L'un des effets intéressants de la campagne référendaire est que toute décision au niveau européen est saisie par un camp (en général, mais pas toujours, celui du "non") pour étayer sa position. Même, et surtout, quand la décision n'a que peu à voir avec le texte. C'était le cas avec la décision d'ouvrir les négociations d'adhésion avec la Turquie en octobre 2005 ou avec la directive Bolkestein.
Le même phénomène se reproduit aujourd'hui avec l'adoption, la semaine dernière, de la position commune du Conseil à propos de la "proposition de directive concernant la brevabilité des inventions mises en oeuvre par ordinateur", plus connue sous le nom de directive sur les brevets logiciels. Les "non" y voient une raison de plus de voter contre cette Europe vendue aux lobbies industriels (ici, Microsoft qui cherche à étrangler le logiciel libre). Les "oui" rétorquent que la Constitution donnera plus de pouvoir au Parlement -dont les positions sont plus proches de celles des partisans du logiciel libre-, et donc que cette décision rend d'autant plus urgente l'adoption du traité.
Le moment est venu de dire la vérité vraie : la Constitution, quelle que soit ses qualités et ses défauts par ailleurs, ne changerait absolument rien aux termes du débat actuel.
Les partisans du "oui" ont certes raison de dire que le traité constitutionnel renforcera les pouvoirs du Parlement européen. En particulier, la procédure de codécision s'appliquera à la quasi-intégralité des domaines dans lesquelles l'Union a une compétence législative. Contre environ les 3/4 aujourd'hui. Ce qui fait, je suppose, une belle jambe à tout ceux qui n'ont qu'une vague idée de ce qu'est exactement la procédure de codécision, et en quoi elle se différencie des autres procédures d'adoption des textes européens.
Un petit rappel juridique est donc nécessaire ici. Les actes législatifs européens (règlements et directives, désignés lois et lois-cadres dans le traité constitutionnel) sont adoptées, selon leur matière, selon 3 procédures principales :
- La procédure de consultation : comme son nom l'indique, le Parlement exprime un avis qui ne lie pas les autres institutions. Libre à la Commission qui a proposé le projet de modifier son texte en tenant compte des remarques des parlementaires. Ensuite, le dernier mot revient au Conseil (des ministres). Cette procédure s'applique dans les domaines dit "sensibles" comme la fiscalité, l'immigration ou l'agriculture.
- La procédure de l'avis conforme : elle s'applique pour un nombre réduit de domaines importants (statuts de la BCE, traités d'adhésion, par exemple). Le Conseil ne peut adopter un texte qu'après un vote favorable du Parlement à la majorité absolue des voix. Aucun amendement parlementaire n'est possible.
- La procédure de codécision : elle suppose un accord du Parlement et du Conseil (des ministres). En pratique, le texte proposé par la Comission est soumis à une navette entre Parlement et Conseil jusqu'à ce qu'un accord soit trouvé - le texte étant abandonné dans le cas où les positions sont irréconciliables (ce qui est rare). C'est la procédure "par défaut", qui couvre un très grand nombre de domaines économiques et sociaux.
L'augmentation du champ de la codécision dans le traité constitutionnel renforce donc clairement la position relative du Parlement européen au sein du triangle institutionnel européen. Mais la codécision est déjà la procédure qui s'applique pour la directive sur les brevets logiciels. L'adoption du traité constitutionnel ne changerait donc rien à l'affaire.
Un autre point de discussion est le "passage en force" du Conseil lors de l'adoption, le lundi 7 mars dernier, de la "position commune" sur la directive (j'engage vivement tout ceux qui ne sont pas encore familiarisés avec le déroulement de la procédure de codécision et avec le jargon eurocratique à consulter le schéma et le pas-à-pas sur le site de la Commission européenne. On en ressort véritablement plus intelligent et mieux informé). Il semble bien que le règlement intérieur ait été sérieusement malmené pour permettre un vote sans débat.
La constitution européenne aurait-elle empêché une telle manoeuvre? Tout indique que non. Le règlement intérieur du Conseil est adopté par les membres du Conseil lui-même (un peu comme le reglèment intérieur des assemblées en France) et ne figure pas dans les traités existants. De surcroît, s'il y a eu effectivement une violation des procédures, il me semble qu'il serait possible d'introduire un recours devant la Cour de justice de Luxembourg pour faire constater l'illégalité de la directive quand et si elle est adoptée. Je suis preneur d'avis plus éclairés que le mien sur ce point.
