Le débat sur le
"traité établissant une Constitution pour l'Europe" repose sur un
vrai malentendu. Les partisans de la ratification mettent en avant le
caractère constitutionnel du traité : un texte unique remplace trois
traités antérieurs, la séparation en piliers est abolie et la référence aux citoyens européens apparaît de façon significative avant celle aux Etats dans l'article I-1 ("Inspirée par la volonté des citoyens et des États d'Europe..."). Sur le fond, les parties 1 (valeurs,
objectifs, dispositions institutionnelles), 2 (déclaration de droits
fondamentaux) et 4 (disposions relatives à l'entrée en vigueur du texte et à la
révision) rapprochent le texte d'une
constitution nationale classique. (sur ce point, voir aussi une récente et excellente note de mon camarade Paxatagore)
Les adversaires ont beau jeu de rétorquer en notant que le traité
constitutionnel garde nombre de caractéristique d'un traité inter-étatique. La procédure de ratification et de révision se base toujours sur
l'unanimité des membres de l'Union. La très longue partie 3 détaille les
domaines de compétence de l'Union et les procédures juridiques qui leur sont
applicables. Cette partie ne fait certes que reprendre, avec quelques
clarifications, les dispositions présentes dans les traités antérieurs. Mais
elle serait incongrue dans une constitution nationale. C'est aussi le cas des
503 pages de protocoles, annexes (pdf n°1) et déclarations (pdf n°2) adossées au texte de la Constitution.
La présence de
textes additionnels destinés à clarifier l'application du texte principal, à
préciser des dispositions uniquement valables pour certains pays ou à fixer des
procédures juridiques et des données chiffrées (nombre de députés par pays, par
exemple), n'est certainement pas une nouveauté. Le traité de Maastricht
comprenait 17 protocoles et 33 déclarations, en plus d'un accord sur la
politique sociale. Le traité d'Amsterdam est complété par une annexe, 13
protocoles et 59 déclarations. A cette aune, les deux annexes, 36 protocoles et
50 déclarations du traité établissant une constitution pour l'Europe
n'apparaissent pas exceptionnels, surtout si l'on prend en compte le fait qu'il
consolide les dispositions des traités précédents.
Ce foisonnement normatif, à bien des égards inévitable, pose cependant des problèmes sérieux pour les partisans du oui. D'abord, ils s'exposent à une critique facile mais puissante sur la longueur du texte soumis au vote, reflet d'une manie du détail toute technocratique et peu adaptée à une constitution. L'argument porte en France, où personne n'a oublié qu'une constitution doit être "courte et obscure", et que le texte européen, s'il se défend sur le second point, faillit lamentablement sur le premier. Il est encore plus dévastateur au Royaume-Uni : le pro-européen ministre des affaires étrangères Jack Straw écrivait en 2002 qu'un des critères de qualité d'une constitution européenne serait qu'elle puisse "tenir dans la poche", à l'instar de la Constitution américaine et de la Charte des Nations Unies.
Une réponse évidente à cet argument est que toutes les pages du texte ne sont pas égales. La véritable constitution se trouverait ainsi dans la partie 1 et dans la partie 4. Eventuellement dans la partie 2, selon qu'on le croit que la Charte des droit fondamentaux est une avancée réelle ou un "hochet" donné à la gauche européenne. La partie 3 et surtout les textes annexés font certes partie de l'ensemble du texte mais ils vont trop loin dans le détail pour être considérés comme étant à portée constitutionnelle. Cette argumentation se tient : difficile en effet d'affirmer que l'annexe I, qui précise par exemple que les "Boyaux, vessies et estomacs d’animaux, entiers ou en morceaux, autres que ceux de poissons" entrent dans le champ de la Politique Agricole Commune, puisse avoir la même valeur que l'article I-3 qui proclame solennellement les "objectifs de l'Union".
Le seul problème est qu'elle juridiquement fausse. L'article IV-442 ne laisse aucun doute sur la question : "Les protocoles et annexes du présent traité en font partie intégrante." Autrement dit, les procédures de révision applicables au traité constitutionnel valent aussi également pour les protocoles et annexes. [Je note que les déclarations ne sont pas mentionnées et je demande humblement l'éclaircissement d'un juriste sur ce point] Dans une constitution nationale, la grande majorité de ce qui est contenu ici dans les textes annexés aurait relevé de lois organiques, qui ont un statut supérieur aux lois mais sont plus facilement révisable que le texte constitutionnel lui-même. La Convention s'était d'ailleurs interrogée sur la possibilité de faire passer certaines dispositions de traités antérieurs à un rang de loi organique, avant de reculer devant l'ampleur de la tâche.
Tout cela est problématique. D'une part, parce que la présence de matières triviales abaisse la valeur des dispositions qui peuvent réelement être qualifiées de constitutionnelles.D'autre part, parce que les protocoles permettent de consolider le statut juridique de dispositions comme les critères 3%-60% du pacte de stabilité et de croissance, dont tout le monde sait qu'ils sont déjà caducs, en plus d'être assez stupides. On me dira qu'il n'y a là aucune différence avec les traités antérieurs. C'est exact, mais le symbole est important, surtout si l'on continue à présenter ce texte comme radicalement différent des traités précédents.
