Dans son billet l'absente, Kryzstoff s'inquiète des conséquences de l'entrée en vigueur du TCE sur la laïcité française, particulièrement sur l'apparente incompatibilité de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 portant séparation de l'Eglise et de l'Etat avec l'article I-53 du TCE, qui prévoit le dialogue UE-organisations religieuses et l'article II-70 qui reprend, partiellement selon Kryzstoff, l'article 9 de la Conventione européenne des droits de l'homme, sans reprendre le §2 qui explicite les limites à ce droit.
Cet argument serait selon lui rapidement évacué par les ouistes. Je vais donc réparer cet impardonnable oubli au débat.
La réponse à apporter est à mon sens en deux points : d'abord, qu'est ce que la laïcité pour la France ? Puis, cette définition posée, le texte européen la remet-il en cause ?
Kryzstoff cite en exorde l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte." C'est une phrase souvent citée par les tenants d'une laïcité dure, qui serait un athéisme d'Etat.
Mais c'est oublier un peu vite l'article 1er, qui, comme son nom l'indique, se situe juste avant.
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.
Le principe est donc que la liberté de conscience doit être garantie par l'Etat, qui au besoin doit intervenir positivement pour assurer le respect de cette liberté. Les seules restrictions sont dans l'intérêt de l'ordre public. Et c'est à cette aune qu'il faut lire l'article 2, qui est un peu plus complet que la seule phrase citée par Kryzstoff :
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites aux dits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3.
Et oui. Cette formule introduit surtout la suppression du budget de l'Etat les dépenses qui à l'époque consistaient à prendre en charge la rémunération des prêtres, évêques et diacres, conformément au concordat alors en vigueur.
Le fait que la République ne reconnaît aucun culte ne signifie pas qu'elle nie toute valeur aux cultes : l'article 1er dit exactement le contraire. Il signifie que la République s'interdit d'établir tout régime à deux vitesses de cultes "reconnus" et subventionnés et d'autres non reconnus et laissés pour compte.
Kryzstoff cite ensuite l'article I-52§3. Là encore, il semble oublier qu'un §3 est généralement précédé d'un §1 et d'un §2. Que disent ils, ces paragraphes ?
1. L'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres.
2. L'Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles.
En somme, le §1 dit expressément que l'UE s'impose de respecter la loi du 9 décembre 1905 et n'imposera jamais à la France une mesure qui irait à l'encontre de cette loi. Une telle mesure serait de plus immanquablement annulée par la Cour de justice de l'Union Européenne saisie par la France conformément à l'article III-365 du TCE.
Et l'article II-70, alors ?
Il reprend effectivement l'article 9§1 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
Kryzstoff s'étonne et s'inquiète du droit de manifester publiquement ses convictions, et de l'absence du §2, qui pose les limitations légales à ce droit, ainsi rédigé :
La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans la société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
Tout d'abord, ne pas garantir la manifestation publique de sa croyance est une sérieuse entorse à la liberté de religion. Ainsi, en Arabie Saoudite, il est autorisé de pratiquer quelque culte que l'on souhaite, mais pas de manifester son appartenance à un autre culte que l'Islam sur la voie publique. Est là le modèle que suggère notre cher Nonien ?
Cette manifestation publique couvre les processions, le port de la kippa, du thingan ou du hidjab, ou de s'exclamer "joyeux noël !" le 25 décembre en entrant dans sa boulangerie.
Ensuite, le fait que le TCE ne reprenne pas le §2 de la Convention ne signifie pas que ce paragraphe est abrogé dans ladite convention.
Au contraire, l'article I-9, §2, précise que l'UE adhère à cette convention en tant que personne morale internationale, et donc qu'elle s'engage à respecter cet article 9 dans son entier, §2 inclus.
L'absence du §2 dans le titre II s'explique simplement par le fait que l'exercice des limitations à la liberté de conscience prévues par ce paragraphe est du domaine exclusif des États membres, et que l'Union n'aura pas à mettre son nez dedans (un éventuel contentieux relèverait de la Cour européenne des droits de l'homme).
