Des partisans du non, et des lecteurs en proie au doute me citent souvent la tribune que Bernard Cassen (du Diplo, fondateur d'ATTAC), a publiée dans Le Monde Diplomatique en février dernier. Beaucoup la trouvent convaincante, et ont demandé une analyse critique. Voici donc ma lecture, point à point, de ce texte. Mon billet est un peu long, mais le texte original de Cassen l'était également et regorge d'affirmations et citations à commenter.
Bernard Cassen commence par l'habituelle série statistique sur la présence de termes comme "concurrence", "marché", "capitaux", trop présents à son goût dans le texte, et qui n'auraient rien à faire dans un tel texte. Je répète que cette démonstrattion est absurde, évidemment, et que ce texte n'est en effet pas une constitution classique, puisqu'elle doit organiser de manière précise et fine les conditions dans lesquelles, sur un nombre de sujets bien définis, les Etats délèguent à l'Union Européenne certains de leurs domaines d'intervention. C'est le sens de la partie III, qui organise de manière fine quelles sont les politiques de l'Union, et sous quels principes les Etats acceptent de les déléguer. Le fait que ces termes soient cités indique que les compétences de l'union sont aujourd'hui principalement économiques. On peut le regretter, souhaiter aller plus loin, mais c'est un fait qu'on ne peut pas changer à travers un texte.
Ensuite, l'auteur revient sur le processus de ratification en Europe. L'incertitude vient des consultations référendaires, qui sont évidemment plus porteuses de risque que les voies parlementaires. Au passage, Bernard Cassen se trompe en affirmant que la Pologne a déjà ratifié le traité, et passe sur le cas de la Lituanie, premier pays à avoir ratifié le texte, bien avant la Hongrie.
Il se gausse ensuite de la campagne espagnole, où des "Footballeurs multimillionnaires" ont été appelés en renfort, comme si c'était le principal reproche que l'on aurait pu faire à ladite campagne, qui, il est vrai, n'a pas atteint totalement son objectif de vulgarisation du texte. Et, en arrivant sur le cas français, il se permet un sursaut d'orgueil national, puisque la France serait, avec la Belgique, "depuis longtemps, le seul des pays membres de l’Union où a lieu un débat public sur la « Constitution », et plus généralement sur la construction européenne ; où les textes sont analysés et mis en perspective par un nombre significatif de partis et de mouvements". On sent là un certain mépris, ou une méconnaissance de ce qu'est le débat sur l'Europe et la constitution dans les pays européens. Passons, ce n'est pas l'essentiel, mais ça plante un décor : nous sommes les seuls, donc, à vraiment discuter du sujet, et c'est bien le cas français qui inquiète le plus le reste de l'Europe.
Il reproche ensuite à deux documents (les livrets résumés du texte, en langue lisible, disponibles ici et ici en PDF, qui ne sont bien évidemment pas les seuls moyens de s'informer sur le texte, et qui ne sont qu'un complément au texte officiel, disponible au 0810 2005 25), de donner une vue partielle, excluant la majorité des articles, ceux du titre III, celui sur les politiques de l'Union. C'est faux pour le document français, et vrai pour le document émanant de l'Union, qui donne plus un aperçu des évolutions constitutionnelles. Mais Bernard cassen juge ici qu'il s'agit d'une "entreprise de désinformation", ce qui est faux, puisque le texte complet de la constitution est aisément consultable, et que d'autres documents sont accessibles partout. Il juge aussi qu'on escamote, ainsi, "le coeur du traité, sa troisième partie". Je considère pour ma part que les deux premières parties sont effectviement le coeur du traité, et que la troisième partie découle des deux premières. Elle n'est que le détail des domaines d'application des politiques de l'union. Cassen braque le projecteur sur la partie qui l'intéresse, en criant au complot, soit. Celà ne nous met pas dans de saines dispositions pour discuter sereinement.
Bernard Cassen dénonce ensuite la continuité de ce complot, qui viserait à faire croire que les politiques libérales impulsées par l'union, qui , bien entendu, "encouragent les délocalisations" (tiens, ça faisait longtemps qu'elles n'avaient pas servi au débat), et, grosso modo, sont responsables de la chienlit sociale, s'arêterait aux frontières de la France, comme jadis le nuage de Tchernobyl. Evidemment, je n'ai entendu aucun partisan du oui dire ce genre de choses, ni même le penser, mais plutôt un discours clair sur le fait que la ligne suivie depuis 50 ans ne changeait pas avec le nouveau texte. Procès en dissimulation un peu vain à mon goût.
S'ensuivent un certain nombre de citations, toutes sans excepton tronquées, d'articles qui doivent montrer au peuple éclairé le monstre qu'est ce texte. Bernard Cassen pourrait quand même éviter de tomber directement dans la citation grossièrement tronquée, juste après avoir crié au complot sur les mêmes raisons.
Première citation, l'article III-131, résumé ainsi par Cassen : "Pendant la guerre, les affaires continuent". Ici, notre éditorialiste cite un article qui stipule que les Etats "se consultent en vue de prendre en commun les dispositions nécessaires" pour maintenir le fonctionnement du marché, si des troubles surviennent. Cassen ne cite pas cette consultation, et ne retient que l'objectif. Il va de soi que cette consultation vise bien entendu à adapter les objectifs de fonctionnement économique aux contraintes qu'apporte un état de guerre ou de grande menace.
Petite critique, ensuite, de la Charte des droits fondamentaux, qui constituerait une "régression par rapport au droit du national de nombreux pays". Faut-il expliquer à M. Cassen que cette Charte constitue en effet le dénominateur commun, la garantie possible, à tous les Etats, et, surtout, qu'elle ne va pas forcer les Etats à revoir à la baisse leurs droits nationaux, comme il semble nous le faire croire ?
Je passe sur une citation d'un mystérieux article II-122-2, que je n'ai pas trouvé, vu que la partie II s'arrête à l'article 113, et que l'article 122 (sans le -2) ne cite pas ce qu'il dit.
Enfin, vient le débat central : les services publics. Il nie l'intérêt que représente l'inscription de la nécessité pour l'UE de définir une loi-cadre sur le sujet des services économiques d'intérêt général (article III-122). Or, en l'espèce, celà me semble très intéressant, vu que celà créera des recours possibles sur la base de cet article, et obligera donc l'Union à légiférer sur le sujet. Suivent divers procès d'intentions. La commission aurait rebaptisé les "services publics" "services d'intérêt économique régionaux", parce qu'elle est "acharnée à neutraliser la charge symbolique du mot public". Evidemment, c'est ridicule. La terme de service public étant très français, minoritaire, et son mode de gestion une spécificité nationale, on ne pouvait étendre cette notion aux autres pays.
