Trois articles et demi dans Le Monde daté de samedi sur l'Europe :
- le virage centriste des promoteurs socialistes du "Oui", par Arnaud Montebourg ;
- Services publics, l'immense progrès qui force l'approbation, par des députés européens socialistes (et européens) ;
- Souvenir, par Pierre Bergé (président des amis de l'institut François Miterrand)
- et le choc de deux rêves, par Jérémy Rifkin (américain, président de la Fondation on Economics Trends).
Commentaires.
Commençons par expédier l'article de Pierre Bergé, qui raconte en gros que Mitterrand aurait été certainement pour le Oui et le lui a laissé entendre lors d'un déjeuner quelques mois avant de mourrir (neuf avant la campagne ! quel devin ce tonton !). Outre que je trouve assez déplaisant de faire parler les morts, l'article me paraît s'inscrire dans une geste mitterrandienne assez dépassée. Il ne fait qu'une colonne, se lit vite et s'oublierait presque aussi vite.
Puis, l'article, assez court, sur les services publics. Cosignés par des députés européens du PSE venus de plusieurs pays, il explique en gros qu'il y a des progrès importants dans la Constitution sur la notion de service public. Les auteurs reprennent la traditionnelle distinction du droit administratif français (depuis l'arrêt Bac d'Eloka du Tribunal des conflits en 1921) entre services publics industriels et commerciaux (SPIC) et servics publics administratifs.
Les SPIC s'appellent services d'intérêt économique général en droit communautaire. Selon les auteurs, l'article III-122 de la Constitution revalorise leur statut.
Quant aux services publics administratifs, je n'ai pas très bien compris l'idée des auteurs. Ils expliquent qu'en fait personne n'est d'accord sur la distinction entre SPIC et SPA et que certains services publics sont marchands ici et non marchands là et qu'en définitive ce qui est positif c'est que les services publics marchands sont protégés. Un peu alambiqué, comme raisonnement (encore une fois, je pense ne pas l'avoir compris). Mais au final, la conviction que la Constitution européenne sera plus favorable aux services publics.
Il faudra cependant revenir sur l'ambiguité qu'il y a sur ce termes entre Français et Européens (et, en réalité, entre Français, car pour beaucoup de Français, service public = Etat & fonctionnaires, alors que c'est plus compliqué que ça, bien plus compliqué !)
Passons à l'article de Montebourg (à lire également sur son site), qui reprend la thèse fétiche de ce spécialiste des questions institutionnelles dans leur rapport à l'impuissance politique.
Il part, comme toujours, de l'idée que les institutions rendent les hommes politiques impuissants, que ça a été catastrophique le 21 avril 2002, et que le PS qui vote Oui tourne le dos à ses principes fondamentaux, y compris ceux adoptés à Dijon. Amusant de voir que les partisans du Oui comme du Non reprochent à l'autre camp de brader les valeurs fondatrices du parti.
Néanmoins, ne soyions pas trop désagréables, car la démonstration de Montebourg est sérieusement menée :
- la Constitution va organiser la compétition fiscale et non la coordination fiscale, comme le disaient DSK et Delanoë des précédents traités (partisans du oui !).
- La BCE est toujours indépendante, alors que le Congrès de Dijon avait voté une motion contre.
- Il reste des domaines de décisions à l'unanimité, alors que le PS est pour une logique fédérale de majorité.
Conséquences : la Constitution européenne permet,voire oblige, une politique au mieux "centriste" , au pire libérale. Pourquoi ? Simplement parce que les gouvernements qui ont signé le traité étaient majoritairement de droite (19 sur 25 - j'aimerai savoir où Montebourg classe Tony Blair). Pause publicitaire : on remet une couche de 21 avril 2002 (en cinquième colonne). Fin de la pause. Puis un argument assez étrange : Montebourg fait remarquer que plusieurs fois un pays a obtenu ce qu'il voulait (la France avec le compromis de Luxembourg en 1966, la Grande Bretagne en 1984 sur les compensations financières). Donc, les citoyens devraient aussi pouvoir avoir ce qu'ils veulent.
Arnaud Montebourg ne s'étend pas toutefois sur les conditions politiques, juridiques et institutionnelles d'une telle renégociation (notamment parce qu'il y a toujours autant de gouvernement de droite en Europe...).
En résumé : un playdoyer pour une autre ligne politique.
