Suite de notre saga sur les institutions, aujourd'hui "le consei européen". Le conseil européen, c'est la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement des 25 pays membres.
Première remarque : les "conseils européens" existent depuis les années 70, c'est une "invention" (notamment) de Valéry Giscard d'Estaing qui n'était pas encore devenu président de la convention, mais n'était que président de la République française. Jusqu'alors, cette invention était "à côté" des textes, les conseils européens n'existant pas de façon formelle (ou alors de façon très mesurée). Désormais, cette institution dont le rôle était majeur est enfin décrite dans le traité.
Composition
Quelques nouveautés par rapport à la pratique antérieure. Outre les chefs d'Etat et de gouvernement, sont membres du conseil européen : le président de la commission, le président du conseil européen (mais ils ne votent pas).
Car, et c'est là qu'est l'une des principales et essentielles nouveautés de la Constitution : il y a maintenant un président permanent du conseil européen. Auparavant, il y avait une rotation de six mois : chaque pays exerçait à son tour la présidence de l'Union européenne, et donc du conseil. Tous les six mois, on changeait donc de direction politique. Tous les six mois, c'était un ministère et une ambassade différents qui prenait en charge les questions politiques européennes. Désormais, il y aura une présidence unique, pour deux ans et demi.
Ce président est élu à la majorité qualifiée (55% des membres représentant 65% des habitants) par les membres du conseil européen. Et surtout, il ne peut pas exercer de mandat national : il ne sera pas à la fois premier ministre d'un pays et président du conseil. Il n'aura que cette fonction éminemment politique, celle de piloter l'Union.
Le rôle du conseil
"Le Conseil européen donne à l'Union les impulsions nécessaires à son développement et en
définit les orientations et les priorités politiques générales. Il n'exerce pas de fonction législative." (art. I-21, §1). Le Conseil joue donc le rôle de "moteur politique" de l'Union. C'est lui qui donne les impulsions, définit la politique européenne. C'est d'ailleurs à lui qu'on doit une bonne partie des évolutions majeures de ces trentes dernières années dans l'Europe. C'est donc une institution très politique.
Le président du conseil a pour mission :
- de présider le conseil ;
- de préparer les conseils (1 par trimestre, soit un de plus qu'aujourd'hui) ;
- rend compte des réunions du conseil au parlement (ce qui implique une sorte de contrôle politique du parlement sur le conseil).
- représente l'Union européenne pour les affaires de sécurité et de politique étrangère ;
Le Conseil a toutes une séries de missions qui en font un arbitre et un régulateur des institutions européennes. S'il n'a pas de pouvoir de décision concrète sur les citoyens, il a un rôle institutionnel très important, qui lui permet de "configurer" les institutions en fonction de la politique qu'il a déterminé :
- il établit la liste des formations du conseil des ministres ;
- il pourra fixer le nombre des commissaires (qui est normalement de 2/3 des Etats membres, mais le conseil peut changer cela, à l'unanimité) ;
- il décide le système de rotation qui permet aux pays d'avoir, chacun à son tour, un commissaire ;
- il propose au parlement européen un président de la commission ;
- il procède à la nomination de la commission telle qu'approuvée par le Parlement européen ;
- il nomme le ministre des affaires étrangères de l'Union ;
- c'est lui qui décide la "suspension" d'un membre qui violerait gravement les valeurs de l'Union ;
- lorsqu'un pays estime qu'une décision aurait un impact trop important sur son système de sécurité sociale ou sur son système judiciaire, il peut demander que la question soit évoquée au conseil européen ;
- il peut lancer la procédure de révision de la Constitution (procédure de convention ou procédure simplifiée de conférence inter-gouvernementale) ;
- il peut enfin "déclassifier" une décision qui doit être prise à une majorité spéciale ou selon une procédure spéciale en la faisant passer dans le droit commun ;
- il peut également modifier à l'unanimité la troisième partie, titre III (consacrées aux politiques internes).
Normalement, le conseil décide par consensus. S'il n'y a pas consensus, beaucoup de ses décisions politiques sont prises à la majorité qualifiées, mais la quasi-totalité des décisions institutionnelles sont à l'unanimité.
Bilan.