Il reconnait néanmoins l'existence d'un garde-fou sur les SIEG, pour tout de suite le casser en deux, selon quatre arguments :
1. Les SIEG sont une exception à la norme, qui est la concurrence. Evidemment, c'est effectivement le cas. Et alors ? Il s'agit bien ici de définir où commence l'intérêt général et où finit le particulier. La concurrence norme le particulier, et latitude est donnée aux Etats d'agir sur le général. C'est aux Etats de se justifier sur ce point.
2. Cassen établit que, de manière définitive, les Etats n'ont plus le droit de donner des aides publiques qui fausseraient la concurrence. Je pense qu'il fait là une lecture à rebours du texte. Et il ne cite évidemment aucune des avancées et des garanties de cet article.
3. Je passe sur l'argument qui se fonde sur une citation tronquée de Nelly Kroes, dont on sait qu'elle ne représente en aucun cas une majorité politique, qui disait vouloir stimuler l'économie européenne".
4. Cassen arrive à se désoler du fait qu'une éventuelle directive (on dirait Loi, plutôt, dans le nouveau vocabulaire), serait décidée en codécision entre le parlement et le conseil européen, et à la majorité qualifiée. Voilà une belle négation de la démocratie, un refus de l'expression de la majorité européenne par ses représentants... Ce que Cassen ne dit pas, mais exprime ici, c'est le souhait que chaque pays conserve un veto sur les questions qu'il juge importantes. Pour un pro-européen soit-disant déclaré, qui souhaite que convergent les politiques de l'Union, un gouvernement économique européen, j'avoue qu'il me déconcerte, vu qu'il ne souhaite pas de prise de décision majoritaire et éclairée par les représentants des peuples...
S'ensuit une conclusion, sur le thème du "et l'on pourrait en citer des dizaines d'autres", de l'éclairage objectif enfin réalisé, face à ce complot scandaleux des partisans du oui, et sur le fait que le non ne sera pas, bien sur, l'origine de cataclysmes. Dénonciation du fait que le traité de Nice n'a pas créé de catastrophe majeure (ce n'est pas ce que disent les partisans du oui, qui soulignent juste que Nice pose juste de gros freins dans l'avancée de l'intégration européenne, et n'est pas satisfaisant dans le fonctionnement de l'Union à 25).
Enfin, révélation ultime, Bernard Cassen nous livre ce que sera l'après non : les Etats adopteront uniquement la partie I, celle qui redessine le fontionnement institutionnel de l'Union, et abandonneront les parties II et III, celles qui embêtent le fondateur d'ATTAC. Quel visionnaire ! Evidemment, on peut souhaiter voir ses désirs devenir réalité (et encore, comment ferait la partie I pour s'articuler avec les traités antérieurs ?). Mais la réalité est évidemment autre. Et, si le non français s'accompagne par exemple d'un non anglais, qui porte, lui, plus sur le titre I, je ne vois pas ce qui permet à Bernard Cassen de dire ce que sera le résultat de la nouvelle négociation hypothétique. En tout cas, rien n'est moins sûr que cette issuée souhaitée.
Bilan : je ne comprends pas ce que ce texte a de convaincant. Il est clairement orienté, partial, très partiel sur ses citations, et crie au complot. Ce n'est pas sur ce genre de bases qu'on peut espérer éclairer le citoyen, pour que "libéré de tout chantage et de toute tentative de manipulation", il puisse "faire son opinion avant de déposer son bulletin dans l’urne", ainsi que conclut l'auteur.
A defaut d’etre un texte convaincant, c’est un texte tres simple a comprendre et qui fait son effet.
Je suis particulierement impressionne par l’argument de la repetition des mots « liberal » ou « concurrence » qui, a n’en pas douter, eclaire sur le caractere profondement liberal de ce texte. Si tu realises la meme exprience avec les differents articles du diplo, tu pourras t’apercevoir que ces mots sont aussi repetes un tres grand nombre de fois dans chaque page et dans chaque edition. Ce qui a n’en pas douter revele le caractere ultra-liberal de ce journal.
Mais a mon sens l’argument le plus efficace est celui du complot. C’est un argument universel (du complot de la bourgeoisie sur le proletariat a celui de la CIA dans X-files) qui a la particularite d’etre compris par tout le monde et en particulier par tout ceux dont le monde les depasse. Le complot te permet d’expliquer tous les evenements du monde que tu ne comprends pas. Il donne rapidement du sens la ou il faudrait un peu se creuser la tete pour comprendre. C’est imparable, indiscutable.
Generalement, la theorie du grand complot n’a que de faibles repercussions sur les membres d’une societe forte et qui croit en son avenir. Nous ne nous questionons pas sur le bonheur. Pas besoin d’explications mystiques quand la vie te rend heureux. Par contre le malheur nous fait reflechir.
Dans une societe completement traumatise par ses 10% de chomeurs et son million de Rmistes, il est difficle d’en appeler au rationnalisme alors que les politiques semblent eux aussi depasses par la situation.
En bref, quand on en arrive a discuter du nombre de fois ou un mot est repete dans un texte pour en comprendre son sens, il me semble que l’on a atteint le dernier stade dans l’incomprehension.
L’avenir appartient aux revolutionnaires et aux fascistes.
Rédigé par : Scope | 21 mars 2005 à 14:10
Le mystérieux "II-122-2" est en fait le "II-112-2".
Page 86 de :
http://ue.eu.int/igcpdf/fr/04/cg00/cg00087-re01.fr04.pdf
(le lien tout en haut à droite "Le texte" ne fonctionne plus ; encore une preuve du complot pour nous empêcher de lire ce traité :-p)
Rédigé par : Bladsurb | 21 mars 2005 à 14:10
Bladsurb : merci (je dois avouer n'avoir pas eu le courage de chercher jusqu'au bout).
Cassen se trompe sur l'interprétation de l'article 112-2n, qui stipule que, effectviement, quand les droits fondamentaux font l'objet d'un traitement par l'UE (c'est à dire, pas tous, puisque l'UE ne se substitue pas aux Etats sur tous les plans), eh bien, ces droits s'exercent en effet dans les limites que fixe la Constitution. Encore une fois, la citation est tronquée, et Cassen généralise en oubliant de citer l'intégralité de l'alinéa.
Le lien vers le texte est corrigé. Notre manipulation a été découverte ! ;)
Rédigé par : versac | 21 mars 2005 à 14:34
Ne garder que la partie I n'enlèverait pas les problèmes de la partie III, qui sont résumés par les formules "un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée" et "une économie sociale de marché hautement compétitive", énoncées dès les objectifs de l'union, article I-3.