Les partisans du oui sont donc confrontés à un choix peu agréable : soit continuer à présenter le traité comme une constitution, au risque de s'exposer à des répliques assassines mentionnant tous les articles qui n'ont décidement rien de constitutionnel; soit se résoudre à présenter le texte pour ce qu'il est, un traité original et exceptionnel, mais un traité néanmoins. La deuxième solution me semble la meilleure. Mais elle suppose d'accepter que le texte en discussion est imparfait, que le lyrisme autour du texte signé à Rome est exagéré et que la politique est d'abord le choix entre des solutions par essence insatisfaisantes.
Que dire ? Tu dis toute la difficulté de ce sujet. Je suis un partisan à moitié résigné du oui. Je crois qu'on aurait pu passer outre les boyaux d'animaux pour n'obtenir qu'un texte non pas obscur mais relativement simple (même si, ne nous faisons pas d'illusions, l'échange de 25 cultures ne produit que rarement des textes limpides), donnant effectivement un cadre d'action encadré par des règles générales.
Ce traité est lourd, redondant, pinailleur par certains aspects, et il est parfois difficile d'en sortir la logique effective (ce qui amène à ds interprétations parfois contraires, sans mauvaise foi).
Mais ce traité est le reflet de l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui. Complexe, entre plusieurs tensions. Il a l'immense mérite de représenter le compromis acceptable à date. Ce n'est pas l'oeuvre d'un homme providentiel qui l'a rédigée dans son coin, mais d'Etats et de représentants qui l'ont négociée pendant deux ans.
On est loin d'un rêve. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui font croire à une avancée historique, un grand pas en avant, et aux lendemains qui chantent. Je crois que ce traité a le mérite de rationaliser un peu l'ancien, d'offrir des améliorations sur de nombreux points, et d'avoir, magré tout, une cohérence d'ensemble.
Rédigé par : versac | 25 novembre 2004 à 21:24
en votant oui d'une certaine façon on accepte par referendum le pacte de stabilité et de croissance.
Je suis désolé c'est d'une portée que je me refuse a faire. Ce genre de choses doivent sortir du texte constitutionnel.
Vous pensez vraiment qu'il serait impossible pour la france d'obtenir simplement la dissociation de la partie I et II de la partie 3 + protocoles ?
Moi honnétement je pense qu'il est possible d'y parvenir et je ne suis donc pas du tout sensible à l'argument du chaos en cas de non.
Rédigé par : prevalli | 26 novembre 2004 à 13:59
Je pense aussi que ça serait probablement faisable. Mais je pense pas que ça serait ça qu'on lirait dans un non. C'est un problème (et une force du non) : sa non-lisibilité. Le non peut vouloir dire non à la constitutionnalisation du pacte de stabilié, non au pacte de stabilité, non à tel ou tel aspect, non au non-progrès social, non à une constitution pour l'Europe, non à une Europe communautaire, non à l'Europe des nations, non à l'Europe tout court, non au gouvernement, etc. Si le non l'emporte, quelle lecture en feront les gouvernants ?
Rédigé par : Paxatagore | 26 novembre 2004 à 15:07
Ca n'est pas forcément impossible pour la France, mais la France n'en veut pas. Ce sont les français qui ont exigé cette troisième partie, pour pouvoir y fourguer l'exception culturelle et la politique agricole commune. Le reste traduit la nécessité du compromis : dès lors qu'on intègre ces stupidités-là, pourquoi pas les autres?
Rédigé par : alexandre delaigue | 26 novembre 2004 à 15:20
je corrige c'est le gouvernement Chirac qui l'a voulu !
Ce qu'il faut c'est etre clair apres le resultat du referendum PS sur ce que l'on veut. la campagne nationale n'a pas commencé a ce moment la les partisans du non au PS peuvent preciser leur exigences pour le oui. Et cela ne laisserait pas le seul non aux souverainistes.
Ce qui ferait que si le non l'emporte au national il serait alors interprété comme un non anti européen. Ce qui ne sera pas le cas.
Rédigé par : prevalli | 26 novembre 2004 à 15:38
au sein du ps ce sont plutot les partisans du non qui présentent ce texte comme une constitution.
Pour moi c'est un traité avec des aspects constitutionnels, c'est un chemin vers la constitution.
Rédigé par : socdem | 26 novembre 2004 à 17:02
juste pour info, et pour enfin comprendre quelquechose à ce traité truc.
Bon le compromis, okay. UN texte hybride qui ne rentre pas dans une catégorie okay.
Mais ce que j'ai compris : c'est un traité qui aura valeur de constitution quand il sera ratifié par 4/5 des ETats membres.
Si on vote oui, on part dans l'objectif de Constitutionnalisé ce texte, non ?
A moins que je me gourre complètement . ...
Rédigé par : JR | 20 mai 2005 à 17:41
"Mais ce que j'ai compris : c'est un traité qui aura valeur de constitution quand il sera ratifié par 4/5 des ETats membres."
Non, non. Le traité entrera en vigueur quand il aura été ratifié par tous les Etats. Les 4/5e de ratification implique juste que le Conseil se "saisit de la question", à priori pour trouver une solution pour sauver le texte. (voir la note de Versac sur les différents scénarios possible).
"Si on vote oui, on part dans l'objectif de Constitutionnalisé ce texte, non ?"
Ca depend ce qu'on entend par "constitutionnaliser". Symboliquement, ce texte s'appellera bien "constitution". Juridiquement, il restera un traité avec exactement la même valeur juridique que les traités précédents qu'il remplacera.
Rédigé par : Emmanuel | 20 mai 2005 à 17:54