Depuis ma précédente note sur les conséquences d’un non français au referendum du 29 mai, le débat français sur le sujet s'empêtre dans une question éminemment ridicule : y-a-t-il un « plan B ». On entendait Jean-Luc Mélenchon chez Arlette Chabot dire que, bien évidemment, "Bruxelles a un plan B", tandis que je ne sais plus qui lui disait qu'il ne pouvait pas y avoir de plan B. Jacques Chirac a confirmé ceci aujourd'hui : "il n'y aura pas de renégociation", montrant ainsi combien il serait pris au dépourvu face à un non, et aussi combien il souhaite mettre une pression, sans doute inefficace, sur l'électeur.
Les aller-retours de Jacques Delors sur le sujet sont tout autant maladroits, on sent que l'homme a du mal à faire passer un scepticisme relatif vite détourné par un camp ou l'autre. La question n'est pas de savoir si "Bruxelles (c'est qui Bruxelles ?) a un plan B", mais bien de savoir ce qui se passerait en cas de non. Et il n'y a évidemment pas un plan B, mais un faisceau d'hypothèses, et il me parait bien normal que chacun, commission, parlement, gouvernements, se prépare à cette éventualité, ce qui est évidemment le cas.
Je reprends donc, nous en étions en novembre 2006 (je vous confirme que ma fille aura bien alors un an et demi), à la fin du processus de ratification des Etats européens.
D’ici là, évidemment, il se sera passé beaucoup de choses, mais on peut estimer, comme hypothèse de basse, qu’une majorité large d’Etats aura ratifié le traité. Au moins l’immense majorité de ceux qui le ratifient par voie parlementaire, et sans doute un paquet de ceux qui le font par voie referendaire, même si c’est là présager de la volonté des peuples et de la puissance de l’électrochoc français (le doute subsiste sur la position des Pays-Bas et du Danemark, notamment, ainsi que le pointe Libé, en faisant un gros titre de Une sans aucun fondement objectif, passons). Le Royaume-Uni devrait maintenir son referendum, d’après les récentes déclarations de Tony Blair, son issue reste incertaine, quoique s’orientant plutôt pour le non.
Donc, que se passe-t-il alors ? Je vais ici tenter d’examiner quelques scenarii d’évolution institutionnelle de l’UE, sans entrer tout de suite dans une vision à long terme de la construction européenne. Ceci sera fait dans une troisième note. Ces scenarii ne sont pas présentés sous la forme du résultat éventuel d'une renégociation, mais du schéma dans lequel pourrait se faire l'évolution institutionnelle d'après-non.
Scenario 1 : il ne se passe rien. On reste aux traités existants.
C'est ce que nous disent beaucoup de partisans du oui. Le choix serait donc entre Nice (la somme des traités antérieurs) et ce traité. Cette situation est certaine pendant au moins un certain temps. N’en déplaise à M. Mélenchon, celà sera évidemment un retard, puisque l’application de toute évolution institutionnelle sera bien retardée (non, le TCE ne s’applique pas en 2009, et le traité de Nice ne s’arrête pas en 2009 non plus). Ceci n’est pas en soi un argument pour voter oui, puisque, si l’on est cohérent et qu’on juge le texte grave, il vaut mieux « reculer pour mieux sauter ».
Mais il y aura un retard dans l'évolution institutionnelle, personne ne peut le nier. En revanche, ce qui est sûr, c'est que nul ne souhaite (à part Jean-Pierre Chevènement et quelques souverainistes un peu fous qui ne s'en vantent pas) rester sous le traité de Nice, surtout pour ses règles de cohabitation peu satisfaisantes à 25.
On n'en restera donc pas à Nice pendant cinquante ans. La question est donc : comment en sortir ? C'est là qu'interviennent les scenarii suivants. Et chacun, selon sa complexité, détermine le temps pendant lequel nous resterons sous les traités actuels.
Scenario 2 : on lance un "vrai processus constitutionnel, une constituante"
C’est la réponse qui revient souvent chez de nombreux partisans du non, que de dire que le non imposera de procéder à un véritable processus constituant (ce qui est pour eux nécessairement une assemblée élue par le peuple avec le mandat d’écrire la constitution de l’Europe). Ce scenario est hautement improbable à mon avis.
D'abord, ce seront les gouvernements, en conscience, qui devront décider, et la majorité d'entre eux auront derrière eux une approbation du traité. Croire que le non de 10 millions de français peut contraindre les gouvernements de 25 Etats à lancer une constituante est totalement idéaliste, et en outre irrespectueux de la diversité des désirs des peuples européens.
Car, entendons-nous bien : dire qu'on remet l'avenir des institutions européennes à une assemblée spécialement élue pour celà, c'est accepter tout de suite que nous entrions avant tout dans une union de citoyens, dans une fédération, dans un Etat européen unifié. Or, une majorité de ces citoyens, à travers leurs représentants, ou par leurs votes directs, auront dit accepter une association d'Etats et de citoyens, une fédération d'Etats, et ne sont pas prêts à passer le cap du fédéralisme aussi brutalement.