Pour beaucoup, la première formule est lue comme une interdiction faites aux instances politiques de s'immiscer dans la sphère économique (alors que la lutte de la Commission contre Microsoft montre que "concurrence libre et non faussée" s'interprète au contraire comme une garantie d'intervention des instances politiques pour lutter contre les entreprises, si elles tendent à devenir monopolistiques, le marché devenant alors faussé et non concurrentiel), et la seconde formule, "économie sociale de marché", est lue comme un oxymoron, où le mot "social" serait un alibi décoratif.
Rédigé par : Bladsurb | 21 mars 2005 à 14:47
Ces problèmes de "lecture" sont dus au fait que la société française évolue, mais on ne sait pas vers où. L'ancien modèle social, fondé sur des services publics monopoles d'état, est peu à peu remplacé par autre chose, dont nous percevons mal le fonctionnement. D'où peur, angoisse, rejet.
Il serait bon de savoir comment fonctionnent les services publics dans un cadre "social libéral". Certains de nos voisins fonctionnent très bien de cette manière, et si on veut une "Europe sociale", cela signifie aussi que nous devons comprendre comment ils sont organisés, et comment on peut faire converger les modèles, pour harmoniser.
Au lieu de cela, nous avons droit à des discours sur la "nécessaire réforme" (on entend "démantelement") et "restrucuturations" (on entend "suppression de postes"), sans que soit clairement expliqué l'état final, et les avantages que nous, en tant que consommateur, mais aussi en tant que citoyen, serions susceptibles de tirer de ce changement de modèle de société, que nous subissons donc, plus de force que de gré.
En plus, ces changements sont dits être faits à cause de l'Europe. Comme ce sont les même ministres qui, à Bruxelles, prennent des décisions lors des conseils, puis rentrés à Paris, expliquent que l'Europe les oblige à libéraliser ceci ou cela, il n'y a pas d'étonnement à voir apparaitre des thèses de complot.
Rédigé par : Bladsurb | 21 mars 2005 à 15:50
Merci pour cette lecture de la tribune de Cassen. A vrai dire je n'avais pas eu le temps ni le courage de la lire jusqu'au boût, tant elle me paraissait reprendre des arguments que je lis et entends tous les jours.
A relayer tiens. :-)
Rédigé par : Bix | 21 mars 2005 à 16:10
> Scope: Je vais aller très vite (ce qui suit mériterait d'amples développements et je n'en ai pas trop le temps en ce moment) et donc être forcément caricatural. La question n'est pas de savoir s'il y a complot ou non (et à ce titre, ton raccourci entre analyse marxiste de la lutte des classes et X-Files me semble intellectuellement critiquable, Marx n'a rien à voir avec une éventuelle théorie universelle du complot) mais s'il y a système ou non? Si la marche du monde tel qu'il va (et tel qu'il semble aller de plus en plus mal - inégalités croissantes inter et intra nationales, atteintes environnementales, terrorisme, retour de fondamentalismes religieux...) résulte de choix politiques et économiques au profit (ou aux profits) de certains plus que d'autres ou si "le hasard et la nécessité" dirigent les affaires du monde?
Lorsque, plus jeune, je jouais au Cluedo, pour trouver le "coupable", il fallait souvent se poser cette unique question: à qui profite le crime?
Ici, pas de coupable ni de crime (donc pas de "complot"), mais des inclus qui profitent du système (et je me mets dedans) et des exclus de plus en plus nombreux qui se trouvent relégués à la marge. Le but des inclus: garantir la pérenité du système même s'ils ne le contrôlent pas. Le but des exclus: survivre pour la plupart, et pour quelques uns passer de l'autre côté, du côté des inclus.
Le système perdure tant que les tensions internes entre inclus et exclus restent "gérables", tant que les inégalités ne mettent pas en péril la cohésion du système. A ce titre, il est révélateur de constater que, éclair de lucidité, le point central du prochain programme pour 2007 du PS semble être la question des inégalités.
Quel rapport avec le sujet? Je pense, mais j'espère me tromper, que nous ne sommes plus très loin du point de rupture. En France, le 21 avril 2002 a été un premier signe annonciateur. Le débat actuel sur ce traité constitutionnel me semble un second signe annonciateur. Pourquoi particulièrement en France? J'ai déjà eu l'occasion de l'exprimer sur ce site à plusieurs reprises, mais je pense que la construction européenne telle qu'elle se développe dans les faits depuis un peu plus d'une décennie (depuis en fait Maastricht) participe à l'effritement progressif du modèle social français (l'exception française n'est pas qu'un mythe, voir par exemple ma note sur les services publics ou encore la problématique de la laïcité que je ne désespère pas de traiter ici prochainement). L'Allemagne semble aussi touchée de plus en plus mais je connais moins bien l'Allemagne...
Certes Cassen n'est pas très fin dans ces arguments (dommage qu'il ne développe pas, plutôt que ces comptages de traitement de texte, le point crucial de son introduction, le non-bilan de l'action de l'Union). Mais quels arguments fins et rationnels avancer quand les représentants des inclus, Inclus parmi les inclus, inamovibles inclus, et premiers responsables de la crise politique actuelle, font tout pour que le Non à cette constitution s'assimile soit à un vote coco, soit à un vote facho (argument explicitement utilisé par Sarko samedi dernier, maintenant que notre gouvernement a décidé que les voix officielles du Non, par l'intermédiaire du financement public de la campagne, seraient le PC, le FN, le MPF, et le RPF)? Quels arguments rationnels avancer quand le parti du Oui assimile les indécis et les réfractaires à des ennemis de la paix, de la prospérité économique, du progrès social (à peu de choses près la conclusion de l'intervention de Chirac la semaine dernière)? Quelle force de caractère faut-il avoir pour résister au discours culpabilisateur qui ne va cesser de monter dans les semaines à venir sur le thème, "Français, l'Europe, le Monde vous regarde, ne vous trompez pas de bulletin, ne jouez pas avec le feu" (Ségolène Royal hier soir chez Fogiel, Valls la semaine dernière dans Le Monde agitant le spectre du 21 avril)?
Le complot, pis-aller de l'exclu. Peut-être. Mais alors, le responsable en est tout autant l'homme politique que des personnes comme Cassen. La responsabilité du politique est justement de rendre le monde compréhensible. A quand le prochain Mendès-France?
Rédigé par : Krysztoff | 21 mars 2005 à 16:28
Krysztoff : répondre aux cons en étant plus con qu'eux n'est pas une solution.
Je partage ton avis sur la crise du politique, mais je ne suis pas sur que nous souhaitions aller dans la même direction pour la résoudre.
Et je remarque que ceux qui disent "non" sont ceux qui veulent récupérer ces mécontents du système, qui n'est pas imputable à l'Europe telle qu'elle se crée, bien au contraire.
Les pays qui ont résolu le sujet majeur de la cohésion sociale, du chômage, sont ceux qui, aujourd'hui, sont ceux qui ont opté pour des modèles rejetés par les partisans du non français, qu'ils soient de droite ou de gauche. Danemark, Suède, Hollande, Royaume-Uni.
