Charles Wyplosz exprime aujourd'hui dans Le Monde un point de vue qui n'est pas sans entrer en écho avec la chronique d'Eric Le Boucher (maintenant en accès payant), parue la semaine dernière.
La thèse de Wyplosz : le non français ne sera pas très grave pour l'Europe, mais pour la France, oui. Elle bloquerait en effet la France dans cette exception de refus du changement, dans ce repli sur un imaginaire national mythique, en refus à l'adaptation nécessaire à un monde ouvert et en mouvement (je sais, ce sont mes mots, ma version de l'expression Wyploszienne, que je vous invite à lire en version originale).
Qui peut croire en effet que 52 à 58% des français souhaitent le modèle de société que proposent les partis soutenant le non aujourd'hui, trostkiste, socialiste d'avant 1983, communiste, nationaliste ou carrément fasciste ? Je ne le crois pas, et l'expression du non correspond bien à une attitude de personnes, inquiètes et peu convaincues des solutions qu'on leur propose. Le problème est bien qu'au lieu de sanctionner ceux qui ne savent pas proposer ce modèle, elles vont tuer ce qui nous permettrait de le mettre en oeuvre.
C'est que le camp du oui, pour sa grande majorité (en tout cas les grands leaders), propose une bien curieuse vision de l'Europe. L'Europe non comme tremplin, comme moteur, comme aide à l'adaptation soft au changement du monde, mais l'Europe comme "rempart" ou "défense" face à un ennemi imaginaire, mélange de toutes les peurs de notre société : mondialisation ultra-libérale, délocalisations, fracture sociale, corporatismes et tutti-quanti.
L'erreur de nos dirigeants politiques est bien d'être là depuis trop longtemps, et de joyeusement entretenir le flou sur les compétences de l'union, de les utiliser comme bouc-émissaire facile pour glorifier le mythe national, tout en considérantpar devers-soi comme nécessaire de construire l'Europe, et de faire appel à son aiguillon pour insuffler du changement en France. Hypocrisie fatale. Les Français, qui n'ont pas vu leur sanction d'il y a trois ans récompensée par un profond bouleversement politique, vont sans doute - paradoxe - sanctionner ce qui pourrait représenter leur salut.
Lire ce texte de Wyplosz, donc. Il est dans l'excès, dans l'énervement, légitime à mon sens. Et méditer sa phrase finale ("Le monde change, et nous n'avons pas d'autre choix que de changer aussi."). Tout en sachant que le changement que propose Wyplosz n'est en rien une "dérive ultra-libérale", ou une une-inféodation-aux-Etats-Unis-de-George-Bush. Le nécessaire changement, c'est l'adaptation, la mutation en profondeur, comme ont pu le faire des pays amis ou modèles, pour ouvrir les yeux sur nos mythes nationaux (égalité, cohésion sociale, laïcité, intégration, "modèle" social, éducation) et faire en sorte qu'ils dépassent véritablement le stade des symboles abstraits et entrent dans la réalité. Pour nous adapter, oui, l'Europe que propose le TCE est une chance. C'est en celà qu'elle nous aide. Et ceux qui croient que le changement n'est pas nécessaire, que le repli est possible, ou que nous pourrons imposer en Europe notre légendaire "modèle social" en panne rêvent dangereusement.
"Tout le monde savait que c'était impossible de sortir de la spirale ultra-libérale et anti-démocratique de la mondialisation, qu'il fallait s'adapter ou crever; Puis un jour sont venus des hommes qui ne le savaient pas. Et ils l'ont fait."
c'est de moi et Churchill :D
Rédigé par : parapluie | 22 avril 2005 à 16:59
"Tout le monde savait que c'était impossible de sortir de la spirale ultra-libérale de la mondialisation, qu'il fallait s'adapter ou crever; Puis un jour sont venus des hommes qui ne le savaient pas. Et ils l'ont fait."
c'est de moi et Churchill :D
Rédigé par : parapluie | 22 avril 2005 à 17:05
Le mot-clé dans votre (belle) phrase, c'est faire.
Dire non à la Constitution, ce n'est que défaire, sur la vague promesse d'un mieux, plus tard. Mais qui fera mieux, comment, dans quelles conditions, sur quelles bases? Comment peut-on espérer que la France puisse imposer ses visions à elle aux 24 autres membres de l'Union ?
Et d'ailleurs, dans la mesure où Chirac ne démissionnera pas, qui en France va se charger, concrètement, de faire mieux que le TCE?
Rédigé par : Marion | 22 avril 2005 à 17:08
Ce texte du Monde est intéressant et je vais le recadrer dans une perspective à la Desproges.