Reste enfin un dernier élément que met en évidence le débat actuel : la procédure de codécision, qui est censée être fondée sur le "principe de parité", est en fait légèrement défavorable au Parlement européen. Au moment de la seconde lecture, en effet, tout amendement doit être adopté à la majorité absolue des membres du parlement - et non, comme en première lecture à la majorité simple des députés présents en séance. Comme le texte en discussion est celui de la position commune du Conseil, cet obstacle renforce naturellement le Conseil par rapport au Parlement.
Là non plus, le traité constitutionnel ne changerait rien (article III-396, alinéa 7). Et c'est évidemment regrettable.
Bravo Emmanuel pour cette position courageuse et limpide. Voilà qui enlève un argument aux pro-constitution sans pour autant en enlever aux anti (pour reprendre "tes" propos, cela ne change rien au fait que la Commission soit vendue aux lobbies industriels).
Et bravo pour ce superbe schéma en couleur digne d'un grand cabinet de consultants (je sais de quoi je parle...) qui, s'il en était encore besoin, illustre à merveille le vieil adage : "un dessin vaut mieux qu'un long discours".
Rédigé par : Krysztoff | 16 mars 2005 à 21:40
Après cet exposé rigoureux et suffisamment complet pour n'y rien redire, peut-être pourrait-on simplement admettre que s'interroger sur le fonctionnement des instances de l'Union en 2005 n'est pas déraisonnable que cela.
La question en thème sur ce site devient alors, à mon avis, de se demander comment se rédigera la Constitution Européenne que nous annonce ce second traité de Rome ? Que sait-on de cela aujourd'hui ?
Rédigé par : Gus | 16 mars 2005 à 22:29
Concernant la violation (?) du réglement intérieur du Conseil, je suis également dans l'expectative. Il n'y a pas eu de violation des traités donc, a priori, pas de recours possible devant la CJCE. Mais il me semble qu'il y a quand même "mauvaise administration" selon le jargon consacré. J'ai donc posé la question au Médiateur européen la semaine dernière pour savoir ce qu'il en était du droit à ce sujet et s'il pouvait éventuellement demander au Conseil de s'expliquer sur ce point. Je suis actuellement dans l'attente d'une réponse. Si elle arrive, je vous en ferai part.
Rédigé par : Damien | 16 mars 2005 à 23:12
Krysztoff : il me semble en effet très excessif de dire que la Commission est vendue aux lobbies. D'après ce que je sais de l'affaire, les fabriquants de logiciels ont effectivement eu une influence disproportionnée concernant la directive sur les brevets. Mais Microsoft a aussi été condamnée par la DG Concurrence sur l'affaire WMP. Ce n'est pas simple. En plus, le vrai problème ici est l'attitude des gouvernements, qui sont passés en force au lieu de rechercher le compromis avec le PE.
Gus : pas compris votre question, désolé. De quoi parlez-vous, exactement?
Damien : excellente initiative. Je ne suis pas (comme dit dans la note) un spécialiste du sujet mais il ne me semble pas que le recours en annulation concerne seulement la violation des traités stricto sensu. Article 230 TUE :
"La Cour de justice contrôle la légalité des actes adoptés conjointement par le Parlement européen et le Conseil, des actes du Conseil, de la Commission et de la BCE, autres que les recommandations et les avis, et des actes du Parlement européen destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers.
A cet effet, la Cour est compétente pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du présent traité ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir, formés par un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission."
Rédigé par : Emmanuel | 16 mars 2005 à 23:57
Emmanuel: Je m'interrogeais notamment sur la nature juridique du texte nommé "Traité pour une Constitution Européenne" : est-ce une Constitution ou non ? Si non, que sait-on aujourd'hui sur la future Constitution Européenne à laquelle fait allusion l'intitulé "Pour une Constitution Européenne" ? Notamment, comment serait alors rédigée la Constitution Européenne et surtout, par qui ?
Rédigé par : Gus | 17 mars 2005 à 05:19
Gus : ce texte est un traité, dénommé constitution car il s'inspire de la logique de ces textes : un texte unique (au lieu d'une multitude de traités) où figurent les règles de fonctionnement des institutions, leur interaction et leur pouvoir de contrôle respectifs, les droits et principes fondamentaux, et les buts de l'entité ainsi créée (respectivement titres I, II et III).