Je crie volontiers avec toi "A quand le prochain Mendes-France ?", mais pas pour le Mendes d'hier, dont les recettes économiques ne fonctionneraient plus aujourd'hui, mais pour un Mendes qui conserverait sa vision stratégique, son éthique, et qui sache réformer en profondeur ce pays...
Mais bon, on s'écarte du sujet, là. Tu ne trouves plus d'arguments pour donner du crédit à Cassen ? Pourquoi remonter à une critique du système, quand on descend sur le détail du texte ?
Rédigé par : versac | 21 mars 2005 à 16:43
> versac: En fait, je réagissais plutôt à l'histoire de la théorie du complot (pour moi ce n'est pas une théorie du complot mais la dénonciation d'un système) et j'ai un peu digressé je l'avoue -:)
Quant à Cassen, il est assez grand pour ce défendre tout seul.
Je ne suis pas totalement certain que la Hollande n'ait pas quelques soucis avec son modèle social également (j'ai lu quelques papiers un peu inquiétants sur les évolutions de la société batave). Le Royaume-Uni (je ne partage pas sur ce point l'enthousiasme anglophile de notre ami commun Hugues, sans doute mon indéfectible côté franchouillard révolutionnaire coupeur de têtes royales) ne me semble pas non plus avoir totalement assuré la cohésion sociale, compte tenu de l'augmentation des inégalités outre-Manche. Enfin, hasard ou pas, la Suède ne fait pas partie de l'eurogroup (avec toutes les contraintes en termes de politique économique qu'il a imposé ces dernières années) et a toujours eu une position particulière en Europe (et n'est-ce pas le pays européen où le taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé, est-ce cela, le modèle que tu prones pour la France?). De toute façon, je me méfie toujours des références à des modèles étrangers, les histoires politiques et sociales sont tellement différentes que toute transposition ou comparaison me semble particulièrement risquée et souvent inopérante.
Enfin pour ce qui est des arguments, j'en ai déjà donné quelques uns dans mes précédentes notes (les coopérations renforcées, les SIEG - au passage, en toute modestie, je me suis effectivement trouvé plus convaincant que Cassen sur ce sujet, le déficit démocratique) et j'espère avoir le temps de continuer (j'ai déjà annoncé le prochain, la laïcité (et on pourra aussi parler de l'indépendance de la BCE par exemple).
Rédigé par : Krysztoff | 21 mars 2005 à 17:04
> krystoff
C’est decidement toujours aussi emouvant pour un biologiste moleculaire de voir citer Jacques Monod « le hasard et la necessite ». Je vois cependant mal l’interet de faire reference a un livre de philosophie sur l’ontologie biologique, fusse t’il ecrit par un scientifique de genie, pour expliquer les comportements de l’homme en societe. Attention a l’extrapolation des concepts biologiques a la societe humaine.
Tu parles d’inclus et d’exclus du systeme « le but des inclus : garantir la perenite du systeme », tu as tout a fait raison. C’est exactement a quoi nous assistons actuellement.
Mais qui sont les inclus et qui sont les exclus ?
En France, nous avons d’un cote, nos « inclus de gauche » (ou plus precisement nos « inclus » defendus par la gauche), principalement fonctionnaires, qui cherchent a sauvegarder un systeme privilegie d’organisation du travail au detriment de ceux qui le subventionnent.
De l’autre cote, nous avons nos « inclus de droite » (ou plus precisement nos « inclus » defendus par la droite), dont l’origine est plus diverse. Nos professions liberales (medecins, avocats, architectes…), qui seront les premieres a faire la connaissance avec la directive Bolkestein. Mais aussi nos agriculteurs qui sentent venir qu’ils ne pourront plus profiter de la PAC encore tres longtemps (du moins pour les plus gros d’entre eux qui en profitent veritablement) et cela toujours au detriment du consommateur et du contribuable Europeen (qui paye des impots afin de payer les produits qu’il achete plus cher). On pourrait aussi parler des commercants et des lois sur la concurrence « a la Francaise ».
Les seuls que nous entendons sont donc les « inclus », ceux qui profitent du systeme « a la Francaise » et qui ont peur de voir « leurs acquis » se diluer avec ceux des autres dans une Europe qui ne leur reconnaitrait pas plus de droits que leur voisin « exclus ». L’egalite ca fait mal. Si une categorie doit voter OUI c’est bien les chomeurs et les « exclus ». Helas ces derniers ne votent plus et depuis longtemps, pour le plus grand bonheur de nos « inclus ».
J’attend impatiement que notre futur president (Melenchon ?!?!) aille defendre notre modele de societe « a la Francaise ». Peut etre comprendra t’il que notre modele personne n’en veut, a commencer par les Français, chaque jour plus nombreux, qui en sont « exclus ».
Rédigé par : Scope | 21 mars 2005 à 20:27
Même sans avoir lu la constitution, je suis convaincu avec vous sur le faux arguments du nombre d'occurrences des mots "marchés", "concurrence", etc.
«Il reproche ensuite à deux documents (les livrets résumés du texte, en langue lisible, disponibles ici et ici en PDF, qui ne sont bien évidemment pas les seuls moyens de s'informer sur le texte, et qui ne sont qu'un complément au texte officiel, disponible au 0810 2005 25), de donner une vue partielle, excluant la majorité des articles, ceux du titre III, celui sur les politiques de l'Union. C'est faux pour le document français, et vrai pour le document émanant de l'Union, qui donne plus un aperçu des évolutions constitutionnelles. Mais Bernard Cassen juge ici qu'il s'agit d'une "entreprise de désinformation", ce qui est faux, puisque le texte complet de la constitution est aisément consultable, et que d'autres documents sont accessibles partout. Il juge aussi qu'on escamote, ainsi, "le coeur du traité, sa troisième partie". Je considère pour ma part que les deux premières parties sont effectivement le coeur du traité, et que la troisième partie découle des deux premières. Elle n'est que le détail des domaines d'application des politiques de l'union. Cassen braque le projecteur sur la partie qui l'intéresse, en criant au complot,»
* Ces deux documents ne sont que des exemples, parmi d'autres, qui sont publiés par des institutions;
* Ils leur reproche de ne pas contenir, ou de les contenir une seule fois, les mots "marchés", "concurrence" et "capital" alors que ce serait des mots clés du traités;
* Dans le document français, le mot "marché" apparaît 5 fois, "concurrence" 2 fois, et "capitaux" une fois (je n'arrive pas à trouver le document européen);
Bernard Cassen n'utilise pas une seule fois le mot "complot", mais parle de "désinformation"; utiliser ce mot dans votre article sert à décrédibiliser ses propos.
