Il était écrit que je commettrai une erreur
factuelle dans mon premier compte rendu, pressé que j'étais de terminer la note
avant que la séance nocturne ne commence. J'ai dit, en effet, que la séance de
mardi soir avait été consacrée à l'examen de la trilogie des motions de
procédure. Rien n'est plus faux, et le détail a son importance.
Pour les non-initiés aux charmes
de la procédure parlementaire, je précise qu'il est possible d'attaquer un
texte de loi, avant sa discussion article par article, sur trois fondements
différents : il est inconstitutionnel (exception d'irrecevabilité), il n'a pas le
moindre intérêt législatif (question préalable) ou l'examen en commission a été
insuffisant (renvoi en commission). Un vote positif sur l'une des deux premières
motions signe la mort du texte; si la troisième est approuvée, on revient à la case départ de la procédure législative, et plusieurs semaines sont perdues. Elles
ne sont jamais adoptées, mais elles permettent à leurs défendeurs (en général des députés de l'opposition) de briller, seul à
la tribune, pendant une heure et demi au maximum.
Rétablissons maintenant les faits
tels qu'ils se sont passés : mardi après-midi, le député communiste Jacques Brunhes a (longuement) soutenu l'exception d'irrecevabilité, dont on voit mal, au demeurant, en quoi elle pourrait s'appliquer à un texte révisant la Constitution. Le soir, le député souverainiste Jacques Myard
a (longuement) défendu la question préalable. Les deux motions n'ont évidemment pas été
adoptées. Puis s'est engagée le début de la discussion générale, qui consiste à
envoyer, à la chaîne, des députés à la tribune pour exprimer leurs vues sur le
texte. Cette discussion s'est poursuivie pendant l'interminable séance de
mercredi après-midi, ainsi que je l'ai raconté dans la note précédente. Et hier
soir, la séance nocturne a débuté par un (très très) long plaidoyer de Nicolas
Dupont-Aignan -au autre souverainiste- en faveur du renvoi en commission.
La dangerosité et la malhonnêteté de la plupart des arguments des souverainistes sont indéniables (voir Versac sur ce
point), mais il faut avouer que le discours avait un souffle indéniable, au
point que l'orateur a manqué, emporté par son emphase, d'en perdre le sien. Le
député de l'Essonne s'était en effet lancé dans un tirade gaulienne assez impressionante, avec les références obligées au Grand Charles, aux Rois qui ont fait la France, à la souveraineté
nationale qui part en lambeaux et à la grandeur d'un pays condamné, faute d'un sursaut salutaire, à n'être
qu'une sous-région d'un vaste ensemble gouverné par une technocratie froide,
lointaine et irresponsable. Le tout avec un talent indéniable, fût-il au service
d'un discours aux relents franchement complotistes.
Ce qui était cocasse dans cette
histoire était de voir Dupont-Aignant s'attirer tout à la fois l'ire des
députés UMP et la sympathie bienveillante d'Arnaud Montebourg, qui exhortait
l'orateur à ne pas se laisser troubler par les interruptions de ses collègues de la majorité. Il
faut dire que le chantre du souverainisme avait mérité et l'une et l'autre. Les
effets rhétoriques étaient parfois si outranciers qu'il était impossible de les
laisser passer. Et la provocation du député de l'Essonne franchissait régulièrement les limites en vigueur dans l'hémicyle, particulièrement avec un "Chacun sait que
lorsque l'on se marie, on se soucie plus du conjoint que du code civil. Or, le
conjoint est turc." qui déclenchait un légitime chahut sur les bancs de la majorité. Et, pourtant, au milieu des excès de la harangue, affleuraient aussi,
parfois, des arguments factuels qui méritaient mieux que le mépris hautain des
partisans du traité.
Malgré l'abattage de l'orateur, cette proposition a pourtant fini comme
finissent toutes les motions de procédure : par un rejet franc et massif des
députés, après des répliques un brin agacées du président de la commission et
du ministre affectés au texte (ici, Pascal Clément et Dominique Perben). Il ne
s'était en effet trouvé que deux parlementaires pour voter la motion :
Dupont-Aignan lui-même et son confrère en souverainisme, le pilier de Radio
Courtoisie Jacques Myard, qui avait décidé hier de battre des records de
mauvais goût vestimentaire, en assortissant un complet vert olive, une cravate
rose et une chemise bicolore, bleu ciel à col blanc.
