L'un des arguments préférés des ouistes est de rappeler que, si le "non" l'emporte, c'est, selon la formule consacrée, le "désastreux traité de Nice" qui s'appliquerait, avec des conséquences fâcheuses pour le fonctionnement des institutions européennes. A cela, les noniens répliquent que le traité de Nice s'applique déjà et que le chaos promis n'est, à l'évidence, pas là. Et ils ajoutent que, de toute façon, la constitution européenne ne rentrera pas en vigueur avant de nombreuses années. Ainsi, Bernard Cassen, dans l'"interview" (je soupçonne la journaliste qui conduit l'entretien d'être une disciple de Raphaël Mezrahi) reprise sur "le CD du non", affirme que le traité constitutionnel ne s'appliquera pas avant 2009.
Qu'en est-il réellement? Reprenons la chronologie :
- 1er février 2003 : le traité de Nice entre en vigueur. La date correspond au premier jour du deuxième mois qui suit le dépôt du dernier instrument de ratification (celui de l'Irlande, qui avait approuvé le traité par référendum le octobre 2002 et déposé son instrument de ratification en décembre).
- juin 2004 : premières élections au parlement européen sous le
nouveau régime prévu par Nice (732 membres, nouvelle répartition des
sièges entre Etats)
- 1er novembre 2004 : les dispositions relatives à la pondération des voix au Conseil, point sur lequel le traité de Nice est le plus critiqué, et la limitation du nombre de commissaires à 25 s'appliquent (elles devaient initialement entrer en vigueur le 1er janvier 2005, mais le traité d'Athènes a avancé la date, pour coïncider avec la prise de fonction de la nouvelle Commission)
- 1er novembre 2006 : entrée en vigueur du traité constitutionnel européen, si "tous les instruments de ratification ont été déposés" - auprès du gouvernement de la République italienne- (article IV-447). Si tel n'est pas le cas, le traité s'applique le premier jour du second mois suivant le dernier dépôt.
- juin 2009 : élections des membres du Parlement européen. La composition du Parlement sera fixée par une décision du Conseil européen, prise "suffisamment longtemps avant les élections parlementaires européennes" (titre I, article 1 du protocole 34). Cette décision devra respecter les principes énoncés à l'article I-20 : maximum de 750 membres, pas moins de 6 et pas plus de 96 députés par Etat, représentation des citoyens "assurée de façon dégressivement proportionnelle".
- 1er novembre 2009 : aux termes de l'article 2 du titre II du protocole 34, entrée en vigueur du régime de la double
majorité prévue à l'article I-25 pour les votes au Conseil européen et
au Conseil (55% des Etats représentant 65% de la population dans la
très grande majorité des cas). A noter que la Pologne a obtenu que
s'applique, pendant 5 ans au moins, la "clause de Ioannina" qui prévoit une poursuite des
discussions pendant un mois si les 3/4 des Etats représentant 3/4 de la
population de la minorité de blocage (donc, grosso modo, 34% des Etats
représentant 26% de la population) s'oppose à l'adoption d'un texte.
Ah, les joies des déclarations annexées...
- 1er novembre 2014 (entrée en fonction de la seconde Commission suivant la ratification du traité) : aux termes de l'article I-26, réduction du nombre de commissaires à 2/3 de celui des Etats membres (soit 18 commissaires si la Roumanie et la Croatie sont entrées à cette date). Un système de rotation entre Etats s'applique alors. Mais le Conseil européen peut, à l'unanimité, décider de modifier le nombre de commissaires, donc, éventuellement, de garder la règle "un commissaire par Etat".
Pour résumer : le traité, s'il survit aux différents référendums, s'appliquera bien à partir du 1er novembre 2006. Mais la disposition la plus problématique du traité de Nice ("triple majorité" et pondération des voix par Etats favorisant outrageusement la Pologne et l'Espagne) survivra de toute façon jusqu'au 1er novembre 2009. Et l'avènement d'une Commission resserrée attendra au moins 2014, à supposer que les Etats membres ne décident pas de garder le (mauvais) système actuel.
C'est extraordinaire ce genre d'argument!
Oui vous comprenez le traité de Nice est désastreux, donc il faut voter pour le traité constitutionnel. Ah c'est un pavé de 800 pages que personne ne comprend et qui n'a rien à voir avec une constitution.
Oui mais il est mieux et l'autre est vraiment désastreux. Faites nous confiance... Signez en bas, on remplira ensuite.
Si le fond du problème est le traité de Nice, ne serait t'il pas plus simple de l'abroger? Cela laisserai le temps de rédiger un VRAI traité constitutionnel.
Rédigé par : Fred | 01 avril 2005 à 23:59
C'est le 1er *février* 2003 que le Traité de Nice est entré en vigueur :)
Rédigé par : M LeMaudit | 02 avril 2005 à 02:51
Le titre m'a fait huler de rire , arriver a placer cette contrepetterie , très fort.