La consécration textuelle de cette institution est une bonne nouvelle. Elle permet d'expliquer pourquoi cette institution existe et a temps d'importance dans l'Union. Par son caractère très politique (chaque pays est représenté à égalité et au plus haut niveau), elle permet à la fois :
- d'impulser des initiatives qui seront ensuites mises en oeuvre par le conseil des ministres, la commission, le tout sous le contrôle du parlement européen, bref, d'être le moteur de l'Europe ;
- d'assurer la protection des intérêts de chaque pays, puisque chaque pays est représenté à égalité avec les autres. C'est ainsi que des craintes sur notre système de protection sociale peuvent être levées : tant que nous aurons des gouvernement démocratiques en France, conformes aux voeux de l'opinion, on peut penser qu'ils défendront ce système (du moins, s'il garde la faveur des français, ce qu'on peut penser très probable !).
C'est donc un équilibre entre respect de chaque pays membre et développement des politiques communautaires.
La Constitution entérine ce choix qui datait des années 70, permet d'institutionnaliser le fonctionnement de cette institution, et surtout le dote d'un président au long terme (2 ans et demi). Cela permettra d'assurer une continuité politique, qui n'existait jusqu'à présent qu'à la commission.
Cela devrait rassurer les "euro-craintifs" : il y aura désormais un pilote politique sensible aux préoccupations des Etats-membres et non uniquement obnubilé par la mise en oeuvre du marché commun :-).
Je pense qu'on doit vraiment insister sur cette apport fondamental de la Constitution :
- consécration d'un choix ancien, raisonnable, qui concilie intérêts nationaux et intérêt communautaire ;
- innovation substantielle avec ce président du conseil européen, véritable président de l'Union européenne.
Evidemment, il y a des bémols possibles : ce système ressemble à notre système présidentiel à la française, avec un président et un chef du gouvernement. On le connaît, mais il est critiqué. Néanmoins, le président de l'Union n'aura pas de pouvoir seuls, il ne sera que le chef d'orchestre et sans l'orchestre, le chef d'orchestre ne fait pas de musique.
Cela renforce ma conviction concernant cette constitution : progressivement, à petit pas (trop petit pas, mais pas dans la bonne direction quand même !), on va vers une politisation de l'Union et donc la possibilité pour les citoyens de peser sur les choix qui sont faits "à Bruxelles".
L'institutionalisation du Conseil Européen a déja été effectuée : cf Article 4 du Traité de Maastricht. Il est donc faux de dire que la constitution "consacre" cette institution. Par contre, il me semble effectivement que les changements apportés sont nécessaires à sa bonne marche, et constituent de ce point de vue une avancée.
Rédigé par : Manu | 31 mars 2005 à 22:09
Bonjour,
Pour le role du conseil: il n'est pas nouveau; vous l'avez bien resumé.
Plus specifiquement sur le president du conseil (l'innovation du projet):
Je suis d'accord sur un point: la nomination d'un président du conseil peut permettre d'avoir "un visage sur l'institution" voire, avec un peu de chance, d'avoir une cohérence supérieure dans l'action de la presidence du conseil grace a une action un peu plus "long terme" (encore que des mandats de deux ans et demis renouvelables une fois, ca ne soit pas tres long).
Le hic, c'est que l'action de la presidence me semble limitee, et cette inovation me semble se limiter a un interêt de meilleur fonctionnement de l'institution; c'est certes une bonne chose mais ca se cantonne a de la "tuyauterie institutionnelle". Rendre compte de l'action du conseil ne me semble pas non plus relever d'un controle politique du parlement sur le conseil (d'autant moins que le president du conseil, qui rend compte, ne dispose pas de pouvoir de decision au conseil).
Ce que je veux dire, c'est que présenter cela comme une évolution majeure me semble tout fait éxagéré. On ne voit pas ici de véritables prérogatives autres que symboliques, finalement assez formelles et pas vraiment politiques.
Le président préside, certes, mais ne semble pas avoir de prise directe sur les décisions. La marge de manoeuvre politique du prsident semble extremement réduite: un président du conseil social démocrate ne pourra, pas plus qu'actuellement, réorienter ou canaliser une éventuelle majorité libérale. Sans minimiser l'influence d'un president de seance lors d'une reunion, il sera plus amene (comme aujourd'hui) a constater la direction politique qu'a la donner.