La cause n'est pas tout à fait entendue. Se livrant à une hyperbate, Kryzstoff soulève in fine un dernier problème : celui de l'allusion au droit des minorités, qui selon lui serait une porte ouverte à la communautarisation de la France laïque, une et indivisible.
Il s'agit là encore d'un faux problème. Le mot minorité ne désigne pas les communautés intérieures à un pays. Il vise le problème des minorités nationales, dans les pays où de telles minorités existent, c'est à dire des pays qui subdivisent leur nationalité intérieure et diverses catégories. Cela apparaît clairement à la lecture des travaux préparatoires, où l'expression "minorités nationales" est souvent employée. Le terme de minorités tout court a été préféré pour éviter que des États soient tentés de nier le caractère national de certaines minorités pour écarter l'application de l'article II-81. Pensons aux Allemands d'origine danoise, aux minorités russophones des pays baltes, aux croates de Slovénie, aux Basques espagnols. Je n'ose murmurer : aux Kurdes de Turquie, mais leur cas pourrait se poser un jour.
La France, Une et Indivisible, n'est pas concernée par ce problème, sauf dans la tête de certains Corses ou Bretons, qui auront bien du mal à trouver des ségrégations à leur encontre dans la loi française.
Une minorité ne saurait s'appliquer à une religion, car la liberté de religion, définie par le texte même du TCE (article II-70), recouvre le droit de changer de religion, tandis que le terme de minorité suppose que le citoyen de l'UE concerné est prisonnier de cette minorité de sa naissance à son décès, ce qui impose une protection particulière. Les communautés religieuses, régionales, philosophiques ou de moeurs relèvent du respect de la diversité de l'article II-82. Le fait qu'elles soient expressément citées à l'article II-82 achève de démontrer que l'article II-70 ne les concerne pas.
Enfin, et j'en ai fini, le mot laïcité est absent du TCE, c'est un fait.
Mais cette absence n'a de quoi choquer que les laïquards franchouillards, névrosés sur cette question. Le but du TCE n'est pas d'aligner les 25, bientôt 27 pays de l'UE sur la France. Plusieurs pays, pour ne pas dire tous, n'ont rien à faire de la laïcité à la Française, dont la vocation universelle indiffère totalement, quand elle ne provoque pas des sarcasmes sur l'ego hexagonal.
L'Irlande, la Grèce, la Pologne, sans être des États confessionnaux, veulent se référer explicitement au christianisme, catholique ou orthodoxe. L'Angleterre a un chef de l'Etat qui est chef de l'Église anglicane. Les témoins y doivent jurer sur la Bible ou tout texte sacré de leur choix, ou sur leur honneur s'ils sont agnostiques. Doit on interdire cela au nom de l'Europe ?
L'Espagne est un pays laïque, et pourtant les tribunaux sont ornés de crucifix, et cela ne provoque pas de crises d'urticaires chez les athées ou les autres confessions.
Il n'y a que les athées français, et Vlad Tepes, pour ainsi entrer en frénésie à la vue d'un crucifix.
Je m'affirme laïque, bien que croyant et suis farouchement attaché à la laïcité. Mais le fait que le TCE ne va pas imposer à des pays où le fait religieux reste important la laïcité française, née dans l'anticléricalisme un rien haineux du début du siècle me réjouit.
L'UE ne pourra imposer à la France d'abandonner sa laïcité et devra au contraire la respecter. Laissons nos voisins vivre comme ils le souhaitent, ils le réussissent depuis longtemps sans nous.
Par contre, je reconnais que dire que le TCE fait avancer la laïcité est une stupidité. Il ne fait que la renforcer au cas où elle en aurait besoin ce qui n'est plus le cas depuis que le Conseil constitutionnel en a fait un principe fondamental reconnu par les lois de la République à valeur constitutionnel.
Bonjour,
"Le mot minorité ne désigne pas les communautés intérieures à un pays."
D'autre part, il s'agit de garantir le droit "des personnes" apparteant aux minorités, pas les droits de la minorité en tant que telle. Cela ne légitime pas le communautarisme.
