Le camarade Krysztoff pointait vers la tribune récemment publiée par Jean-Pierre Chevènement dans Le Figaro. Il n'est pas inutile de revenir dessus. L'article est en effet plutôt bon, pointe des sujets intéressants, nous montre un Chevènement étonnamment europhile, mais aussi, démontre une aptitude au rêve qu'on croyait sortie des habitudes de Jean-Pierre Chevènement, qui s'est souvent montré capable d'un relatif réalisme.
L'article est assez bon, et sans doute à même de convaincre des hésitants à passer le pas du non. Chevènement a du talent, connait assez bien l'Union Européenne, et il joue sur la corde sensible du républicanisme jacobin, chère à de nombreux français.
En outre, Chevènement parle de raison, sur l'objectif. Il dit en effet souhaiter construire "une Europe à plusieurs cercles, avec un coeur dynamique qui entraînera l'ensemble". Que celui qui n'est pas d'accord lève le doigt. Personne ?Très bien.
Là où il se trompe sans doute, et nous trompe, c'est dans la méthode, le chemin pour y arriver. Le chemin est-il ardu et complexe ? On peut imaginer que ce sera difficile, non, de construire cette fameuse Europe politique et sociale ?
Non, nous dit Chevènement, le chemin est simplissime : il suffit que la France dise non. Et ho, tout ira mieux dans le meilleur des mondes.
Une victoire du non en France permettrait de mettre sur la table les réformes nécessaires :
– révision des statuts de la Banque centrale avec l'objectif assigné de la croissance ;
– assouplissement non cosmétique du pacte de stabilité, autorisant notamment la déduction des dépenses de recherche du montant plafonné des déficits : ce serait le meilleur moyen pour l'Europe de relancer son économie sur des bases saines et de combler son retard scientifique et technologique sur les Etats-Unis et le Japon ;
– création d'un véritable gouvernement économique à douze, capable de décider à la majorité qualifiée d'une harmonisation fiscale et d'une convergence sociale progressive.
[...]
Nous irons naturellement vers ces «groupes pionniers» (notez le naturellement)
[...]
[La victoire du non] conduirait [le président de la République] à prendre appui sur la volonté populaire pour remettre à plat la construction européenne en provoquant la réunion de deux conférences parallèles, l'une à douze avec les pays membres de la zone euro, l'autre à vingt-cinq.
(quelle force, que de savoir ce que fera Jacques Chirac ! Et quel pouvoir, pour un président français, que de provoquer immédiatement, par la grâce d'un refus populaire, de telles réunions, et d'y imposer une volonté !)
[...]
[L'Europe] en définitive, en sortirait redressée et renforcée, comme à l'occasion de toutes les crises du passé. (comme à l'issue du non français à la Communauté européenne de défense, qui a enterré l'idée de défense européenne pour 30 ans ?)
Ecoutez bien le Che, par la grâce du Non Français, l'Europe prendra d'un coup d'un seul les réformes que souhaite Jean-Pierre Chevènement. Ces réformes qu'il souhaite, et que donc tous les français veulent, vu qu'ils l'ont élu président de la République. Ces réformes, qui n'ont pu passer en trois ans de convention réunissant des représentants variés et intelligents. Enfin, on dit non, et hop, nous voilà dans le rêve européen de Jean-Pierre.
D'un coup, d'un seul, avec le non, enfin, la France pourra construire le fameux groupe pionnier nécessaire. Le traité de Nice s'appliquera à l'Europe des 25, mais on s'en fiche, vu que la zone Euro pourra enfin faire l'approfondissement. Les 25 n'auront qu'à suivre, et tant pis si l'Union Européenne ne fonctionner pas très bien.
Non.
La question ne semble pas être sur l'objectif. J'ai l'impression que tout le monde, à gauche comme à droite (sauf pour les extrèmes) semble d'accord pour construire cette Europe en cercles concentriques. La question qui nous est posée est double :
- quelle est la première étape ?
- quel est le meilleur moyen de donner à la France un rôle clef dans le premier cercle ?
La première étape est bien, selon moi, de permettre à l'Europe des 25 de fonctionner correctement, plus démocratiquement, avec un rôle clarifié de l'Union, et un cadre législatif amélioré. Le traité le permet, nettement mieux que celui de Nice. Croire qu'on pourra créer une Europe des 12 solide, efficace, intégrée, alors que persisteront de lourds problèmles de fonctionnement pour les 25, c'est se fourrer le doigt dans l'oeil, et un déni de la réalité.
En outre, nier la porté historique de l'élargissement à 25, sa nécessité, son importance. Abandonner là avec mépris des pays qu'on vient d'intégrer, alors qu'on dit que l'Europe "juxtapose une trentaine de nations qu'il s'agit de solidariser et non d'effacer", c'est honteux. Où est la solidarisation des pays dans le non de M. Chevènement ? Où est l'Europe civilisation qu'il appelle ? Nulle part. Il la méprise totalement.