Le role de la présidence semble plutot restreint aujourd'hui (alors meme que le président a un vote); je ne le vois pas évoluer sensiblement.
On peut reconnaitre le symbole lié au poste mais, de ce point de vue, il me semble un peu se "marcher sur les pieds" avec le président de la commission, voire avec le ministre des affaires étrangères.
Cordialement
Rédigé par : moi | 01 avril 2005 à 11:12
"un président du conseil social démocrate ne pourra, pas plus qu'actuellement, réorienter ou canaliser une éventuelle majorité libérale."
Si c'est vrai, l'inverse doit l'être aussi. Un président libéral ne pourra pas non plus réorienter une éventuelle majorité sociale démocrate. Et ça me semble normal, dans une démocratie, que la majorité prévale, non ?
Rédigé par : Bladsurb | 01 avril 2005 à 11:27
ATTENTION, A LIRE DE SUITE , LA COMMISSION DEMANDERAIT A LA FRANCE DE REVENIR SUR LE REFERENDUM !
http://babel451.free.fr/serendipity/index.php?/archives/23-La-Commission-ne-veut-pas-du-referendum.html
Rédigé par : babel451 | 01 avril 2005 à 12:21
Babel-451,
Il doit s'agir de la fameuse commission qui demande l'abolition de l'avortement (dixit Emmanuelli) et la décapitation de tous les petits bébés. En ce qui concerne la "commission européenne", sise à Bruxelles, je ne crois pas qu'elle demande une chose pareille. Mais je peux me tromper.
Rédigé par : Hugues | 01 avril 2005 à 17:16
Hugues : ou t'être fait piéger par les facéties de saison de notre correspondant.
Rédigé par : Emmanuel | 01 avril 2005 à 17:40
Bonsoir,
Bladsurb :
"Si c'est vrai, l'inverse doit l'être aussi. Un président libéral ne pourra pas non plus réorienter une éventuelle majorité sociale démocrate. Et ça me semble normal, dans une démocratie, que la majorité prévale, non ? "
Tout à fait.
J'avais hésité à préciser, dans mon post de tout à l'heure, que l'inverse ne serait pas plus vrai et que la faiblesse du poste est effectivement normale vu sa légitimité assez réduite. Je me suis limité car j'ai toujours tendance à faire (trop) long.
Il n'était pas dans mes intentions de critiquer le principe d'un point de vue partisan, ni de déplorer la définition du poste.
Je voulais simplement prendre un exemple de mon propos principal: les très grandes limites du poste de président du conseil et le fait que son rôle en tant qu'instance politique est des plus réduits (et encore une fois, c'est normal): il ne s'agit donc pas véritablement d'une "direction politique"; c'était sur ce point que je réagissais.
En bref, je ne considère pas cela comme une nouveauté essentielle, mais comme une "amélioration d'intendance".
Cordialement
Rédigé par : moi | 01 avril 2005 à 19:44
A vrai dire, je ne pense pas que cette institution du président soit une simple intendance. J'y reviendrai dans un prochain billet consacré spécifiquement à son rôle.
Rédigé par : Paxatagore | 01 avril 2005 à 20:50
Ces analyses sur le Conseil Européen, "moteur politique" de l'Union, sont bien intéressantes, mais on peut ne pas partager vos conclusions optimistes: vous omettez notamment de préciser que par ailleurs, dans le projet de Constitution, la présidence tournante et semestrielle des formations du Conseil des ministres est pleinement maintenue.
La rotation habituelle continuera de même à s'appliquer au Coreper et aux divers autres organes satellites du Conseil qui ont en charge l'élaboration concrète et au quotidien des normes communautaires.