La démonstration est assez convaincante (j'avais la même conclusion), à part sur un point: l'article II-52 ne permet effectivement pas à l'UE de contester le statut (l'absence de) des églises dans la loi française, mais elle permet de leur définir un statut européen (elle le sous entend même dans une certaine mesure).
Quel serait son contour? Pas la moindre idée mais, en éxagérant, on peut parfaitement envisager de consulter un quelconque panzer-prêtre-de-jupiter sur les décisions européennes (pour peu qu'un genre de BUTTIGLIONE débarque un jour).
Sans doute aurait il été préférable de ne rien mentionner.
Maintenant, à coté de la promotion du "marché intérieur ou la concurrence est libre et non faussée" au rang d'objectif de l'Union, et son élévation (j'ai failli ajouter "divine") au-dessus du social, ca parait pâlichon comme problème.
Rédigé par : moi | 20 avril 2005 à 14:00
L'absence du paragraphe 2 de l'article 9 de la convention europeenne des droits de l'homme ne me semble pas devoir etre expliquee comme le suggere eolas par "le fait que l'exercice des limitations à la liberté de conscience prévues par ce paragraphe est du domaine exclusif des États membres" mais par un choix redactionnel des auteurs de la charte : les restrictions sont systematiquement eloignees des articles definissant les droits et regroupees dans le titre VII (articles 111 a 114 et plus specialement 112-1).
Rédigé par : Jacques L. | 20 avril 2005 à 22:27
Un site qui clarifie les enjeux :
http://voteroui.freezee.org
Rédigé par : candide | 21 avril 2005 à 15:13
Concernant la laïcité dont notre pays se rebat les oreilles, il convient d'apporter quelques précisions :
1°) Les lieux de culte construits avant la loi de 1905 (cela demande vérification malgré tout) appartiennent aux communes. C'est ainsi que la réfection du campanile de ma commune, lieu de culte actif est financé par celle-ci.
2°) Les cultes sont bel et bien subventionnés via les associations culturelles. Voir pour un exemple le lien suivant :
http://www.ville-rennes.fr/index.php?rub=599&f=938
3°) La République Une et indivisible doit bien pourtant s'effacer sur l'exception que représentent les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
Tout l'enjeu se situe entre ce qui relève d'une activité culturelle et ce qui est une activité cultuelle. Dans le cas de religions comme le bouddhisme ou encore l'Islam, la frontière est bien difficile à tracer à mon sens.
Je me demande enfin quand on se met à réfléchir sur l'incidence que le TCE pourrait avoir sur la question si on a au préalable une pleine conscience de ce que l'on entend par laïcité ? Lorsque je discute le bout de gras avec monsieur tout le monde, je me rends compte que les choses sont loin d'être claires dans nos esprits. Si on craint une reconfessionalisation de l'Etat, c'est peu probable pour ne pas dire impensable en l'état.
Rédigé par : Samuel | 21 avril 2005 à 18:27
Je ne vois pas où est le problème que de financer des des lieux cultes. C'est un droit! La France doit pensser à tout les citoyens! Pourquoi y aurais-t-il des églises et aucunes mosquées? Vous allez me répondre que les musulmants ont plusieurs types de mosquées et plusieurs "chefs" mais cela pourrais peut-être faire avancer la question enfin au moins en France!
Je voulais aussi prouver à tous ceux qui pensses et qui jugent sans savoir que les collégiens n'ont pas d'avis sur la question ou ne font que critiquer sans savoir, ce n'est pas toujours vrai! Je suis en 4ème et dans un collège en ZEP très mal réputé. Pour certain ce ne sont que des paroles n l'air et je ne suis qu'une "enfant" mais je suis citoyenne Francaise et j'estime que les politiciens francais ne nous prennes pas tous au sérieux. Enormément de documents concernant la laïcité jugent la laïcité très mal comprise par les collégiens mais personne ne fait rien pour que cela s'arrange!
Rédigé par : Alexandra | 10 mai 2005 à 19:35