Il n'annonce pas une constitution : il est une constitution, mais juridiquement, par la forme, il est un traité, et adopté comme tel. Il ne vise pas à mettre en place les institutions en vue d'adopter une constitution. Il se suffit à lui même. Même si au fond d'eux, certains dont je suis appellent de leurs voeux une vraie constitution, créant un État fédéral européen. Mais ce n'est pas pour tout de suite.
Rédigé par : Eolas | 17 mars 2005 à 08:57
Gus, Eolas: ce dont on pourrait rêver, c'est que le prochain "traité établissant une Constitution pour l'Europe" (je ne suis pas pour la politique du pire, donc plutôt la première modification de celui-ci que le traité qu'il faudrait péniblement tenter de renégocier si le "non" l'emporte, en France ou ailleurs) incorpore un mode de revision reposant sur les institutions de l'Union exclusivement et plus sur les Etats qui la constituent; mais c'est un important abandon de souveraineté qu'il leur faudrait consentir...
Cf. http://blog-notes.blogspot.com/2004/10/un-nouveau-trait-de-rome.html
Rédigé par : François Brutsch | 17 mars 2005 à 11:30
Emmanuel : c'est effectivement possible qu'il y ait quelque chose à redire, c'est pourquoi j'ai posé la question au Médiateur qui, lui, est plus au fait de ce qui est possible ou non sur le sujet. J'ai d'ailleurs reçu aujourd'hui une lettre par la Poste m'indiquant que ma plainte avait été enregistrée. Son examen est maintenant en cours. A suivre.
Rédigé par : Damien | 17 mars 2005 à 15:45
Eolas : Je transmettrai votre réponse à ceux des militants Verts qui ont entendu certains de leurs chefs de file dire, voire écrire tout autre chose.
C'est quand même un peu ennuyeux de soutenir un texte sans connaître exactement sa portée juridique, vous ne trouvez pas ? Ce qui est sûr, c'est que quelqu'un se trompe : on ne sait juste pas réellement qui.
Rédigé par : Gus | 17 mars 2005 à 18:21
Gus : la portée du texte est claire, il suffit de le lire. C'est une refonte du fonctionnement de l'UE (pas une révolution, une amélioration de l'existant), les textes épars sur plusieurs traités (Rome, Acte Unique, Maastricht, Amsterdam et Nice) refondus en un texte unique (titre III). Une fois ce traité adopté, il remplacera tous les autres.
Il est tout aussi certain que juridiquement ce n'est pas une Constitution, car il ne crée pas un Etat.
Rédigé par : Eolas | 17 mars 2005 à 18:55
Sur la question : quelle est la portée de ce texte ? La réponse est claire : il est obligatoire.
Si la question est : où se situe-t-il dans la hiérarchie des normes ? La réponse est claire aussi : tout en haut. Il le dit lui-même et c'était la même chose pour les traités.
On peut spéculer longuement sur la distinction traité / constitution. Je ne suis pas d'accord avec Eolas quand il dit "que juridiquement ce n'est pas une Constitution" parce que je pense que "constitution" est un terme juridique purement formel (cf. mes nombreuses prises de position sur Publius et mon propre blog, je réponds par mail à qui veut poursuivre encore une fois la discussion sur ce point). Cette discussion n'a pas d'autre portée que symbolique.
Enfin, la CJCE (aujourd'hui) - CJUE (demain ?) est compétente pour assurer le respect de l'ensemble du droit européen, et pas uniquement des traités.
Rédigé par : Paxatagore | 17 mars 2005 à 19:04
Une question , quelle différence entre la majorité simple et la majorité absolue ?
merci et bravo à tous, c'est trés interessant
Rédigé par : Ercole | 17 mars 2005 à 21:35
Ercole : la majorité simple signifie la majorité des députés présents dans l'hémicycle au moment du vote, alors que la majorité absolue désigne 50%+1 du nombre total des députés, qu'ils soient ou non présents.
Par exemple : si 500 députés sont présents, la majorité simple est de 251, alors que la majorité absolue reste elle de 731/2+1, ce qui doit faire 366.
Rédigé par : Damien | 18 mars 2005 à 00:37
Eolas: je partage tout à fait votre analyse. La question est alors de savoir ce que ce "second traité de Rome" (comme le nomme Wikipedia) se parant des habits d'une Constitution pour des raisons que je renonce à comprendre fonde.
A partir de là, le fait que l'Article I-16, qui donne l'exclusivité de l'initiative législative à la Commission Européenne n'est-il relativement inédit en droit public ?