Je suis d'accord sur un point avec l'analyse : le PS prend certaines positions en congrès, et lorsqu'il est au gouvernement, il mène une autre politique, plus centriste effectivement. Montebourg a raison de souligner, et il n'est pas le seul, que le PS se prépare encore une fois à plonger ses adhérents, sympathisants et électeurs dans la désillusion s'il continue à ne pas faire ce qu'il dit et à ne pas dire ce qu'il fait. Ou surtout, à ne pas expliquer pourquoi il ne le fait pas (ce qui est pourtant simple dans la cas de la constitution européenne : quand on négocie, on fait des concessions de part et d'autres, c'est logique ! La constitution, fruit d'une négociation, ne peut pas être la copie conforme de ce qu'auraient voulu Emmanuelli et Montebourg, ou même Hollande !).
Le dernier article, qui ne porte pas sur la constitution européenne, mais sur le rêve américain, maintenant. Rifkin explique qu'il y avait un rêve américain, dont la valeur cardinale est l'individualisme et que les électeurs de Kerry n'y croient plus (soient qu'ils en soient les victimes, comme les ouvriers, soient qu'ils pensent en définitive que quand on est plusieurs à vivre sur la même terre, on a forcément des choses à faire en commun). Et qu'en définitive, le rêve européen est en train de supplanter le rêve américain. Je cite :
Nous, les Américains, nous vivons (et nous mourons) selon l'éthique du travail et les exigences de l'efficacité. Les Européens accordent plus d'attention à l'équilibre du travail et des loisirs.
L'Amérique s'est toujours considérée comme un grand melting-pot. Les Européens, en revanche, préfèrent conserver la richesse de leur diversité culturelle.
Les Américains donnent beaucoup d'importance à la propriété et aux droits civiques. Les Européens privilégient les droits sociaux et les droits de l'homme.
Les Américains croient en Dieu et à leur pays. Les Européens croient à la sécurité sociale et à la société civile.
Nous pensons qu'il faut maintenir une présence militaire sans égale dans le monde. Les Européens, à l'inverse, mettent l'accent sur la coopération et le consensus plutôt que de faire cavalier seul en politique étrangère.
Le rêve européen est la première tentative pour créer une conscience universelle dans un monde de plus en plus petit.
Rifkin évidemement n'est pas idiot et sait bien que les choses sont plus compliquées et qu'il y a une différence entre le rêve et la réalité. Que la réalité américaine ne ressemble pas tout à fait au rêve américain et que la réalité européenne est loin d'être aussi parfaite que notre rêve.
Mais cet article est le seul des quatre qui fasse rêver et qui m'explique pourquoi je suis pour l'Europe. Pas pour les services publics, la BCE, une politique plus libérale ou plus sociale. Parce que nous Européens partageons tous un même idéal sur ce que doit être notre vie en commun et qu'il est temps de le mettre en application.
Très bon post. Une petite remarque : la position de "l'harmonisation fiscale" est tout aussi intenable pour les français que celle de la "concurrence fiscale". Dans les deux cas cela implique pour la France une réduction de sa fiscalité que ses gouvernements sont parfaitement incapables de mettre en place. On a l'impression que "harmonisation fiscale" est pour les socialistes un mot magique qui signifie que l'Europe entière va adopter le niveau de fiscalité français, alors qu'elle n'en veut pas. Mais que ce soit par la négociation (l'harmonisation) ou la concurrence, de toute façon la France se trouvera en difficulté sur ce point; elle ne pourra même pas espérer bloquer les négociations puisque cela amplifiera la concurrence!
Rédigé par : alexandre delaigue | 21 novembre 2004 à 13:31
Très bon post.
Montebourg est gonflé lorsqu'il parle de désillusion des électeurs si le PS fait des choses différentes dans l'opposition et au pouvoir : Ce sont lui et ses amis qui taxent de traitres ceux qui cherchent les voies d'un socialisme pragmatique.
Le titre de son article est d'ailleurs une pique anti-DSK, celui-ci ayant parlé des centristes, potentiels électeurs de gauche à un deuxième tour présidentiel...
Rédigé par : socdem | 21 novembre 2004 à 19:42
L'article de Rifkin est en fait surtout un condensé de son dernier liver : the européen dream. Passionante analyse, que je ne peux que recommander...
http://www.amazon.fr/exec/obidos/ASIN/1585423459/171-0742594-5108203
Rédigé par : versac | 21 novembre 2004 à 20:23
Du même Montebourg, il faut lire l'éloge d'Edgar Faure qu'il a faite en 1993, dont voici quelques extraits :
"Et vous, progressistes de gauche, comment oser vous plaindre que vos idées, intelligentes, aient été appliquées par un homme qui, lui, savait les mettre au pouvoir !
Parti Radical. MRP. UNR. UDF. UDR. RPR. RGR, peu importe !
