La décision du conseil constitutionnel sur la constitution européenne, avec dix jours d'avance sur le calendrier prévu, est tombée ce soir.
Rappel du contexte : avant toute ratification d'un traité, le président de la République peut demander au Conseil constitutionnel de vérifier si ce traité est conforme à la Constitution (française, donc) (art. 54 de la constitution). Le président de la République a saisi le conseil le 29 octobre.
Il aurait été très étonnant que le conseil n'estime pas nécessaire une révision de la Constitution, vu la portée du traité. Le verdict du Conseil n'est donc absolument pas une surprise. Ce qui est intéressant, ce sont donc les motivations de la décision et les points "où ça coince", selon le "CC".
- premier point. Le conseil estime que la primauté du droit
communautaire sur le droit national, affirmée par la constitution
européenne, n'est pas un problème, puisque la dénomination du traité
("traité établissant une constitution pour l'Europe") "est sans
incidence sur l'existence de la
Constitution française et sa place au sommet de l'ordre juridique
interne". La dénomination, certes, n'a pas d'incidence, mais le traité
prévoit explicitement que le droit de l'Union est supérieur au droit
national !!! Le raisonnement du conseil semble être le suivant, et se
tient après tout : avant, le droit communautaire était déjà supérieur
au droit français (sauf la Constitution), rien n'a changé.
Si
ce n'est qu'à mon avis, la Constitution française ne prime pas le droit
européen, mais c'est un très vaste débat, entre internationaliste,
publicitstes et européanistes.
- second point. La charte des
droits fondamentaux (la deuxième partie du traité) n'est pas contraire
à la Constitution. Rien de bien exceptionnel, on s'en doutait.
- troisième point.
Les politiques. C'est là que ça commence à coincer. Selon le Conseil
constitutionnel, il y a certaines questions qui relèvent de la
souveraineté nationale et qui ne peuvent donc être transmises à
l'Europe sans réviser la Constitution (le contrôle aux frontières, la
coopération judiciaire, l'éventuel parquet européen), mais de façon
plus générale toutes les compétences déjà exercées par l'Union pour
lesquels il y a un changement dans les règles de majorité. Pose
également problème le fait que certaines compétences pourront voir
leurs règles de majorité changer, ainsi que la procédure de révision
simplifiée du traité (notamment parce que le Parlement français devrait
pouvoir s'y opposer, selon le Traité, alors que cette procédure
n'existe pas en droit constitutionnel français - mais ça, c'est la
faute au conseil constitutionnel qui croit que la constitution
française est supérieure à la constitution européenne).
Bref, une décision en demi-teinte qui risque de ne satisfaire personne :
-
les partisans du non-de-droite estimeront que le conseil
constitutionnel ne va pas assez loin dans ses critiques alors qu'on
brade la souveraineté nationale ;
- les partisans du oui estimeront
(c'est mon cas) que le conseil constitutionnel impose un tour de
passe-passe juridique en laissant croire que la constitution européenne
resterait subordonnée à la constitution française. Il faut rappeler ici
que depuis 1963 (oui, 1963 !!!) la cour de justice des communautés
européennes considère que le droit communautaire est supérieur au droit
national (en ce compris sa constitution).
- les critiques portent
essentiellement sur la troisième partie, sur les règles de majorité, et
absolument pas sur les nouveautés institutionnelles.
Cette question épineuse des relations entre les constitutions nationales et la constitution européenne sera le noeud des débats juridiques des prochaines années. Selon la réponse qu'on apportera, on se dirigera définitivement soit vers une Europe fédérale soit vers une Europe des nations. Le conseil constitutionnel a manqué une occasion d'affirmer que la Constitution était un pas vers le fédéralisme (mais sans doute ne le souhaite-t-il pas).
La balle est maintenant dans le camp de la Chancellerie et du gouvernement, qui pourraient proposer une révision ambitieuse de la Constitution, indiquant explicitement que la Constitution européenne prime la Constitution française. Je ne miserai pas beaucoup d'argent là dessus.
Moi non plus... autant ne pas agiter le chiffon rouge devant les souverainistes.
Autant laisser la CJCE faire son oeuvre, comme elle l'a fait depuis 40 ans (Costa est en 1964, je ne me rappelle plus de l'arrêt de 1963 qui annonçait la révolution).
Rédigé par : Emmanuel | 19 novembre 2004 à 21:19
Précision technique (je viens de vérifier) : le Président peut demander au CC de se prononcer sur la constitutionnalité d'un traité mais il n'est pas le seul (art. 54). La saisine est aussi ouverte au Premier Ministre, aux présidents des Assemblées et à 60 sénateurs ou 60 députés (même chose que pour la saisine législative).
Rédigé par : Emmanuel | 19 novembre 2004 à 21:24
Précision importante, Emmanuel, prépare toi à une révolution : la CJCE n'existera plus.
Et oui (et quand on y réfléchit, c'est logique). Ce sera la CJUE (un croissant à qui devine la signification du sigle).
Rédigé par : Paxatagore | 20 novembre 2004 à 08:07
Allez il est tot pour gagner un croissant ça vaut le coup je dirais : Cours de Justice de l'Union Européenne :)
Rédigé par : Scalp' | 20 novembre 2004 à 09:36
Il n'y a pas de s à cour !
Mais sinon, tu as gagné ton croissant, je te l'envoie par mail.
Rédigé par : Paxatagore | 20 novembre 2004 à 10:12
L'argument de fabius est simple :
500 pages d'une constitution c'est ABSURDE.
La constitution française est a peu près lisible. Signer en l'état ce texte c'est signer les yeux fermé.
Lequel d'entre vous l'a lu cette constitution.