Ensuite, seulement quand nous aurons su caler des bases solides pour une Unions à 25, mettons-nous à l'approfondissement de ce "groupe pionnier", ce "premier cercle". Jean-Pierre Chevènement n'ignore pas que ce noyau dur sera difficile à constituer, ou alors, il est de mauvaise foi. Que l'avancement d'un tel groupe dépendra de la volonté de ses gouvernants, de leur implication, et de leur légitimité politique. Croire que, si la France dit non à un pas en avant vers une Europe des 25 qui fonctionne mieux, révélant ainsi une crise de sa volonté d'avancer dans l'Europe, elle pourra prendre les rènes d'une intégration avec onze pays qui auront, eux, dit oui*, c'est rêver à voix haute et se mentir à soi-même. La France aura rompu un pacte, celui d'une Union qui progresse. Elle aura certainement perdu ce leadership et cette crédibilité. Elle se retrouvera en doute, et suiveuse.
C'est le droit de chaque français que de dire non. Néanmoins, ce non n'est pas un avis, mais une décision qui engage notre avenir. Il faut prendre cette décision en fonction de ses conséquences, et pas uniquement en fonction de ce qu'on aurait rêvé que le texte soit. Il faut accepter la réalité, qui est celle de l'UE d'aujourd'hui, et se demander, en conscience, quel est le meilleur moyen de la faire progresser.
On critique souvent à juste titre des partisans du oui, en leur faisant dire que, si les Français votent non, ce serait l'apocalypse. Mais leur faire croire, que, si on vote non, leurs rêves deviendront réalité, c'est être profondément malhonnête. Ne vous laissez pas duper par ces sirènes !
(*) à l'exception possible des Pays-Bas.
Globalement d'accord avec toi sauf sur un point (essentiel, tu me diras) : la théorie des cercles concentriques.
Je suis contre s'il s'agit de fixer un coeur plus intégré sur tous les sujets qui laisseraient une périphérie avec toujours un temps de retard.
D'abord ça me semble aller contre l'idée même d'Union européenne, et comme tu le soulignes d'ailleurs, c'est faire la preuve d'un grand mépris envers les pays qui nous ont rejoint l'année dernière. Pour en avoir déjà parlé avec des amis polonais, cette rhétorique du "noyau dur" - perçue comme exclusivement française d'ailleurs - s'apparente un peu pour eux à la volonté de rétablir une sorte de rideau de fer soft. Même si je pense que ce n'est pas la volonté de ceux qui en parlent ici, je ne suis pas sûr que les Français soient très suivis sur le sujet pour cette raison.
Par ailleurs, Chevènement évoque la zone euro comme devant être ce noyau dur. Mais celle-ci va continuer à s'étendre au fur et à mesure, le passage à l'euro étant obligatoire sauf pour le Danemark et le Royaume-Uni. Elle ne restera donc pas à 12 membres très longtemps. La Slovénie et peut-être quelques autres nous auront certainement rejoint d'ici moins de dix ans. Ce qui me semble moins que le temps nécessaire pour repenser toute l'architecture de l'ensemble européen (ce qu'implique le projet de Chevènement, car les articulations entre le noyau dur et l'Union ne vont pas de soi sur un plan institutionnel... à moins de vouloir rétablir un processus purement intergouvernemental, ce que Chevènement doit penser très fort mais que je ne partage pas du tout). Et, en toute logique, un noyau dur irait "plus loin" dans l'intégration. Il ne pourrait pas remettre en cause les données du traité de l'Union des 25, juste proposer une plus forte intégration dans des domaines pour le moment encore nationaux.
Donc, plutôt que d'aller vers des cercles concentriques, je pense que l'outil coopérations renforcées sera beaucoup plus utile pour dynamiser l'intégration. D'abord parce que ce ne sont pas nécessairement les mêmes pays qui participent sur tous les sujets, ce qui diminue fortement le risque de sentiment de rideau de fer soft. Ensuite parce que ces coopérations prévoient de mettre les institutions communautaires au service de ces coopérations, qui ne resteront ainsi pas purement intergouvernementales et seront donc un meilleur moteur d'intégration (le but étant toujours pour moi d'y aller à 25 au final, et non à 12). Enfin parce qu'elle prévoit un nombre minime d'Etats, ce qui est à mon sens une garantie essentielle pour ne pas diluer l'ensemble.
Peut-être que ce qui a ma préférence avance moins vite, mais pour moi la cohésion de l'ensemble reste plus importante que l'approfondissement.