Ce sont les partis qui tuent les convictions et brident l'imagination. Ce sont des machines à fabriquer des disciples et à les désespérer. Edgar n'était le disciple de personne et n'en a enfanté aucun."
Amusant non ?
Plus sérieusement, j'étais jeudi dernier à une réunion fédérale PS du Nord Isère à Bourgoin Jallieu. Pour la première fois depuis quelques années (je suis adhérent discret), j'avais l'occasion de voir de visu des représentants de NPS et de Nouveau Monde.
Or, j'étais trés surpris de constater que loin des discours enflammés auxquels je m'attendais de la part des partisans du non, j'ai assisté à des commentaires d'articles confus, embrouillés et pour tout dire assez mornes qui me rappelaient certains exposés laborieux de mes lointaines premières années de droit constitutionnel à l'université.
Avec des arguments que les partisans du oui (Moscovici, Soulage...) n'avaient parfois même pas besoin de reprendre tant ils s'écroulaient d'eux-mêmes sous les étonnements de la salle.
Deux exemples :
- la constitution remettrait en cause la laïcité et la loi de 1905 (rien que ça) car elle explique l'expression religieuse est libre dans les lieux publics, et donc empêcherait des lois contre les signes reli
Rédigé par : Olivier Rey | 21 novembre 2004 à 21:19
Du même Montebourg, il faut lire l'éloge d'Edgar Faure qu'il a faite en 1993, dont voici quelques extraits :
"Et vous, progressistes de gauche, comment oser vous plaindre que vos idées, intelligentes, aient été appliquées par un homme qui, lui, savait les mettre au pouvoir !
Parti Radical. MRP. UNR. UDF. UDR. RPR. RGR, peu importe !
Ce sont les partis qui tuent les convictions et brident l'imagination. Ce sont des machines à fabriquer des disciples et à les désespérer. Edgar n'était le disciple de personne et n'en a enfanté aucun."
Amusant non ?
Plus sérieusement, j'étais jeudi dernier à une réunion fédérale PS du Nord Isère à Bourgoin Jallieu. Pour la première fois depuis quelques années (je suis adhérent discret), j'avais l'occasion de voir de visu des représentants de NPS et de Nouveau Monde.
Or, j'étais trés surpris de constater que loin des discours enflammés auxquels je m'attendais de la part des partisans du non, j'ai assisté à des commentaires d'articles confus, embrouillés et pour tout dire assez mornes qui me rappelaient certains exposés laborieux de mes lointaines premières années de droit constitutionnel à l'université.
Avec des arguments que les partisans du oui (Moscovici, Soulage...) n'avaient parfois même pas besoin de reprendre tant ils s'écroulaient d'eux-mêmes sous les étonnements de la salle.
Deux exemples :
- la constitution remettrait en cause la laïcité et la loi de 1905 (rien que ça) car elle explique l'expression religieuse est libre dans les lieux publics, et donc empêcherait des lois contre les signes religieux dans les écoles publiques.
Bon, il se trouve que d'une part l'orateur (Delapierre, responsable national de nouveau monde quand même !) a étonamment confondu lieu public et établissement public, ce qui n'a rien à voir. Et que d'autre part, il se trouve que le texte cité est une copie d'un texte européen sur les droits de l'homme de 1954, sur la base duquel la cour de justice européenne a rejetté , au printemps, un pourvoi contre la loi française sur les signes ostentatoires à l'école !
- la politique étrangère de l'Europe passerait sous la coupe de Bush, car un article prévoit qu'elle doit être compatible avec l'OTAN, ce qui entraînerait l'alignement de la France sur l'OTAN.
J'ai cru sur le moment avoir mal entendu, mais non : l'orateur avait tout simplement "oublié" que la France est membre de l'OTAN depuis l'aprés-guerre, qu'elle avait été au Kosovo dans le cadre d'un mandat de l'OTAN, et qu'être dans l'OTAN n'avait rien à avoir avec s'aligner sur les USA ou alors comment expliquer la position de la France, de l'Allemagne ou de la Turquie durant la guerre d'Irak ?
Sans vouloir faire trop long, ces deux exemples parmi d'autres suffisent pour montrer qu'il y a un décalage manifeste entre les vraies raisons pour lesquelles des militants du PS s'apprêtent à voter NON et celles qui sont avancées comme prétextes, car je ne crois pas les orateurs du non aussi incultes que cela.
Ils sont tout simplement prisonniers d'une équation compliquée : leurs leaders, qu'il s'agisse de Fabius, Emmanuelli, ou même Mélenchon, ont tous pris part à tout ou partie de la construction européenne depuis 20 ans (y compris Maastrich, Acte Unique, Euro, etc.) et de la politique du PS depuis 20 ans.