S'il est vrai que la France est un pays qui échoue presque partout, vie culturelle, emploi, santé, chercheurs en exils, culture en berne, alors si on est un européen convaincu, on vote NON pour revenir au traité de Nice qui, offrant moins d'influence à la France, permet à l'Europe de se protéger de la médiocrité française. De ce point de vue, c'est un NON éthique qui prend en compte le perfectionnement de l'Europe
Rédigé par : Fulcanelli | 22 avril 2005 à 17:09
"Qui peut croire en effet que 52 à 58% des français souhaitent le modèle de société que proposent les partis soutenant le non aujourd'hui, trostkiste, socialiste d'avant 1983, communiste, nationaliste ou carrément fasciste ?"
Personne ne le croira, Versac, c'est bien évident. Et celà me donne quand même le sentiment qu'il faudra bien qu'on trouve un plan B. Pas tout de suite, certes, dans 2-3 ans, on se remettra fatalement à l'ouvrage. Et dieu seul sait ce que seront les orientations politiques en Europe et en France à ce moment-là.
Ce que tu constates aujourd'hui, c'est le résultat des trente minables - 1974 - 2004 -. Je suis toujours amusé d'entendre des gens nous parler des trentes glorieuses comme si ils ne réalisaient pas que ce que nous venons de vivre (et je ne dis pas que c'est fini), ce sont les trente minables. Réfléchis bien, nous en sommes à la deuxième génération du chômage de masse. Le résultat est là.
Question qui n'a rien à voir: ceteris paribus a-t-il fait naufrage ?
Rédigé par : bernard1 | 22 avril 2005 à 17:15
Fulcanelli/Desproges a raison, hélas.
Notre difficulté de voir le monde qui bouge (et pas très loin de chez nous, voir mon post de ce jour sur la Catalogne) ou de voir le monde comme on voudrait qu'il soit (c'est à dire qu'il ressemble à la France).
Repli sur soi.
Rédigé par : Jean-Paul Droz | 22 avril 2005 à 17:18
"Question qui n'a rien à voir: ceteris paribus a-t-il fait naufrage ?"
Pas que je sache. Pourquoi cette question?
Rédigé par : Emmanuel | 22 avril 2005 à 17:37
Actuellement, la politique française se joue sur deux plan, protection de niches professionnelles et sacrifices d'une partie de la population, bref, un peu comme les paysans d'Ukraine qui au temps des Soviets, furent considérés comme encombrants... ah, tous ces Rmistes, on ne sait pas quoi en faire. Et si on les envoyait en Pologne ?
Rédigé par : Fulcanelli | 22 avril 2005 à 17:43
parce que l'adresse:
http://ceteris-paribus.blogspot.com/
envoie actuellement à blooger.com.
Rédigé par : bernard1 | 22 avril 2005 à 17:55
Versac, vous me faites plaisir avec vos notes, vraiment plaisir. Bravo !!!
Rédigé par : Praxis | 22 avril 2005 à 18:07
Versac, vous me faites plaisir avec vos notes, vraiment plaisir. La raison n'a pas encore totalement déserté nos frontières. Bravo !!!
Rédigé par : Praxis | 22 avril 2005 à 18:11
décidemment fulcanelli et les comparaisons ça fait beaucoup plus que deux...
Rédigé par : Starkadr | 22 avril 2005 à 18:14
Oui, yen a qu'ont pas raison.
J'avoue que mes associations d'idées sont assez surprenante mais je voudrais qu'on m'explique en quoi elles sont déplacées. Qu'elles soient incorrectes, j'en conviens mais elles ne sont pas insensées.
Rédigé par : Fulcanelli | 22 avril 2005 à 18:22
En quoi elles sont déplacées ? je vais te rafraîchir la mémoire.
Tu as dit que tu ne comprenais pas que des hommes intelligents soutiennent le TCE.
Puis tu as rajouté que "celà dit, des hommes intelligents ont soutenu Pétain."
Donc tu as sous-entendu que ceux qui soutenaient le TCE auraient très bien pu soutenir Pétain à une autre époque.
Après, je t'avoue que je n'ai pas retenu toutes les perles que tu as disséminé par ici. J'ai arrêté de te prendre au sérieux.
Rédigé par : Praxis | 22 avril 2005 à 18:36
En quoi elles sont déplacées ? je vais te rafraîchir la mémoire.
Tu as dit que tu ne comprenais pas que des hommes intelligents soutiennent le TCE.
Puis tu as rajouté que "celà dit, des hommes intelligents ont soutenu Pétain."
Donc tu as sous-entendu que ceux qui soutenaient le TCE auraient très bien pu soutenir Pétain à une autre époque.
Après, je t'avoue que je n'ai pas retenu toutes les perles que tu as disséminées par ici. J'ai arrêté de te prendre au sérieux.
Rédigé par : Praxis | 22 avril 2005 à 18:40
@ PArapluie : "Tout le monde savait que c'était impossible de sortir de la spirale ultra-libérale et anti-démocratique de la mondialisation, qu'il fallait s'adapter ou crever; Puis un jour sont venus des hommes qui ne le savaient pas. Et ils l'ont fait."