Il dit ensuite que l'on ne poura pas la modifier. Je pense qu'il a raison. Cela veut dire que les quotas de pêche et toutes les autres "bidules" sont inscrit dans le marbre.
Vous votez oui. Mais je vote non.
Il faut prendre les cytoyens pour des gens responsables. Je pense que cette constitution ne sera jamais votée en France. Il y aura une révolte.
Rédigé par : laurent bervas | 20 novembre 2004 à 10:42
Quel est le pourcentage de français qui connaissaient la constitution de la Vème République quand elle a été adoptée? Cela ne devait pas aller bien loin.
L'argument des 500 pages n'est donc pas valable à mon sens. Que cela soit une constitution de 100 pages ou de 500 pages, les citoyens ne s'intéressent pas pour autant aux textes juridiques qui régissent leurs institutions. Et là je crois que c'est hélas un avantage pour les partisans du NON qui assènent des contre-vérités dans ce débat.
De plus, je crois qu'il est bon de rappeler que ce n'est pas une constitution mais un TRAITE constitutionnel. Nul doute que si une Constitution est un jour élaborée, elle sera plus mince que ce que l'on a actuellement avec ce traité.
Pour conclure, rien ne sera jamais parfait. Mais ce n'est pas une raison pour refuser que cela soit meilleur.
Rédigé par : Xav | 20 novembre 2004 à 13:22
J'approuve Xavier. Voter pour ou contre un texte sur le nombre de page est complètement absurde comme argument. Réduire l'argumentation de Fabius à ce seul argument est inepte et faux, et en définitive donnerait des arguments aux partisans du Oui. Heureusement, Fabius est plus intelligent et ses argument sont tout de même plus complexes.
Rédigé par : Paxatagore | 20 novembre 2004 à 18:21
A Xav : pourquoi une Constitution serait nécessairement plus courte qu'un traité constitutionnel ?
Sinon je pense que ce qu'il faut rappeler c'est surtout le fait que la révision du traité constitutionnel est tout à fait possible et de manière assez simple :
- par décision du Parlement
- pour les questions de politiques internes par le biais du Conseil européen
Enfin les clauses passerelles permettent de faire évoluer rapidement la sphère de compétence de l'UE.
Rédigé par : Scalp' | 20 novembre 2004 à 18:42
A Scalp': Si on regarde l'actuel Traité constitutionnel, on peut s'apercevoir que de nombreux passages ne seraient plus nécessaire s'il existait un réel Etat européen. Beaucoup d'articles contenus dans le Traité deviendraient tout simplement des articles de droit interne à l'Union. D'autres disparaîtraient.
De même, dans le Traité actuel, la description du fonctionnement institutionnel de l'Union ne représente pas les 500 pages mais quelques 40 pages.
Je fais peut-être un énorme raccourci, mais je pense en effet qu'une Constitution serait plus courte.
Rédigé par : Xav | 20 novembre 2004 à 19:31
Oki merci pour l'explication, ça me semble clair. Cela montre bien qu'on n'est pas encore clairement dans une Europe fédérale.
Ceci dit le Parlement avait déjà par le passé proposer une constitution et cela avait échoué. Ce traité est donc quand meme une bonne chose meme s'il s'en trouve alourdi.
Rédigé par : Scalp' | 20 novembre 2004 à 19:56
Scalp': si j'ai bien compris le traité (IV-7 et suivants) seule les modifications considerees comme "simples" (non conflictuelles) peuvent passer uniquement par le parlement. Dans tous les cas (incluant pour decider si c'est "simple"), il faut l'unanimite des representants des 25 pays membre de l'union pour pouvoir changer, dans le sens que si un seul s'y oppose, il n'y aura pas de changement.
J'ai bon ?
Rédigé par : Curieux | 20 novembre 2004 à 20:16
Je ne suis pas d'accord avec ce qui a été dit avant.
Ce terme de "traité constitutionnel" est faux et ne veut rien dire. Je m'en expliquerai dans un post plus long lundi soir (il est déjà écrit, mais sur mon pc au bureau).
Ce traité s'appelle "traité établissant une constitution pour l'Europe". Le traité, c'est la forme de l'acte. Le fond, c'est une Constitution.
Et comme je l'expliquerai, une Constitution c'est une chose complexe et pas seulement les institutions. Attendez lundi.
Rédigé par : Paxatagore | 20 novembre 2004 à 20:58
A Curieux : je crois que t'as bon ;)
A Paxatagore : je suis en gros d'accord, je me suis peut-etre mal exprimé, mais j'ai l'impression qu'en gros avec le traité constitutionnel on fait une constitution mais pas par de la manière la plus courante vu qu'une constitution est générallement établie par une assemblée soit le parlement européen
Maintenant j'ai peut-etre rien compris :)
Rédigé par : Scalp' | 20 novembre 2004 à 21:56
Si tu as compris. Simplement, la "manière habituelle" n'était politiquement pas possible, c'est tout. Cette "manière habituelle", ça marche quand ça merdoie vraiment (exemple : en 1949 en Allemagne, en 1958 en France...). Mais ce n'est pas le cas actuellement. Même en étant très pessimiste (je suis très pessimiste), on n'est pas en guerre civile larvée.
Rédigé par : Paxatagore | 21 novembre 2004 à 10:21
Scalp' : merci pour la confirmation. Les partisans du non parlent de "gravé dans le marbre", et ça me parait approprié comme qualification ...
Rédigé par : Curieux | 21 novembre 2004 à 10:58
Un article dans Libé qui peut apporter quelque chose au débat:
http://www.liberation.fr/page.php?Article=255188#
Rédigé par : Xav | 21 novembre 2004 à 13:58