Rappelons aussi que Montebourg, Peillon et cie ont "grandi" dans le PS jospinien et qu'on ne les a pas entendu alors se manifester fortement contre la politique gouvernementale ni l'orientation du parti.
Or, ils ne veulent pas assumer ce revirement spectaculaire de leurs positions, et avouer qu'ils remettent en cause de fait toute la politique socialiste et mitterandienne depuis 1983, qui les a largement servi et dont il se sont largement servis.
Il faut donc faire semblant de découvrir un texte porteur de dangers nouveaux ou inédits, voire , comme les fabiusiens, de dénoncer un traité certes sans grandes aspérités, mais qui aurait le tort d'être "gravé dans le marbre".
Rédigé par : Olivier Rey | 21 novembre 2004 à 21:26
L'année dernière, lors une conférence sur les pratiques de relations sociales aux Etats-Unis, au Japon et en Europe, j'ai constaté qu'alors que les Européens discutaient sans fin sur la réalité d'un modèle social européen, pour les participants américains et japonais, la réalité de ce modèle ne faisait aucun doute... Dans ce débat sur la Constitution Européenne, il est donc intéressant de voir ce qu'en pensent des citoyens américains. J'ai trouvé ce débat sur DailyKos, un blog "libéral" très fréquenté. On n'est pas obligé de tout lire, mais c'est éclairant. En voici quelques extraits :
"The new EU constitution, currently being considered by the member states... should also serve as an inspiration to progressives around the world. It bars capital punishment in all 25 nations and defines such things as universal healthcare, child care, paid annual leave, parental leave, housing for the poor, and equal treatment for gays and lesbians as fundamental human rights... It is the first governing document that aspires to universality, with rights and responsibilities that encompass the totality of human existence on Earth."
"On the whole, the EU constitution is a remarkable document and should it be ratified would be watershed in human history"
Pour en lire plus :
http://www.dailykos.com/story/2004/11/17/112346/71
Rédigé par : Jacques Terrenoire | 21 novembre 2004 à 23:53
Précisions concernant mon message ci-dessus : quand je qualifie DailyKos de blog "libéral", c'est au sens américain, c'est-à-dire progressiste. Ce blog est visité par des centaines de milliers de personnes. Il a joué un rôle important dans la mobilisation pour Kerry et semble être un des nouveaux lieux de la vie politique américaine.
Voici la traduction des deux passages précités :
"La nouvelle constitution de l'Union Européenne actuellement envisagée par les états membres... devrait servir d'exemple pour les progressistes du monde entier. Elle interdit la peine capitale dans les 25 pays, et institue comme droits fondamentaux des choses comme la couverture maladie universelle, la protection de l'enfance, les congés payés et parentaux, le logement social, l'égalité de traitement des gays... par sa simple existence, ce document fait de l'Union Européenne le leader mondial dans le débat sur les droits de l'homme. C'est le premier document constitutionnel qui vise à l'universalité, avec des droits et des responsabilités qui englobent la totalité de l'existence humeine sur Terre."
"Dans l'ensemble, la Constitution de l'Union Européenne est un document remarquable qui, s'il était ratifié, marquerait un tournant dans l'histoire de l'humanité"
Rédigé par : Jacques Terrenoire | 22 novembre 2004 à 00:29
C'était prévisible A Montebourg garde ses positions, là ou l'on ne comprend plus c'est qu'il refuse les progrés.
je dis ça par rapport au passage consacré aux hommes
politiques qui ont exprimés un refus ou des réticences
lors des différents traités.
Je cite DSK dans son OUI: lettre ouverte aux enfants d'Europe
"Avec le traité constitutionnel, après 50 ans de détour,
l'objectif des pères fondateurs est en passe de se réaliser et l'objection initiale de P Mendès-France est
levée: la commission va devenir le gvt démocratique de
l'union. Son président sera issu de la majorité parlementaire, il sera responsable devant le parlement,
il sera le 1er ministre de l'Europe. Les commissaires
seront chosis par lui: demain, sur une liste encore fournie par les états membres; après demain c'est la logique, sur une base strictement politique, se muant ainsi en ministres du gvt économique de l'Europe."
D'autre part j'approuvre les propos de Socdem d'autant
plus que DSK a une vision de l'Europe et que son OUI est
un point de départ et en aucun cas un point d'arrivée.
Rédigé par : Brigitte | 22 novembre 2004 à 10:18
C'est beau le militantisme. On voit la vie en rose :-).
Rédigé par : Paxatagore | 22 novembre 2004 à 15:21