Ce qu'il y a de bien avec cette phrase, c'est qu'elle marche à tous les coups et pour tout le monde.
Par exemple : "Tout le monde savait que c'était impossible de faire de la barbapapa à la pistache, que les coquilles l'empêchait ; Puis un jour sont venus des hommes qui ne le savaient pas. Et ils l'ont fait"
Ou plus pessimiste : "Tout le monde savait qu'il ne fallait pas plomber le projet européen au moment pivot où il allait délaisser le tout économique pour devenir politique, que les adversaires de la construction ne guettait que ce faux pas pour faire capoter l'idée ; Puis un jour sont venus des hommes qui ne le savaient pas. Et ils l'ont fait"
C'est bien, la rhétorique, hein ?
Rédigé par : Eolas | 22 avril 2005 à 18:50
J't'ai cassé là !!!!
Rédigé par : Eolas de Nice (un lecteur amusé en fait) | 22 avril 2005 à 18:55
"""Tu as dit que tu ne comprenais pas que des hommes intelligents soutiennent le TCE."""
C'était une bêtise de ma part si je l'ai formulé ainsi
"""Puis tu as rajouté que "celà dit, des hommes intelligents ont soutenu Pétain."
Donc tu as sous-entendu que ceux qui soutenaient le TCE auraient très bien pu soutenir Pétain à une autre époque."""
Là je maintiens et ce n'est pas plus incorrect que les propos d'Emmanuelli. Mais le Député des Landes n'a pas à me dédouaner de cette audace qui en fait, est bien anodine... (?) Ce qu'il faut ajouter, c'est le contexte et la connaissance de ce contexte. Les pleins pouvoirs à Pétain on été donnés sous la contrainte, alors qu'avec le TCE, le libre jugement est de mise. Tout dépend comment on comprend la situation et là est la faiblesse de ma comparaison. Un Ouiste n'est pas censé connaître l'économie, le rôle de la technologie, de la BCE, sur l'emploi, les desseins de la ruse technique, et la possibilité d'une alternative monétaire d'autant plus que je suis le seul à la proposer
http://www.u-blog.net/FulcanelliEconomie/note/34
Rédigé par : Fulcanelli | 22 avril 2005 à 19:17
Ca fait vraiment du bien de lire un papier aussi pertinent que celui de C. Wyplosz. C'est vraiment les termes du débat et le pourquoi du futur rejet, me semble t'il. Il n'y a clairement pas que le nuage de Tchernobyl qui se soit arrêté à nos frontières...
J'aime beaucoup, parce que on "me" le reprochait beaucoup quand j'habitais dans l'anti-france : "Il va falloir enterrer la vieille idée que l'Europe sert avant tout à donner du poids à la France pour lui permettre de tutoyer les Etats-Unis."...
Rédigé par : Eviv Bulgroz | 22 avril 2005 à 19:37
La France a des atouts qu'elle n'utilise pas. Jouer la puissance n'est plus dans son dessein. Et puis pour l'instant, les States ont gagné sur tous les plans y compris la culture. Rendez-vous dans 20 ans, après le big choc pétrolier; là on va mesurer les capacités des cultures et des nations
Rédigé par : Fulcanelli | 22 avril 2005 à 19:53
Deux grands articles ouistes cette semaine, celui-ci et celui de François Dubet "Derrière le social, la nation".
Ils montrent par contraste pourquoi l'argumentation des représentants officiels du OUI échoue : c'est celle de défenseurs honteux qui accourent sur le terrain choisi par leurs adversaires, leur donnant par là-même raison (Bolkenstein, ultra-libéralisme anglo-saxon).
"La crise, c'est quand l'ancien monde ne veut pas mourir et que le nouveau hésite à naître" (citation rappelée par Pasal Perrineau dans le chat du Monde de ce jour.
Rédigé par : Germain | 22 avril 2005 à 21:31
La société française, comme d’ailleurs les autres nations européennes, vit une crise sur laquelle bien peu d’intellectuels se penchent. Sans doute parce que cette crise ne les touche pas et qu’elle frappe de plein fouet ceux qu’on appelle les précaires, autrement dit des gens pas très qualifiés, formés, issus de familles elles-mêmes en difficultés. Et tout est mis dans le compte de la fatalité qui arrange beaucoup de monde en adoucissant les consciences. Hélas, le tableau est plus nuancé car il y a aussi une marge plus intellectuelle, très bien formée, qui reste sur le carreau et là, nos élites pensantes détournent aussi leur regard. La crise est autant économique que morale et c’est parce qu’elle est morale qu’elle ne peut permettre de trouver des solutions économiques. Et ces solutions imposent d’analyser les structures de production, de rémunération et de consommation. Qui peut prétendre œuvrer dans cette direction ?