Y a-t-il "entreprise de désinformation" ou pas? Je pense que la démonstration de Cassen est incomplète, qu'il est impossible de démontrer formellement s'il y a une "entreprise", mais que son affirmation n'est pas totalement fausse non plus: le texte d'Halimi (http://www.monde-diplomatique.fr/2005/02/HALIMI/11909) met bien en avant une déformation dans le traitement de l'information, dans le cas de France Inter au moins, mais qu'il n'est pas très difficile de généraliser (cf le site d'Acrimed à ce sujet). Sans parler d'entreprise de désinformation, il y a sûrement un traitement inégale entre le "oui" et le "non".
«Faut-il expliquer à M. Cassen que cette Charte constitue en effet le dénominateur commun, la garantie possible, à tous les Etats, et, surtout, qu'elle ne va pas forcer les Etats à revoir à la baisse leurs droits nationaux, comme il semble nous le faire croire ?»
* Sans forcer les états à revenir sur leur droits nationaux (et Cassen n'a pas affirmé cela), cette charte ne permet-elle pas à des lois européennes d'y revenir? Que se passe-t-il si une loi européenne est en contradiction avec un droit garanti dans un état?
* Quid de l'article qui soumet cette charte «"dans les conditions et limites" des autres parties de la Constitution.»?
Je devrais sûrment lire moi même le TCE plutôt que lire publius :-) mais la réponse aux points précédents seront déterminants dans mon décision finale...
«Les SIEG sont une exception à la norme, qui est la concurrence. Evidemment, c'est effectivement le cas. Et alors ?»
* Et alors c'est un choix de société. Pourquoi est-ce que la concurrence devrait être la norme?
«Cassen établit que, de manière définitive, les Etats n'ont plus le droit de donner des aides publiques qui fausseraient la concurrence. Je pense qu'il fait là une lecture à rebours du texte. Et il ne cite évidemment aucune des avancées et des garanties de cet article.»
* L'article III-167 est très précis et très flou à la fois: «Peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur...». Les aides publiques seront donc soumises au bon vouloir de la Commission, (ou de l'organe de contrôle ad-hoc). L'expérience des traités internationaux apprend qu'il faut assez souvent s'attendre au pire, même s'il n'est pas certain (cf le cas de l'état du Mexique qui a été condamné dans le cadre du FMI ou de l'Alena pour des aides qu'ils fournissait pour un projet éducatif, et ce qui, potentiellement, était autorisé, mais jugé finalement contraire au traité).
«Je passe sur l'argument qui se fonde sur une citation tronquée de Nelly Kroes, dont on sait qu'elle ne représente en aucun cas une majorité politique, qui disait vouloir stimuler l'économie européenne".»
* Cette personne fait pourtant partie de la Commission. Le fait qu'elle ne fasse pas partie de la majorité actuelle ne suffit pas à garantir de son inoffensivité.
«Cassen arrive à se désoler du fait qu'une éventuelle directive (on dirait Loi, plutôt, dans le nouveau vocabulaire), serait décidée en codécision entre le parlement et le conseil européen, et à la majorité qualifiée. Voilà une belle négation de la démocratie, un refus de l'expression de la majorité européenne par ses représentants...»
* Cassen parle du «rapport de force actuelle». Ce rapport de force actuelle inclut la commission très libérale de Barroso. Et c'est bien la Commission qui est toujours à l'initiative des lois!
Maintenant, chez Versac, si vous trouvez le texte de Cassen trop léger, vous pouvez toujours vous attaquer aux textes suivants qui, personnellement, m'ont plus convaincus de votez "Non" que celui de Cassen:
* http://www.france.attac.org/a4350)
* http://www.france.attac.org/a2235
C'est toujours un plaisir très stimulant de vous lire.
Rédigé par : Media | 21 mars 2005 à 21:07
Arff suffit que je néglige un peu le diplo pour qu'il soit encore plus rigolo. Passons sur la rhétorique de Cassen, qui frôle la sortie de route à maintes reprises (pas l'envie aujourd'hui d'aller plus loin sur ce point ). On a tous le droit d'écrire des anneries. Ce qui passe le plus mal, que je trouve un rien malhonnête dans le discours du grand homme, c'est le coté" Ah une bonne constitution pour l'UE ça serait bien, mais j'ai bien potassé, discuté, et regarde cet article et celui là, mince alors je vais voter non comme ça on en aura une meilleur." Mais ce n'est pas ce que Cassen veut, il l'a précédemment écrit :
"Contre le nationalisme et le néolibéralisme : la nation. Res Publica 1998 Bernard Cassen
Les partisans de la mondialisation et de l'Union européenne estiment que l'entité "nation" est dépassée et que ses défenseurs sont des nationalistes. Contre cela s'élèvent les voix d'intellectuels qui entendent réaffirmer la pertinence de la nation face aux marchés destructeurs des solidarités et du sentiment d'appartenance collective."
Il a pu changer, mais a priori ce garçon est clairement contre l'UE et défend l'idée d'une certaine nation. Fort bien, je ne demande qu'à lire cette thèse. Mais pourquoi tente-t'il de nous faire croire aujourd'hui qu'une version remaniée du traité constinuel de l'UE (destructeurs des solidarité) pourrait le satisfaire, hein ? :-))
Rédigé par : Eviv Bulgroz | 21 mars 2005 à 21:13
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«principalement fonctionnaires, qui cherchent a sauvegarder un systeme privilegie d’organisation du travail au detriment de ceux qui le subventionnent.»
N'avez-vous pas l'impression de débiter des clichés? Avez-vous récemment été dans un hopital public, dans une maternité, dans un établisssement scolaire?
Connaissez-vous le salaire d'une infirmière dont dépend la vie des autres?
La plupart des fonctionnaires auraient intérêt à faire évoluer le système pour qu'il améliore leur condition de vie.
Rédigé par : Media | 21 mars 2005 à 21:15
Media, quelques points :
- s'il s'agit de dire que Bernard Guetta n'est pas bon, je vous suis.
- s'il s'agit de dire que le non est sous-représenté dans les media, je ne vous suis pas. On pourrait en parler longtemps, mais j'ai en quelques jours eu droit à Fabius sur F2 au 20h, Emmanuelli chez Ardisson, je ne sais plus lequel chez Fogiel, Paul Alliès ce matin à la radio... Je n'ai pas entendu un partisan du oui autre qu'Olivier Duhamel.
Sur le reste :
- sur les rapports de subsidiarité du droit, je laisserai Paxatagore vous répondre, il sera meilleur que moi, je ferai sûrement des bourdes, et me ferai engueuler par la suite.
- sur la concurrence : oui, la concurrence est la norme dans le domaine économique. c'est une chose acceptée librement depuis des dizaines d'années dans la majorité des pays européens. Votre boulanger est en concurrence, votre banque aussi. Ce système est globalement bon. Notons que ce n'est pas la seule règle qui gouverne nos vies. Mais si votre propos est effectivement de dire que la concurrence, par exemple pour les boulanegrs, ce n'est pas bon, je crois que ça va être compliqué.