Croire que l'on peut faire, ainsi, le grand pas fédéral sur le fondement d'un refus français est illusoire à mon sens. L'Europe se construira avec les Etats, malgré eux parfois, mais les nier serait une grave erreur.
En outre, ce seront les gouvernements de l'UE qui auront à prendre cette décision. Quel indicateur pourraient -ils tirer de l'opinion européenne qui leur exprime la volonté du peuple d'Europe de s'unir dans un Etat unique ? Aucun. Même en France, le non n'exprimera pas qu'une majorité de français souhaite renoncer à l'influence de l'Etat français, et s'en remettre à une discussion dircte entre peuples (j'aurais même tendance à penser le contraire).
Cette voie est illusoire. On peut en rêver, mais compter dessus ou l'annoncer comme inéluctable, ou nécessaire, non merci.
Scenario 3 : une nouvelle convention écrit un nouveau traité, constitutionnel ou pas
Je doute que, suite à l'échec du processus lancé en 2001, où, pour la première fois de leur histoire, les Etats européens ont confié à un tiers l'écriture de la suite de leur avenir, les gouvernements relancent le même processus, surtout si la majorité d'entre eux sortent d'une ratification positive.
En outre, un tel scenario ne mènerait sans doute pas à grand chose. On peut espérer qu'il s'inspirerait des débats nationaux qui ont eu lieu pour aller vers une certaine simplification du texte. Sur le fond, néanmoins, on peut douter qu'il permette une progression dans le sens de la France, qui se trouvera face aux mêmes oppositions et divergences de vues, ou bien à l'absence de consensus sur certaines questions (définition des SIEG, frontières, etc...). Il serait un reflet globalement similaire du traité dont nous disposons, avec peut-être quelques avancées ici ou là, mais aussi des reculs possibles sur la conception française de l'Europe. Sans compter que la France partirait avec un point négatif dans la négociation. Bref, ce scenario me parait également improbable, car trop répétitif. Après un échec, on change de méthode.
Scenario 4 : Mise en œuvre de la constitution pour les 25, avec de petites exceptions pour les Etats ayant rejeté le texte, soumises à nouveau à referendum
Ce scenario a un précédent : le non irlandais à Nice, et celui du Danemark à Maastricht. Le procédé parait simple sur papier : on modifie les points qui paraissent les plus insupportables aux Etats ayant dit non, et on re-soumet le texte ainsi toiletté à ratification (je schématise).
Je vois mal ce scenario être choisi, parce que, à la différence des traités précédents, ce traité ne vient pas s'ajouter aux autres, mais est une véritable refonte. On n'y apporte pas la monnaie unique, ou l'espace Schengen, mais une modification des règles. Il est donc difficile de décider de clauses d'exceptions à cesdites règles.
En outre, en France au moins,
le rejet se fera sans doute en partie sur des aspects très fondamentaux
du texte, ne pouvant être réglés à coup de protocoles d’exception. Et puis, dans quel sens négocier ? Revenir sur les votes à la majorité qualifiée, sur le rôle du parlement, sur les SIEG, sur les règles de concurrence, et dans quel sens ? On ne fait pas ça en négociant des clauses spécifiques à la France.
Le résultat en serait une France mise sur le banc de touche, changeant de rôle, de celui de moteur à celui de lest critique, comme l'est le Royaume-Uni aujourd'hui. Un scenario peu probable, par sa nature.
Scenario 5. Mise en œuvre de la constitution pour les Etats signataires, sortie des autres
Ce scenario est tout à fait possible juridiquement : seuls les Etats ayant ratifié le traité le mettent en oeuvre. Les autres sortent de l'UE, et négocient avec elle une association. On peut néanmoins le juger impossible politiquement. La France refusera fermement de sortir de l'UE, elle usera de sa force pour relancer des négociations.
Scenario 6. Les Etats se réunissent en conférence ontergouvernementale et écrivent un nouveau traité.
C'est un des scenarii les plus probables. Echaudés par l'échec de la nouvelle méthode lancée à Laeken, nos gouvernements voudront malgré tout avancer, sans remettre en marche un processus aussi long?. Après tout, chacun sait ce qu'il veut ou pas mettre dans la corbeille de la mariée, ou ne surtout pas y voir figurer, et nous disposons d'un texte. On peut donc penser qu'une belle conférence intergouvernementale aura lieu, en 2007 ou 2008, pour lancer un nouveau traité. Il serait signé en 2008 ou 2009, mis en application après ratification. Le président d'alors devrait choisir le mode de ratification qu'il jugerait le plus approprié. Difficile choix, qui dépendra du président, et du contenu du texte.
