tableau de répartition détaillé ici en PDF)
Pour les émissions organisées par les rédactions des diverses télévisions et radios, le CSA a publié une recommandation n°2005-3 du 22 mars 2005 (pdf) fixant les règles du jeu. Cette recommandation parle de répartition "équitable" du temps consacré au oui et au non, et "d'équilibre" entre le temps ouvert au gouvernement, à la majorité parlementaire et à l'opposition parlementaire (dont une grande partie est elle même pour le oui). Equitable ne veut pas dire égale. Le CSA est muet sur le sens du mot équitable, ce qui n'aide pas à y voir clair.
Enfin, notons que la presse écrite et internet ne sont pas concernés par cette règlementation celui qui lit l'Humanité sait à quoi s'attendre, et National Hebdo n'est pas tenu d'ouvrir la moitié de ses colonnes aux partisans du oui.
j'ai surtout voulu montrer qu'il fallait être très fort en droit pour comprendre les subtilités de ce texte!
Si but il y avait, il n'était pas de démontrer qui avait des droits et qui n'en avait pas (je pensai bien qu'on avait tous les mêmes..), mais plutôt que cette partie II, tant vantée comme exemples d'avancées, n'était que du bluff
comme tu le dis, eolas, c'est la conclusion qui compte
Rédigé par : jerome | 16 mai 2005 à 20:09
@Jerome : Mais vous n'avez rien démontré du tout. Entre être une avancée extraordinaire qui justifie à elle seule que l'on vote le TCE, et du bluff marketing sans effet, il y a de la place pour une réponse plus subtile.
Qui a déjà été donnée, et pas par moi :
http://publiusleuropeen.typepad.com/publius/2005/04/porte_juridique.html
Cette Charte a une portée réelle, mais plus limitée dans son domaine qu'à première vue, puisqu'elle ne concerne que les relations UE/Etats membres. Elle est nonobstant une garantie pour les citoyens de l'UE, à qui elle s'adresse, en leur disant : vous voyez ces droits ? Et bien quoique fasse l'UE, nous n'y toucherons pas.
Rédigé par : Eolas | 16 mai 2005 à 22:14
alors, j'ai le droit de manifester ma religion, oui ou non ?
Rédigé par : jerome | 16 mai 2005 à 22:47
@Jérôme :
>>alors, j'ai le droit de manifester ma religion, oui ou non ?<<
L'Union ne fera rien pour vous en empêcher (puisqu'elle doit respecter la Charte). En revanche, un Etat peut adopter une législation nationale qui restreint ce droit dans certains cas (à condition de respecter la Convention européenne des droits de l'homme, comme l'a indiqué Eolas). Et si aucun droit communautaire n'intervient, aucun recours devant la CJUE n'est possible (celle-ci ne peut juger que le droit communautaire, pas le droit national).
Rédigé par : Damien | 17 mai 2005 à 00:39
C'est pas une des premiéres fois ou on fait kelkchose de pas totalement juste lol
Rédigé par : NemR | 17 mai 2005 à 12:27
@ nemR : ptdr méga LOL !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Rédigé par : Eolas | 17 mai 2005 à 13:00
@jérome :
vous avez le droit de manifester votre religion en privé, donc chez vous et en public, donc dans la rue et tout espace non régit par un réglement intérieur, ce qui exclus les administrations, les entreprises, les écoles, les musées...
Ce n'est pas parce qu'un lieu est ouvert au public qu'il fait partie de l'espace public. Mais là nos amis spécialistes de la loi pourraient nous éclairer plus sûrement.
Une bonne part de l'incompréhension de cet article réside dans la définition de cet "en public".
Rédigé par : egdltp | 17 mai 2005 à 14:19
Je vis en Alsace-Moselle et la religion est obligatoire à l'école publique. Si je veux que mes enfants soient dispensés de cours de religion (les notes de religion comptent dans la moyenne annuelle), il faut que je demande une dispense ECRITE. Et les bonnes soeurs veillent au grain : la dispense de ma fille s'était égarée, elle a du assister au cours ! La parole ne suffit pas.
Même si en pratique, cette dispense est toujours accordée, en théorie (droit) elle peut être refusée.
Je vois dans l'article 70 que je peux changer de religion. Mais je ne vois pas que j'ai le droit de NE PAS AVOIR de religion. Ca me gêne !
Rédigé par : arthur | 17 mai 2005 à 16:50