Votez oui!
Rédigé par : Morrisson | 02 avril 2005 à 03:17
Cher Emmanuel, ce genre de plaisanteries de potache, dans le titre, n'est pas du niveau d'une publication du sérieux de publius. ;)
Rédigé par : versac | 02 avril 2005 à 10:29
Fred : vous avez compris que cette note se voulait uniquement informative, n'est-ce pas? Pour l'abrogation de Nice, ce n'est pas possible sans traité de remplacement. Par exemple, parmi des dizaines d'autres raisons, le traité d'Amsterdam est prévu pour une Europe à 15.
M. LeMaudit : oui, effectivement. Je me disais bien qu'il resterait forcément une erreur. Je corrige.
Versac : en fait, j'ai pas mal hésité avant de laisser le titre. Mais je me suis dit qu'on pouvait faire exception pour le premier avril. Et que DSK s'en était permis une bien pire devant les sénateurs en 1998.
Rédigé par : Emmanuel | 02 avril 2005 à 10:55
Une question : pourquoi ne pas amender et corriger l’ « épouvantable » le traité de Nice ??
Rédigé par : Rolling Pat | 02 avril 2005 à 10:59
Rolling Pat : amender et corriger, c'est justement ce que fait le traité constitutionnel. Mais il fait plus encore.
Rédigé par : versac | 02 avril 2005 à 11:34
C'est curieux, j'avais cru un instant que cette contrepétrie concernait le choix de la date du référendum en France.
Rédigé par : Gus | 02 avril 2005 à 11:51
C'est curieux : j'entends dire qu'il ne faut surtout pas rester au traité de Nice par les mêmes personnes et alliances qui nous le vendaient à l'époque avec le même argument du « moins pire »…
Rédigé par : Cobab | 02 avril 2005 à 13:30
Et que tu réentendras surement plus tard dire la même chose de ce traité constitutionnel puisqu'il est loin d'être parfait. (s'il est adopté)
Ps : Cet argument ouiste vient surtout du fait que les reproches qui sont faits au traité constitutionnel peuvent tout autant être appliqués au traité de Nice non ?
Rédigé par : Starkadr | 02 avril 2005 à 14:36
Starkadr : en fait, ce genre de discours est assez logique du point de vue des fédéralistes (qui veulent aller beaucoup loin mais savent que cela n'est pas possible, politiquement, aujourd'hui) et en phase avec l'approche graduelle, et indéniablement frustrante pour qui rêve d'un Grand soir européen, choisie depuis les débuts de la construction européenne.
Une grande question sous-jacente, ici, est de savoir ce que représente le traité constitutionnel : pour les fédéralistes, ce n'est qu'une étape forcément imparfaite ammenée à être dépassée, et qui le sera nécessairemment quand les "solidarités de fait" auront créé le besoin de "plus d'Europe"; pour les libéraux à la The Economist, c'est une occasion gâchée de fixer des limites claires au processus d'intégration; pour les nonistes de gauche, c'est un texte définitif, "gravé dans le marbre" selon l atrès contestable expression à la mode, qui empêche toute évolution future.
Rédigé par : Emmanuel | 02 avril 2005 à 15:00
Emmanuel: N'oublions pas la question des coopérations renforcées !
La volonté de fédérer l'ensemble des engagements existants qu'exprime le TCE a également une conséquence bien mal pesée : elle ferme la porte à toute construction plus ou moins européenne qui n'était pas prévue dans l'ensemble des textes précédents (mais restait possible, puisque nul texte n'avait la prétention de l'exhaustivité) dès lors que cette construction n'est pas explicitement prévue dans le TCE.
En un mot, voter OUI, c'est résumer toute Europe imaginable à l'actuelle Union Européenne et sa constitution-qui-en-deviendra-une-quand-le-texte-sera-ratifié
Rédigé par : Emmanuel | 03 avril 2005 à 07:52
Emmanuel: N'oublions pas la question des coopérations renforcées !
La volonté de fédérer l'ensemble des engagements existants qu'exprime le TCE a également une conséquence bien mal pesée : elle ferme la porte à toute construction plus ou moins européenne qui n'était pas prévue dans l'ensemble des textes précédents (mais restait possible, puisque nul texte n'avait la prétention de l'exhaustivité) dès lors que cette construction n'est pas explicitement prévue dans le TCE.
En un mot, voter OUI, c'est résumer toute Europe imaginable à l'actuelle Union Européenne et sa constitution-qui-en-deviendra-une-quand-le-texte-sera-ratifié
Rédigé par : Gus | 03 avril 2005 à 07:53
Gus : je pense justement que non, pour la bonne raison qu'aucun texte juridique n'est gravé dans le marbre. C'est bien là une des sources de désaccord.
Rédigé par : Emmanuel | 04 avril 2005 à 21:36
Emmanuel: sur ce point précis (truc en marbre), quel scénario de révision des règles explicites déjà écrites dans le traité pour une constitution européenne imagineriez-vous une fois celui-ci ratifié ?