- "Les aides publiques seront donc soumises au bon vouloir de la Commission" : NON. Assez de ce discours sur la commission toute puissante, vilain animal libéral. Les Etats devront naturellement déléguer des pans de leurs compétences, à un pouoir qui, dans le cadre du TCE, sera plus démocratique, plus équilibré. Pas encore parfait, mais vraiment mieux. La commission n'a pas de bon vouloir. L'UE a un droit. l y a des moyens de le faire respecter. On n'est pas dans la république bananière.
- Nelly Kroes fait partie de la majorité. Mais sa tendance très libérale ne l'est pas au sein des différents pays. Argumenter en disant : "attention, vous pouvez avoir des gens de droite", c'est nier la démocratie.
- Le rapport de forces actuel dont parle Cassen, ce n'est pas un argument. Barroso est libéral. Soit. S'il veut effectivement tenter le coup de force, c'est son droit. Mais il n'est là que par le bon souhait des gouvernements. Et le TCE renforcera les moyens de contrôle du parlement, qui est le véritable organe représentatif de l'intérêt européen.
- Je ne suis pas sûr, après Cassen, de m'attaquer en plus à Nikonoff. Son inventaire des points négatifs du traité n'a qu'un but : décradibiliser le texte en sortant des arguments simples et directs. Dans le tas, chacun y trouvera bien une affirmation qui fera tilt. On pourrait faire exactement le même exercice avec le ou i(c'est ce que font des partisans du oui), mais celà a beaucoup de limites. Et je n'ai pas tout mon temps à passer à étudier des textes de personnes qui ne pensent pas un monde réel.
Rédigé par : versac | 21 mars 2005 à 23:24
versac: il y a une version de la constitution en un seul morceau sur mon site pour les amateurs d'editeurs de texte puissants et de copier / coller qui font sérieux, lien direct [1.1 MB] : http://guerby.org/eu_constitution_all_2.txt
Rédigé par : guerby | 21 mars 2005 à 23:49
Merci et bravo à Versac pour cette réfutation très complète. Un aspect du texte de Casen que je trouve vraiment très étrange est l'affirmation implicite selon laquelle la partie III serait née avec la Constitution. Dans l'encadré sur le traité de Nice, il affirme ainsi, après avoir approuvé les modifications institutionnelles, que "Les gouvernements ont absolument tenu à faire en même temps « constitutionnaliser » les politiques libérales de la troisième partie..."
http://www.monde-diplomatique.fr/2005/02/CASSEN/11910
Le scénario d'une retouche a minima du traité de Nice pour règler les questions institutionnelles n'est pas complètement illusoire. L'idée que la charte pourrait disparaître d'un traité rectificatif non plus. Mais la perspective d'une suppression des passages des traités antérieurs qui font la partie III relève du délire pur et simple.
Qu'on soit en désaccord avec cette partie III est bien entendu légitime. Mais qu'on ait au moins le courage de dire que c'est l'ensemble de la construction économique européenne depuis 1957 qu'on remet en cause, et pas un manifeste ultralibéral qui serait tombé du ciel en 2004.
Rédigé par : Emmanuel | 22 mars 2005 à 00:38
... Toujours un double plaisir, sur ce blog, de lire une analyse précise et exhaustive doublée d'une bordée de commentaires exhaustifs au point de m'oter d'avance toutes les idées que j'avais pour ajouter ma pierre à l'édifice...
Ceci étant, je trouve dans le discours de Versac une certaine rhétorique "la constitution ou le chaos" qui me semble parfois dommageable en termes de pédagogie... Le consensus est indispensable, certes, mais il ne doit pas empêcher un débat de fond qui manque souvent à la construction européenne. Il est dommage qu'il ne survienne qu'à l'heure du vote ou presque, mais il demeure indispensable. Je ne suis pas un afficionado de Cassen, et passe au fil des mois d'un "oui " enthousiaste à un "faute de mieux..." quelque peu tristoune, mais je trouve dommage de sombrer dans un réalisme pragmatique à l'heure d'une constitution qui pourrait, qui devrait constituter une impulsion européenne forte.
Bref, et en résumé, pourquoi cette troisième partie qui fait penser à la mauvaise fin d'un film (un blockbuster ?) qu'on trouvait plutôt réussi jusqu'ici ? L'argument avancé, elle "organise de manière fine quelles sont les politiques de l'Union, et sous quels principes les Etats acceptent de les déléguer", ne me paraît pas souligner outre mesure son caractère indispensable. Les traités précédents définissaient déjà ces compétences, et cette partie n'est pas qu'un rappel. Elle introduit des éléments nouveaux, notamment effectivement en termes de services publics, qui sont tout à fait discutables ultérieurement, sans avoir besoin de les fixer dans un traité constitutionnel... Avis de profane, certes. Mais, et peut-être est-ce le fond de l'affaire, comment ne pas être profane en matière d'Europe, vu la technicité et la complexité de sa construction, notamment économique ?
Rédigé par : TSP | 22 mars 2005 à 00:42
Emmanuel : merci, très juste, sur l'idée qu'on puisse abandonner la partie III.
TSP : j'avais te té d'éviter le biais du "la constitution ou le chaos", argument permanent des partisans du oui qui est tout sauf intéressant. Si on vote non, il faudra faire avec, et ce sera de la responsabilité des politiques, et de ceux qui ont proné le non en premier lieu, de faire que ce ne soit pas le chaos.
C'est sur ce plan, notamment, que je trouve les partisans du oui, surtout ceux qui agissent dans des partis "de gouvernement" (PS, PC), très faible, peu responsables. Ils n'ont pas étudié la conduite à tenir par la suite, se contentant de dire qu'on renégociera. Les autres, LCR, LO, FN, Attac, etc... on a l'habitude de les entendre dire "il faut faire ceci" sans qu'ils ne tiennent compte de leurs actes.
Par ailleurs, nous avons eu une négociation longue et complexe de ce traité. La méthode a été exceptionnelle. La convention a duré un an et demi dans une grande transparence, effectué un travail remarquable, la CIG a ensuite négocié longtemps aussi. J'ai du mal qu'on remette en route une machine plus démocratique encore, qu'on s'affranchisse des Etats, ou que, dans l'Europe des 25, un compromis soit possible qui offrirait plus de garanties à la gauche de la gauche française, qui est, il faut le dire, très minoritaire en Europe.
C'est pourquoi, si je le respecte comme opinion (on peut juger le texte insatisfaisant sur de nombreux points), le non de gauche en tant qu'acte politique me semble une illusion peu responsable.