Un exemple pour commencer. J’ai visionné un reportage sur les problèmes de gestion de l’Institut Gustave Roussy de Villejuif, institution dévouée au traitement du cancer. L’organisme est au bord du dépôt de bilan alors, pour compenser, la direction n’a rien trouvé de mieux que de faire des économies sur l’intendance et donc les femmes de ménages doivent consacrer 8 minutes par chambre au lieu des 15 auparavant. Anodin me direz-vous ? Non, car là se situe le symbole de l’évolution du tissu économique et social. On peut penser qu’on aurait pu gérer le déficit budgétaire en réduisant la rémunération des cadres et médecins ou bien faire une impasse sur le tout technologique. Eh bien non. Et là se trouve l’explication de la crise. Le pari technologique, l’usage des instruments à haute valeur ajoutée, la croissance du niveau de vie des élites et des cadres au détriment de l’accès du nouveau prolétariat au confort.
L’évolution économique amorcée avec le système capitaliste de production de masse a permis, en dépit des crises monétaires et politiques, de permettre un accroissement du niveau matériel pour toutes les classes mais avec un décalage dans le temps. Dans le même temps, on a parlé d’ascension sociale. On a oublié l’essentiel, à savoir que cette évolution ne pourrait durer malgré les étonnantes prouesses lors de la période des Trente Glorieuses. Au vu de l’évolution très récente, il semblerait que la fracture technologique se mette en place et que progressivement, les écarts de niveau, auparavant compensés puis mal maîtrisés par les politiques étatiques, se creusent définitivement et que l’accès aux moyens d’existence moderne se limite parce que le système technologique devient plus onéreux pour diverses raisons. Le désir de luxe des élites associé au fétichisme envers les gadgets sophistiqués et le sur-équipement en technologies, avec en plus la gabegie des lubies technocratiques, engendre une élévation des seuils de solvabilité pour un accès privilégié des classes aisées et ce, au détriment du travailleurs de base, sous payé, et de l’accès au système de toute une classe de précaires. La politique actuelle s’oriente vers la mise à disposition du système d’une classe de travailleurs sous payés pour permettre la poursuite de l’équipement des classes supérieures. C’est un tournant pas rapport aux années 1960-1980. En vérité, un nouvel esclavagisme dont les bénéficiaires sont quand même assez nombreux, le tiers ou la moitié d’une population. Voilà ce qui se passe. A chacun d’accepter ou de réfléchir à une alternative qui ne peut passer et je ne cesse de le répéter, par une refonte du système monétaire. Ce qui implique qu’on ne signe pas le TCE !
Rédigé par : Fulcanelli | 22 avril 2005 à 23:14
"""qui ne peut passer et je ne cesse de le répéter, par une refonte du système monétaire. """
Sorry, il faut lire """qui ne peut se passer, et je ne cesse de le répéter, d'une refonte du système monétaire"""
Rédigé par : Fulcanelli | 22 avril 2005 à 23:22
@Germain - ""Ils montrent par contraste pourquoi l'argumentation des représentants officiels du OUI échoue : c'est celle de défenseurs honteux qui accourent sur le terrain choisi par leurs adversaires, leur donnant par là-même raison.""
Absolument, il serait beaucoup plus pertinent de se replacer dans le présent - de considérer la situation actuelle telle qu'elle est au lieu de d'essayer de calquer sur elle les schémas périmés du passé.
Cependant on butte ici sur un problème majeur, sur une absence assourdissante: Le PS, 3 ans tout juste après le 21 avril n'a toujours pas défini le moindre début projet; il n'arrive pas à redéfinir son rôle et à identifier ses moyens d'action dans cette nouvelle réalité. Il n'est donc pas étonnant qu'il refuse de s'y placer pour faire campagne - c'est un environnement dont il ignore toujours absolument tout.
(Au passage, l'état du PS aujourd'hui illustre merveilleusement le fait que l'idée d'une crise salvatrice est une pure escroquerie intellectuelle - on ne peut pas dire que le résultant soit franchement enthousiasmant.)
Rédigé par : SylyS | 22 avril 2005 à 23:56
Je ne voudrais pas trop défendre le PS, mais :
- leur dernier bilan est loin d'être calamiteux et ils n'ont pas pratiqué "la France du repli", non plus.
- Hollande est inaudible certes, mais il dit qu'il faut regarder chez les autres ce qui marche pour construire le projet. Ca m'avait fait plaisir. Vu les divisions du PS c'est déjà une audace :-(
- Que dire des dirigeants actuels, incapable ou presque d'une réforme cohérente, rejetant la faute sur Bruxelles et l'ultra-mondialisation....
Rédigé par : eviv Bulgroz | 23 avril 2005 à 09:49