Par exemple, à supposer que les gouvernements de l'Union souhaitent modifier les règles de nomination de la Commission, comment pourraient-ils s'y prendre ?
Rédigé par : Gus | 05 avril 2005 à 07:30
meme VGE semble d'accord, on en prend pour 50 ans, la double majorite incrit de fait ce texte dans le marbre.
Rédigé par : fredouil | 05 avril 2005 à 12:48
Ce ne sont pas les mêmes modalités de révision pour le traité de Nice ?
Rédigé par : Starkadr | 05 avril 2005 à 12:59
C'est une sorte de prophécie qui s'auto-accomplit.
Ceux qui voteront NON au TCE parce qu'ils pensent que ce traité ne sera pas révisable, refuseront de fait de réviser Nice, et montreront donc que Nice n'était pas révisable, et donc que le TCE ne l'aurait pas été non plus.
Ceux qui voteront OUI au TCE, révisant du coup Nice, montreront donc que Nice était révisable, et que le TCE le sera aussi.
Rédigé par : Bladsurb | 05 avril 2005 à 14:04
Bladsurb: il serait effectivement plus aisé de négocier entre nations, candidates ou non et appartenant ou non à l'actuelle U.E., des traités visant à promouvoir l'harmonisation des normes sociales par le haut avant la qualification comme "constitutionnel" du Traité pour une Constitution Européenne qu'après.
Après tout, comme chacun sait, la principale carotte de l'Union Européenne (qui n'est pas l'Europe, mais simplement, l'actuelle institution qui ne parvient guère à se faire admettre comme représentant l'europe par ses citoyens) est la PAC (Premier argument public de Jacques Chirac, qui a vite changé de discours). Néanmoins, les subventions PAC étant très inégalement réparties entre agriculteurs (un des thèmes de campagne de la campagne au Royaume-Uni), un grand nombre d'agriculteurs ne semblent pas réellement apprécier les conditions d'application de la PAC.
Et, encore une fois rappellons-le : les français n'ont pas grand chose à perdre à la "concurrence libre et non faussée" : leur revenu moyen était en 2000 le 13ème sur 15 de l'Union Européenne des 15 (article de Jean-Paul Fitoussi du Monde du 17 septembre 2003). Par contre, la richesse nationale par tête la situe dans la bonne moyenne (http://www.europeplusnet.info/article116.html). Le poids de l'impôt sur le revenu y est structurellement particulièrement faible : ( http://www.senat.fr/rap/r98-483/r98-48350.html ) contrairement aux idées reçues.
Mais tout ce que sous-entend tout ceci est-il réellement ce que les citoyens français souhaitent ? Je ne doute pas un seul instant que nombre de partisans du oui s'imagineraient volontiers "cols blancs" dans cette France moderne qui gagne, mais, à l'évidence, il n'y aura pas assez de place pour tous les candidats.
Rédigé par : Gus | 06 avril 2005 à 07:34
Bladsurb : excellente analyse.
Il faut répéter deux choses :
1. Le traité constitutionnel n'est pas plus gravé dans le marbre que le traité de Nice, il l'est même un poil moins (via les clauses passerelles).
2. On pourrait raisonnablement penser que, plus l'Union s'élargit, plus les traités sont difficiles à réviser. L'histoire récente montre, de façon surprenante, le contraire : le rythme des révisions s'est accéléré avec l'Union à 12 (Acte Unique, Maastricht), puis à 15 (Amsterdam, Nice).
La grande question reste : pourquoi? Une explication simple serait qu'il est paradoxalement plus facile de trouver un compromis quand le nombre de participants à une négociation augmente. Par exemple parce que chaque participant se rend mieux compte, au vu de la diversité des exigences, de la nécessité de faire des compromis. Mouais. Je n'en suis pas convaincu moi même.
A mon avis, l'explication la plus convaincante est que le grand nombre de participants force à multiplier des concessions particulières, ce qui fragilise la cohérence de l'ensemble. Ou à repousser la prise de décision sur des questions conflictuelles. Ce qui oblige, plus tard, à refaire un traité pour essayer de remédier aux défauts existants.
C'est très clair pour la période récente : Maastricht rend nécessaire Amsterdam (pour corriger les défauts des 2e et 3e piliers; d'ailleurs l'article N de Maastricht prévoyait une conférence intergouvernementale en 1996) qui rend nécessaire Nice (parce que la question de l'élargissement n'était pas réglée) qui rend nécessaire le traité constitutionnel (parce que le compromis de Nice était boîteux).
Je ne vois pas pourquoi le cycle ne continuerait pas si le traité constitutionnel était ratifié. Pour la bonne raison que ce texte est, forcément, lui aussi, imparfait.
Rédigé par : Emmanuel | 06 avril 2005 à 23:50
http://www.euroesprit.org
Rédigé par : Per | 09 avril 2005 à 16:03