Pourriez-vous citer un (autre) exemple de texte de droit public dans lequel l'initiative législative ne revient en aucun cas à des représentants des citoyens ?
Rédigé par : Gus | 18 mars 2005 à 07:17
L'exclusivité de l'initiative législative de la commission existe depuis 1957. Ce n'est donc pas du tout une nouveauté.
C'est à ma connaissance le seul cas aussi flagrant. Néanmoins, on peut comparer avec la situation en France, où si les parlementaires ont le droit de proposer des lois, le gouvernement dispose d'un panel très importants de mesures pour faire passer ses projets d'abord.
En théorie, l'exclusivité dont jouit la commission est censée garantir l'intérêt communautaire. En pratique, cela se justifie de moins en moins depuis que le Parlement est élu et qu'il a des pouvoirs importants. A mon avis, c'est le genre de disposition qu'il faudra combattre prochainement. Les Etats y seront hostiles car ils ne pourront pas tout contrôler. Il ne faut pas oublier que le principal obstacle de la démocratisation de l'Union européenne, ce sont les Etats. Comme je le disais, le Luxembourg, voilà l'ennemi :-) !
Rédigé par : Paxatagore | 18 mars 2005 à 09:37
Pataxagore: pensez-vous plus simple de réviser l'attribution exclusive de l'initiative avant ou après la ratification du TCE, ou, plus précisement, avant ou après la qualification de "constitution" du texte définissant cette règle ?
NB : Je pense que l'actualité (par exemple, une certaine directive B.) donne au moins à certains états (par exemple, la F.) la preuve du fait qu'ils ne contrôlent plus grand chose au sein de l'Union Européenne, surtout avec l'extension du champs de la majorité qualifiée, comme le montre assez bien l'article ici commenté.
Rédigé par : Gus | 21 mars 2005 à 17:32
Bravo pour l'intéret de ce site et celui des discussions qui y apparaissent.Je suis passionné.Mais je dis à cetains "attention!" ne pas se perdre en de vaines discussions et laisser de côté l'essentiel... ainsi en est-il de l'interrogation sur le "Est-ce un traité ?...sous entendu pour écrire une constitution,ou est-ce une constitution? Devant l'importance de l'affaire , il ne faut pas se perdre dans l'accessoire. Il suffit de lire tout le texte pour constater que c'est bien une Constitution.
Rédigé par : GOXE | 06 avril 2005 à 15:29
Mais là encore, l'argument sous jacent c'est que puisqu'il s'agit d'une constitution alors elle sera plus difficelement modifiable que le traité de Nice. Ce qui est il me semble (si j'ai bien lu les modalités de révision :) ) faux.
Rédigé par : Starkadr | 06 avril 2005 à 16:50
EXCLUSIF !
DECOUVREZ LE NOUVEAU FILM DE CAMPAGNE DES TENORS DU OUI
> http://www.network54.com/Realm/constitution_europeenne/chirac1.gif
Rédigé par : solana | 05 mai 2005 à 23:00
C'est bien de coller ce commentaire dans ce vieux thread, où il est très adapté: le "gif" s'affiche sans problème sur IE, mais la page reste vide sur FireFox.
C'est un site de Nonistes anti-"logiciel libre" ?
Rédigé par : Bladsurb | 05 mai 2005 à 23:36
Hihi, les grans esprits se rencontrent. j'ai posté le même pb sur Mac/safari.
Mais bon ce sont des R3b3lz qui luttent courageusement contre le capitalisme mondial (sur leur mega tour tunisé qui vient de chez le chinois du coin, mais XP il est piraté- c'est bien la preuve que je lutte, hein- et que ces salauds de free ils n'assurent que du 15M au lieu du 20M promis que je vais leur envoyer un recommandé même que) . On va pas se moquer facilement : Non à la concurrence libre et non faussée. Vive Microsfoft.
Ca m'éclate bien, quand même.
Rédigé par : Eviv Bulgroz | 05 mai 2005 à 23:45
merci à mes amis ouistitis bêtas testeurs...
Pourtant sur mon Mac ça marche (désolé Eviv)...
Et j'ai essayé sur FireFox (avec XP) ; cela fonctionne également...
Encore de la désinformation oui-ouiste sans doute...
>>> http://www.network54.com/Realm/constitution_europeenne/chirac1.gif
Rédigé par : solana | 08 mai 2005 à 10:23
J'ai un pb :-))))
Rédigé par : Eviv Bulgroz | 08 mai 2005 à 10:34