Sinon, il me semble effectivement illusoire de penser qu'un "non" aurait un effet d'entraînement sur des pays ayant dits "oui".
Rédigé par : Damien | 25 mars 2005 à 17:30
Tout à fait d'accord avec toi :
- le noyau dur, qui est aussi une idée allemande et belge, (wolfgang/shcaüble, fischer, etc...) va sans doute se tranformer en plusieurs groupes d'avancées sur des points communs (cf ma note scenarii du non :
http://publiusleuropeen.typepad.com/publius/2005/03/scenarii_du_non.html, le CER envisage un "messy core")
- il n'aura rien à voir avec la zone euro, qui a voction à s'étendre
Chevènement fait croire à un sentiment européen, mais, de fait, ce qu'il souhaite, c'est surtout de la petite coopération internationale.
Rédigé par : versac | 25 mars 2005 à 19:52
D'un autre côté, avec le TCE, un certain nombre des réformes proposées (par exemple les statuts de la Banque Centrale) ne seraient plus possibles.
Le Che n'est peut être pas "réaliste", mais il fait partie de ceux qui proposent des alternatives (criticables, certes) comme chez de nombreux partisans du Non. Ces propositions incluent entre autres la banque centrale, mais aussi la défense, la révision possible de la constitution, etc.
Mon souhait, si le "Non" l'emportait, c'est qu'un autre texte soit écrit, sur la base de ces propositions, par des représentant de la société civile de tous les pays européens.
Un tel texte pourrait alors être soumis aux gouvernements et aux institutions européennes.
Je ne sais pas si c'est "réaliste" mais justement, l'argument du "Oui" qui consiste à dire, "soyons réaliste, il faut bien avancer, ce qui a dans le texte est déjà pas mal", je commence à le trouver usé.
Rédigé par : M | 25 mars 2005 à 20:32
Une réponse au Che bete et méchante, si la France dit non, je demande aux 24 autres pays dont je fais parti qu'ils imposent à la France de sortir de lUE ainsi que de la zone Euro, c'est possible. Car la France faut-il le rappeler c'est 10 à 12 % de la population de l'UE et 50 % des emmerdeurs.
L'UE ne s'en porterai peut-être pas plus mal !
Rédigé par : ercole | 25 mars 2005 à 20:46
La supercherie est plutot de faire croire qu'il sera possible de fonctionner a 25 alors que tous le monde sens bien que ce n'est qu'illusion avec ou sans constitution, sans compter la monstrueuse entree de la turquie (mais la on abandonne l'idee europe donc que cela fonctionne ou pas, n'a plus d'importance).
le non-dit devient ridicule : autant arreter les frais et faire une europe coherente avec l'euroland, qui seule a un espoir de fonctionner.
Rédigé par : fredouil | 26 mars 2005 à 01:54
Depuis deux ou trois jours je remarque que JP Chevènement a eu droit à deux longs articles dans le Figaro, un dans Libé où il est dit "qu'il reçoit beaucoup de coups de téléphone", et last but not least, deux vrais articles dans Publius. Je remarque aussi que demain c'est Pâques. Le Général de Gaulle, dit-on, se serait pris pour Jeanne d'Arc. Et JPC?
Rédigé par : Claude | 26 mars 2005 à 12:04
Il commence, très sérieusement à en y en avoir assez des ouiouistes qui ne sont capables de voir dans les opposants (apparement, ils n'avaient pas imaginé qu'il put y avoir des opposants) à leur texte comme des imbéciles, de rétrogrades, des racistes, des nationalites, des "connards" comme l'a élégament déclaré le Pdt Chirac, et j'en passe.
Ce qui se passe est au contraire bien intéressant: ce texte a été conçu pour être illisible et l'on voit que les partisans du NON, en citoyens responsables, l'ont lu et savent le démonter, quand le matraquage de la propagande tend à réduire le "débat" à "je suis pour l'Europe, je vote oui, sinon je vote Lepen". La vieille ficelle, inventée par feu le président Miterrand, a fait son temps.
Le 29 mais au soir (anniversaire de la prise de Constantinople par les Turcs) pourrait au contraire être un désaveu de la classe politico-médiatique qui pourrait amener un renouveau de la politique.
Quant à la tour de babel européenne, elle continuera cahin-caha son chemin vers son effondrement programmé.
Rédigé par : Claude 2 | 28 mars 2005 à 11:34
Les partisans du "oui" sont donc des citoyens irresponsables qui n'ont pas lu la constitution, pire puisque ce texte est illisible s'ils l'ont lu, ils n'ont pas été capables, eux, de la comprendre.
Bravo vous venez de faire la même chose que Chirac, vous venez de faire la même chose que ce que vous veniez de dénoncer.
Rédigé par : Starkadr | 28 mars 2005 à 13:54