Rédigé par : versac | 22 mars 2005 à 10:24
Versac a écrit :
"sur la concurrence : oui, la concurrence est la norme dans le domaine économique. c'est une chose acceptée librement depuis des dizaines d'années dans la majorité des pays européens. Votre boulanger est en concurrence, votre banque aussi. Ce système est globalement bon. Notons que ce n'est pas la seule règle qui gouverne nos vies. Mais si votre propos est effectivement de dire que la concurrence, par exemple pour les boulanegrs, ce n'est pas bon, je crois que ça va être compliqué."
Il me semble que la concurrence est la pierre d'achoppement pour la pensée politique à gauche en France. Le mode adopté est la plupart du temps dénonciatoire en s'appuyant sur les effets négatifs liés à une concurrence mal définie. On omet toute la dimension positive de celle-ci en optant pour une réflexion métonymique.
Il est étonnant que ce que l'on dénonce dans le domaine économique ne fasse pas l'objet de la même virulence au niveau sportif (Marie-George Buffet aux sports, fallait oser !). Pointer du doigt les excès, faire en sorte qu'ils soient rectifiés, voilà une voie que la gauche se doit à mon sens d'adopter. Mais remettre en cause le principe même de concurrence, être dans l'incapacité d'en penser la nature, y voir une forme d'aporie qui comme tel ne nécessite que condamnation et non réflexion fait le lit aux critiques les plus radicales de la société au sein de laquelle nous évoluons.
A contrario, ce que je reproche aux libéraux (vaste pot-pourri qui se cache derrière ce terme générique), c'est d'être incapables de penser la concurrence dans ses dimensions négatives.
Le terrain entre ces deux attitudes me paraît assez vide en France.
Rédigé par : Samuel | 22 mars 2005 à 10:45
Versac:
«oui, la concurrence est la norme dans le domaine économique. [...] Mais si votre propos est effectivement de dire que la concurrence, par exemple pour les boulangers, ce n'est pas bon, je crois que ça va être compliqué.»
Mon propos est de dire que la prédominance du domaine économique dans le TCE est dommageable. Ma vie ne tourne pas autour de l'économie. La préservation de l'environnement, par exemple, devrait etre au dessus de toute autre préoccupation. Quand bien meme on ne parlerait que d'économie, la concurrence et le marché ne sont qu'une manière, parmis d'autres, d'aborder l'économie.
L'économie du don, du partage, de la coopération plutot que la concurrence sont d'autres points de vue / paradigme économiques qui me semblent plus intéressants que la concurrence et le marché.
Je ne peux pas accepter un texte qui fait de la concurrence et du marché des normes.
Versac:
«Assez de ce discours sur la commission toute puissante, vilain animal libéral. Les Etats devront naturellement déléguer des pans de leurs compétences, à un pouvoir qui, dans le cadre du TCE, sera plus démocratique, plus équilibré. Pas encore parfait, mais vraiment mieux. La commission n'a pas de bon vouloir. L'UE a un droit. Il y a des moyens de le faire respecter.»
Cela ne répond pas à ma critique du texte, et de l'article qui permet cette dérive. Les gouvernements peuvent, potentiellement, se faire condamner (par la commission ou un autre organne, je n'en sais rien) s'ils reversent des subvensions.
Versac:
«On n'est pas dans la république bananière.»
Humm, d'autres ne pensent pas comme vous: http://demo.ffii.org/
Ce qu'il faut retenir c'est que les dérives de la Commission sont déjà là: http://www.ffii.fr/discours_michel_rocard_reunion_commission_parlementaire_juri_avec_commissaire_mccreevy_article107.html. Dans le cas en question, c'est aussi bien la commission que le conseil qui sont accusés de dérive. Le TCE améliore les choses, un peu.
Versac:
«Nelly Kroes fait partie de la majorité. Mais sa tendance très libérale ne l'est pas au sein des différents pays. Argumenter en disant : "attention, vous pouvez avoir des gens de droite", c'est nier la démocratie.»
L'un des problèmes de la Commission est qu'elle peu représentative, du fait de son mode de nommination, et que ses pouvoirs sont importants. Je ne nie pas la démocratie, je trouve qu'il n'y en a pas assez. Cela dit les memes critiques s'appliquent tout aussi bien à la constitution française!
Versac:
«Barroso est libéral. Soit. S'il veut effectivement tenter le coup de force, c'est son droit. Mais il n'est là que par le bon souhait des gouvernements. Et le TCE renforcera les moyens de contrôle du parlement, qui est le véritable organe représentatif de l'intérêt européen.»
Le pouvoir du parlement renforcé est à mon sens le seul point positif du TCE.
Versac:
«Par ailleurs, nous avons eu une négociation longue et complexe de ce traité. La méthode a été exceptionnelle. La convention a duré un an et demi dans une grande transparence, effectué un travail remarquable, la CIG a ensuite négocié longtemps aussi. J'ai du mal qu'on remette en route une machine plus démocratique encore, qu'on s'affranchisse des Etats, ou que, dans l'Europe des 25, un compromis soit possible qui offrirait plus de garanties à la gauche de la gauche française, qui est, il faut le dire, très minoritaire en Europe.»
J'ai lu un avis contraire, sur la façon dont le constitution a été rédigée, en particulier sur la Partie III, présentée sans qu'elle soit discutée:
«
La convention qui a élaboré la première version du projet de constitution, présidée par V. Giscard d’Estaing, était composée de 72 parlementaires (56 représentants des parlements des États membres et candidats, 16 représentants du Parlement européen), 28 représentants des gouvernements et 2 représentants de la Commission européenne. Les 72 parlementaires siégèrent sans jamais avoir été mandatés pour cela par les citoyens européens, contrairement à ce qu’affirme le préambule du projet de constitution. Ils étaient censés représenter les 450 millions de citoyens européens, ce qui est un record absolu de plus de six millions de citoyens par représentant. Le mode de fonctionnement de cette convention, par consensus, a donné un poids prépondérant aux plus réticents en débouchant sur le plus petit dénominateur commun. Le travail de synthèse et de rédaction a été confié à un secrétariat général, dirigé par un ancien haut responsable du Foreign Office britannique, qui s’est personnellement impliqué pour que la constitution ne s’éloigne pas trop des vues de son gouvernement. De plus, c’est le présidium de la convention, formé de trois personnalités nommées par les chefs d’État et de gouvernement (et non élus par la convention), et entourés de treize membres représentant les composantes de la convention, qui a joué le rôle essentiel. C’est lui qui a fait les choix décisifs, a fait passer des compromis sans vote et à l’évidence minoritaires dans la convention. Beaucoup des membres de la convention n’ont jamais eu l’occasion de voter une seule fois, et les travaux sont restés largement confidentiels. La partie III qui contient 322 des 448 articles du projet n’a pas été présentée lors du sommet de Salonique de juin 2003, et n’a été discutée par la convention qu’en juin et juillet 2003 sans qu’il leur soit possible de la modifier. Cette convention rassemblait des représentants des principaux partis, qui ont ainsi eu l’impression d’être associés au travail. Il n’est guère étonnant qu’ils aient par la suite soutenu majoritairement le texte ; dès lors qu’on participe à l’élaboration d’un projet, on a tendance à en approuver les résultats. C’est humain.