Que pourrait-on attendre d'un tel texte ? Ce serait a priori la nouvelle majorité, issue des élections de 2007, qui le voterait. Pas en position de force. La France serait tenue comme en grande partie responsable de l'échec (mais pas seulement, sans doute). Elle pourrait de son coté arguer de l'inflexibilité de son peuple pour obtenir des clarifications. Et il n'est pas à exclure que certains sujets avancent dans l'intervalle (comme la définition des SIEG, la directive services, ou le processus d'adhésion de la Turquie, par exemple). Mais j'ai du mal à imaginer que l'Europe puisse, de ce processus, sortir quelque chose de plus abouti, de véritablement meilleur que le traité actuel. D'abord parce que ce seront les gouvernements qui discuteront, ils auront du mal à accorder au parlement, par exemple, plus que ce qu'il n'a déjà obtenu dans le TCE. Ensuite, il y a fort à parier qu'ils tentent surtout de définir quelques éléments minimaux.
D'un tel processus sortirait sans doute un Nice 2, une évolution dui fonctionnement institutionnel, un peu inspirée du TCE. Pas une constitution, sans doute, pas une mise en cohérence de tous les traités en un texte unique.
Ce scenario n’est pas sans risque. Les Etats vont profiter de cette nouvelle étape de négociation pour en revenir à leurs vieux dadas. D’autant plus que, de l’avis général, le pays gagnant lors de la dernière négociation était bien la France. Nous voilà donc avec une négociation difficile, où la France.
On peut imaginer ensuite que certains Etats, las de l'avancée lente de la construction européenne à 25, las de l'échec du TCE, lancent des initiatives autres, de coopération renforcée dans des groupes plus petits. Ce serait l'apparition du 'messy core' dont parlait le Charles Grant. Je crois beaucoup à cette éventualité. et elle ne me ravit pas, parce qu'elle se ferait, en cas d'échec du TCE, sur des bases malsaines, impropres, qui risqueraient de faire éclater l'union en groupes disparates.
Je m'arrête ici. Cette note est trop longue. J'examinerai dans une note prochaine des conséquences à plus long terme, qu'on entrevoit ici dans l'apparition de noyaux durs disparates. Cette note ne se veut en aucun cas définitive, mais au contraire imparfaite et à but de débat. J'attends vos sugegstions et corrections.
>Mais c'est dingue : personne ne dit que le oui est obligatoire.<
OUI Eviv :-))
http://www.liberation.fr/page.php?Article=296973
Rédigé par : Quoique | 22 mai 2005 à 01:02
"Mais pourquoi il y a eu un referendum pour décider et non pas simplement consultatif si le OUI est si obligatoire ????"
Je ne dis pas que le oui est obligatoire; je considère simplement qu'il y a une contradiction entre vouloir pursuivre la construction de l'Union européenne et voter non. L'Europe s'est toujours faite par étapes succesives; et on ne voit pas en vertu de quoi elle pourrait aujourd'hui se faire d'un coup!
En revanche je respecte tout à fait le non, de ceux qui veulent une autre europe, basée soit sur l'économie collectiviste, soit sur les nations. Mes ces 2 hypothèses ont , je le crois montré leurs limites par le passé...
Rédigé par : Fabien | 22 mai 2005 à 01:36
réponse à Fabien un peu plus haut.
C'est Clémence, j'entends bien-sûr tes arguments mais la critique que je vais te faire tu as du l'entendre déjà plein de fois: à quoi ça sert d'adopter un texte si c'est pour le réviser ?
Non franchement je ne crois pas beaucoup aux possibilités de révision, on en parle beaucoup parce qu'elles rassurent. Et c'est vrai que pas mal de gens ont l'impression d'être engagé sur une autoroute dans laquelle il n' y a pas de sortie, une sorte de "marche ou crève" si on veut... mais je crois que si on arrète pas pour autant de marcher ensemble on peut quand-même réduire la vitesse. Ou se poser sur une aire de repos pour repartir ensuite. (la reine de la métaphore !)
ET à propos, du devoir de mise en oeuvre d'une politique sociale, là tu as tout-à-fait raison dans le sens ou beaucoup reste à faire, mais il ne faut pas oublier que la plupart des décisions prises par le gouvernement relèvent de simples transpositions en droit national des directives européennes. Alors là comment on fait si on est pas souverain (indépendant des querelles entre partis) et informé pour pouvoir juger des institutions à blanc, de manière théorique, pour pouvoir les considérer elles rien qu'elles?
(j'espère que je suis compréhensible...)
Dernière chose, je pense qu'il faut pas préter attention à la récupération par les partis politiques, c'est de la politique politicienne. Et je trouve même assez sain toutes ces scissions, fractures au sein des partis (non pas que je sois une activiste anarcho qui veut tout faire péter), mais ça prouve qu'il y a un vrai débat contradictoire, et surtout ça prouve bien qu'il porte sur le texte et rien que le texte qui se place au dessus des intérets à court terme des partis.
Rédigé par : Clémence | 22 mai 2005 à 17:43
Soirée avec 2 chirurgiens, 1 prof d'allemand, 1 inspecteur des écoles, 1 responsable d'organisme de veille industrielle européenne, 1 responsable d'organisme d'échange d'étudiants européens, 1 patron de PME élu à l'assemblée d'une CCI.
Couleurs politiques : socialistes, centre gauche, UDF.
Non au référendum : 100%
Rédigé par : tarek | 22 mai 2005 à 19:29