(La présidence du Conseil des ministres sera assurée par des groupes prédéterminés de trois Etats membres, composée par rotation égale des Etats, pour dix-huit mois; seule la formation "Affaires étrangères" connaîtrait une présidence fixe, revenant au nouveau MAE de l'Union. Art. I-24 et décl. 4)
Une avancée de peu d'effets mais symbolique, certes, une "innovation substantielle", c'est tordre un peu les textes... (Mais Publius pêche souvent par enthousiasme :o)
Rédigé par : M LeMaudit | 02 avril 2005 à 03:24
Je ne partage pas votre enthousiasme pour le renforcement du Conseil européen par le traité, qui me semble un recul néfaste (même s'il est probablement politiquement inévitable) sur la voie de l'intergouvernemental, du confédéral, au détriment du communautaire, du fédéral. Plus précisément je le comprends du point de vue français en raison de la position géo-politique du pays dans des discussions "égales" à 25 (?), et plus généralement du point de vue des "grands pays" (Blair est également un grand partisan du Conseil européen!)... Vous ne rappelez pas qu'il avait été question que la même personne préside la Commission et le Conseil, ce qui aurait au moins évité une concurrence potentielle malheureuse (alors que manifestement le profil-type est rigoureusement le même: les ex-hommes et femmes d'Etat).
Enfin je ne saisis pas très bien où vous voyez un président et un premier ministre à la française: entre le Président et le Conseil européen? entre le Conseil européen et la Commission? Analogie pour analogie, demandez-vous plutôt si, à côté du président, du gouvernement et du parlement, vous trouveriez positif d'avoir un Conseil des présidents de région, présidé par un de leur prédécesseur et se croyant "en charge de l'essentiel", comme disait de Gaulle.
Rédigé par : François Brutsch | 02 avril 2005 à 16:48
Merci beaucoup pour tous ces commentaires, j'essaie d'y répondre :
1) le rôle du président du conseil européen est discuté. Je pense que le texte ne permet pas d'être certain des espoirs que je met en lui. Tout va dépendre des premières personnalités qui vont occuper cette fonction, de leur capacité à la fois de trouver un consensus et de l'imposer (en fait, de trouver une très grosse majorité et de convaincre les récalcitrants).
2) en revanche, il est certain que jamais une personnalité ne sera assez forte pour imposer seule son point de vue au conseil européen. Il est d'ailleurs absurde de réfléchir en termes politiques comme "libéraux" ou "social-démocrate", car il n'y a pas encore assez d'unité en Europe pour cela.
3) je pense que le parlement européen aura à coeur d'être critique (au sens noble du terme) envers l'action du conseil. Si le président du conseil vient rendre compte de son action, il y aura, le parlement saura l'imposer comme il l'a fait, une réaction du parlement, comme par exemple uen séance de question ou un tour de parole pour les différents groupes politiques. Le tout sous le regard de la presse. C'est le début de la responsabilité, surtout dans notre monde "transparent".
4) on peut également penser que le modèle de rotation est en perte de vitesse. Il va continuer à s'appliquer aux différents conseils, mais j'espère qu'il sera progressivement abandonné. C'est, à mon sens, la direction que prend la constitution européenne. (les lecteurs de mon propre blog savent que c'est pour moi ce qui est important).
5) pour moi, le communautaire et le fédéral ne sont pas du tout la même chose. Le propre du communautaire, justement, c'est d'être autre chose que le fédéral, et autre chose que l'intergouverneemental. Je m'expliquerai là dessus dans un billet spécifique.
6) pour François Brutsch, je vois un décalque du couple français président / premier ministre entre le conseil européen (et son président) et la commission (et son président). Je ne dis pas que c'est bien, je constate. Pour répondre à votre question, la France n'est pas un Etat fédéral, mais centralisé. Un conseil des régions serait certainement sympathique, mais personne ne lui donnerait de crédit !
Rédigé par : Paxatagore | 03 avril 2005 à 12:41
jai besoin de votre aide: voila je suis en 1ère année de deug de droit et j'ai un devoir à rendre en institutions européennes sur les apports de la constitution sur l'organisation et le fonctionnement des institutions! je n'arrive à trouver de plan ( je suis un peu perdu avec tous ces changements) alors si vous pouviez m'aider ce serait super sympa!!! merci davance!
Rédigé par : juriste | 09 mai 2005 à 17:42
@juriste: votre pseudo me semble manifestement un peu ambitieux pour le moment; et demander un plan aux gens sans leur donner le sujet précis frise le suicide scolaire.
Rédigé par : groM | 09 mai 2005 à 18:31