Une conférence intergouvernementale a ensuite remanié le projet issu de la convention. Ce projet apparaît comme le résultat de négociations, de sommets et de compromis entre gouvernements, plutôt que comme le fruit des débats de constituants mandatés par les citoyens.
La mise en ligne sur le site internet de la convention des résultats au jour le jour, la discussion d’éléments du projet dans des cercles réduits, voire la possibilité pour chacun de faire part de ses commentaires à la convention par courriel sont loin de suffire pour assurer le principe de publicité sans lequel les juristes ne sauraient parler de travail constituant.
»
extrait de:
http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=2081
Rédigé par : Media | 22 mars 2005 à 23:20
Pour Versac:
Je comprends que nous ne souhaitiez pas vous attaquez aux articles d'ATTAC. Je le regrette un peu néanmoins.
Voici d'autres arguments à voter au "non", j'espère que parmi l'équipe de Publius il y aura une personne qui les trouvera suffisamment étayés pour s'y attaquer:
http://genereux.fr/news/45.shtml
http://genereux.fr/news/101.shtml
http://genereux.fr/news/77.shtml
Rédigé par : Media | 22 mars 2005 à 23:48
Media :
- je reviendrai plus tard sur vos remarques. Je note qu'il n'y a pas quele renforcement du rôle du parlement dans la procédure législative, mais bien dans la nomination de la commission, qui est contenue dans le traité. Si vous souhaitez que la commission soit plus légitime, le oui est plus logique que le non.
- ne me faites pas le reproche de ne pas m'attaquer aux articles d'Attac. Bernard Cassen est le fondateur et président d'honneur d'Attac, quand même. Je ne peux pas me spécialiser dans la critique du non. Et puis, je suis en train de lire le bouquin de Généreux, et celui de Fabius. D'ici le 29 mai, ne vous inquiétez pas, vous aurez sans aucun doute un aticle de ma part sur les trois textes qui circulent chez les partisans du non :
- celui de Nikonoff
- celui de Jacques Généreux
- celui de Raoul-Marc Jennar
Mais bon, je ne vais pas y passer ma vie non plus.
Samuel : ce terrain n'est pas vide, mais sous-représenté par rppoort aux autres pays européens. Il est occupé par plein de gens, à gauche et à droite, qui refusent de travailler ensemble.
Rédigé par : versac | 23 mars 2005 à 09:25
Je crois que la source du problème est là : ces personnes préfère insister sur ce qui les sépare que sur ce qui les rassemble : voyez la "réussite" des gouvernements "ouverts à la société civile"...
Il faut une certaine force de caractère pour accepter les remarques de ceux de sa sensibilité politique, "traitre, vendu...", et les suspicions de ceux que l'on rejoint, "il vient pour la soupe ??" quand on accepte de jouer le jeu de l'intérêt général par dessus les divisions partisanes. On n'est pas prêt d'avoir un gouvernement d'union national dans notre pays !!!
Rédigé par : egdltp | 23 mars 2005 à 15:13
Versac : "Je note qu'il n'y a pas quele renforcement du rôle du parlement dans la procédure législative, mais bien dans la nomination de la commission, qui est contenue dans le traité."
J'avoue ne pas avoir lu en entier le traité mais auriez vous l'obligeance de me citer l'article donnant la procédure de la nomination de la commission par le Parlement ?
Ca ne correspond pas tout à fait à ce que j'en ai compris :
- I-26 : "4. Les membres de la Commission sont choisis en raison de leur compétence générale et de leur
engagement européen et parmi des personnalités offrant toutes garanties d'indépendance."
- I-27 : "2. Le Conseil, d'un commun accord avec le président élu, adopte la liste des autres personnalités
qu'il propose de nommer membres de la Commission. Le choix de celles-ci s'effectue, sur la base des
suggestions faites par les États membres, conformément aux critères prévus à l'article I-26,
paragraphe 4, et paragraphe 6, second alinéa.
Le président, le ministre des Affaires étrangères de l'Union et les autres membres de la Commission
sont soumis, en tant que collège, à un vote d'approbation du Parlement européen. Sur la base de cette
approbation, la Commission est nommée par le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée."
Donc pour moi, le Parlement ne nomine pas du tout la commission : il ne fait que donner ou non son approbation pour son ensemble (qui a été choisi par le Conseil), ce qui n'est pas du tout la meme chose et à mon sens profondément anti-démocratique, puisque ce sont de "grands électeurs" (=chefs d'états) qui choisissent la commission. La commission n'est pas nommée directement par le Parlement, seul représentant du suffrage universel direct.
Bcp d'opposants à ce traité parlent de la partie III (que je n'ai pas encore lue), mais rien que cette disposition concernant la composition de la commission ne me plait guere. Et là c'est purement constitutionnel, rien d'économique là dessous. Quand on sait que seule la Commission peut "proposer des lois" au Parlement, ca fait froid dans le dos (I-26):
"2. Un acte législatif de l'Union ne peut être adopté que sur proposition de la Commission, sauf dans
les cas où la Constitution en dispose autrement. Les autres actes sont adoptés sur proposition de la
Commission lorsque la Constitution le prévoit."
(J'avoue ne pas comprendre le "sauf dans
les cas où la Constitution en dispose autrement" dans cet article.)
Rédigé par : Lemmings | 23 mars 2005 à 15:28
Lemmoings : je suis allé un peu vite dans ma réponse. Disons qu'auparavant, le parlement n'avait qu'un rôle purement consultatif dans la procédure, ce qui ne l'a pas empêché, d'ailleurs, de monter un veto opérationnel lors de la nomination de la présente commission, qui a vu l'équipe changer.
A présent, le Conseil ne peut plus se passer de l'approbation du parlement. Les membres de la commission, le président, le ministre des affaires étrangères sont soumis à un vote du parlement.
Evidemment, on peut rêver et demander que les gouvernements abandonnent pleinement ce rôle au parlement. CE serait aller non plus directement vers du fédéralisme, mais vers un Etat à la Française.
Avec ce traité, avec encore de nombreuses imperfections, on a progressé vers les bases d'un fonctionnement politique. On n'a pas encore un Sénat (conseil des ministres) et une assemblée basse (parlement) complètement opérationnels, ni une vraie séparation des pouvoirs, mais on s'en rapproche beaucoup plus que sous les traités antérieurs.
Rédigé par : versac | 23 mars 2005 à 16:22