Il était déjà onze heures passées. L'examen des articles du texte allait enfin
commencer. Du moins le croyais-je naïvement. Car une révision constitutionnelle
perdrait de son charme si elle n'était pas l'occasion, pour les députés,
de tenter de "prendre le train en marche", en insérant dans la Constitution
des modifications qui leur tiennent à coeur, même si elles n'ont qu'un rapport
très lointain avec l'objet du texte initial. Et les parlementaires y sont
d’autant plus encouragés qu’une telle tentative de détournement a déjà réussi
une fois, à l'occasion de la révision de 1992 préalable à la ratification du
traité de Maastricht. A l'époque, des sénateurs et députés étaient parvenus à
faire ajouter à l'article 2 du texte constitutionnel la mention parfaitement
superfétatoire que "la langue de la République est le français".
Une bonne partie de la suite de
la séance de mercredi a donc été consacrée à l'examen d'amendements concordants
du PS, de l'UDF et d'un député UMP solitaire visant à faciliter la ratification
de la Charte des langues régionales, qui avait suscité des débats passionnés au
moment de sa signature. Comme il fallait s'y attendre, compte tenu du veto
catégorique et conjoint du Garde des Sceaux et du président de la commission
des Lois, tous les amendements ont été un à un repoussés. Non sans dommage,
d'ailleurs, les échanges entre Perben et Clément, d'une part, Bayrou de
l'autre, révélant que la brouille entre l'UMP et l'UDF s'était transformé en guerre ouverte, où une attaque frontale contre le Président Chirac répondait à une vicieuse accusation d'anti-patriotisme.
Une suspension de séance n'était
pas de trop pour calmer tout le monde. Il était minuit cinq. Les calendriers
affichés de part et d'autre de la tribune pouvaient s'obstiner à indiquer que
l'on était encore le mercredi 26 novembre, une certaine lassitude commençait à
être perceptible. Sauf chez Arnaud Montebourg qui ouvrait à nouveau les
hostilités dès la reprise des débats, en défendant des amendements qui
faisaient peu pour adapter le texte constitutionnel au traité européen, mais
plus pour préparer l'avènement de la VIe République et beaucoup pour démontrer le brio de leur avocat. Il faut bien le
reconnaître, les échanges subséquents entre le député de Saône-et-Loire, le président Clément et le
député UDF Hervé Morin étaient un régal pour l'amateur de droit
constitutionnel.
Mais les débats sur les articles, en particulier sur le référendum obligatoire et sur l'étendue du contrôle parlementaire sur les actes européens, en étaient retardés d'autant. Et l'observateur, soucieux de ne pas manquer le dernier métro, s'en est allé à regrets au milieu d'un dialogue passionnant sur l'usage immodéré des ordonnances pour transposer des directives. La séance avait été mémorable. Même si l'on avait, en fin de compte, bien peu débattu du texte de la loi constitutionnelle. Ce sera pour aujourd'hui. Normalement.
Vous n'auriez pas du parler du Métro. La secte des publii se déplace nécessairement en taxi, sur les frais généraux (sauf Eolas, dont le vélo est pris en charge sur une ligne budgétaire spéciale, à la suite d'un compromis dit "de Barcelone" - à Publius aussi on applique la méthode communautaire).
Rédigé par : Paxatagore | 28 janvier 2005 à 09:51
C'est vrai vous cassez le mythe!
Bravo en tout cas.
Petite correction, Montebourg n'est pas député de la Niévre mais de Saône et Loire.
Rédigé par : socdem | 28 janvier 2005 à 10:39
Paxa : il fallait bien casser un peu l'image élitiste que donne le reste de la note...
Socdem : c'est corrigé. Evidemment, j'ai confondu avec Mitterrand. Lapsus révélateur.
Rédigé par : Emmanuel | 28 janvier 2005 à 17:19