A une large majorité (66% de voix pour), le Parlement européen a voté aujourd'hui l'investiture de la commission Barroso remaniée. Les parlementaires ont obtenu la tête de deux commissaires "contestables" (l'Italien Rocco Buttiglione et la Lettonne Ingrida Udre) et le changement de portefeuille d'un troisième (le Hongrois Laszlo Kovacs). Barroso a sauvé l'essentiel de son équipe. Une crise institutionnelle durable a été évitée. Tout le monde est à peu près satisfait, même si la gauche parlementaire manifeste une certaine mauvaise humeur (légitime) face au maintien de la Néerlandaise Neelie Kros au poste de commissaire à la concurrence.
Au-delà des querelles de personne, l'épisode marque incontestablement un renforcement du pouvoir du Parlement européen face à la Commission. A cet égard, la motion adoptée ce matin par les parlementaires est particulièrement significative :
Avant le vote, le parlement européen avait adopté jeudi, dans la matinée, une résolution qui fixe les conditions et les limites de l'investiture qui devrait intervenir dans la foulée en faveur de la Commission Barroso. Elle prévoit que le président de la Commission européenne doit prendre "sérieusement en compte" tout vote de défiance exprimé par les eurodéputés à l'égard d'un membre de son collège.
Ce code de conduite avait déjà été imposé en 1999 à Romano Prodi mais le parlement va plus loin avec José Manuel Durao Barroso en exigeant que, dans de telles circonstances, il "demande la démission" du commissaire mis en cause ou "justifie son refus" de le faire devant le parlement.
L'ancien premier ministre portugais a déclaré mercredi devant les eurodéputés que ces conditions étaient "parfaitement acceptables".
Ce qui est remarquable est que ce changement réel dans l'équilibre des pouvoirs européens s'est fait en l'absence de textes juridiques spécifiques : les traités européens en vigueur ne permettent pas explicitement au Parlement de refuser individuellement certains commissaires; ils ne prescrivent pas non plus au président de la Commission de venir s'expliquer à Strasbourg s'il persiste à conserver un commissaire contre l'avis du Parlement. Et pourtant, ces deux dispositions font désormais partie des règles qui gouvernent les rapports entre les insitutions européennes. Ces règles non-écrites mais néanmoins contraignantes appartiennent à ce que les constitutionnalistes nomment la "coutume constitutionnelle".
Quelle conclusion en tirer concernant la Constitution européenne qui est, après tout, l'objet premier de ce blog? Peut-être l'enseignement qu'un texte constitutionnel ne fait pas tout. Les opposants qui affirment qu'on "en prend pour 20 ans" négligent souvent les possibilités d'évolution en marge du texte lui-même.
"Résolution du Parlement européen: texte adopté par le Parlement européen, qui exprime son avis soit sur un texte législatif -- il s'agit alors d'une "résolution législative" --, soit sur tout sujet dont il s'est saisi de sa propre initiative: cette résolution, dans ce cas "non législative", entend influer sur telle ou telle politique de l'Union européenne."
http://www.europarl.eu.int/presentation/default_fr.htm
La résolution adoptée par le Parlement ne s'impose donc pas au Président de la Commission qui reste libre par rapport à celle-ci.
C'est donc l'occasion pour le Parlement de faire valoir son avis mais je ne pense pas qu'on puisse parler d'équilibre de pouvoirs...
C'est plutot un moyen supplémentaire de faire pression sur l'activité des commissaires.
Rédigé par : Scalp' | 18 novembre 2004 à 18:57
Mon argument était justement que certaines règles sont créées en marge et au-delà des textes juridiques. Juridiquement, la résolution n'est pas contraignante pour le président de la Commission. Politiquement, il est fort possible qu'elle le soit.
Mon hypothèse est que cette résolution et l'approbation de Barroso ("parfaitement acceptables") font partie d'un marché entre le président de la Commission et le Parlement : confirmation de la Commission aujourd'hui contre droit de regard individuel sur les commissaires à l'avenir. Il est bien entendu possible que ma lecture soit fausse (je sollicite l'avis des juristes sur ce point), mais j'ai bien l'impression que l'on à faire à la création d'une coutume constitutionnelle.
(Notons que s'il y a bien eu marché et que Barroso cherche à ne pas honorer sa promesse à l'avenir, le Parlement a toujours une bombe atomique très efficace à sa disposition).
Rédigé par : Emmanuel | 18 novembre 2004 à 19:24
J'appuie assez l'idée d'Emmanuel sur la coutume constitutionnelle, en y apportant une nuance qui me paraît importante pour la compréhension du phénomène constitutionnel, qui tient au caractère faiblement normatif du droit constitutionnel.
Celui-ci tend à échapper aux concepts classiques du droit (et notamment la notion cardinale d'obligation en droit privé), et se contente (dans une certaine mesure) de fixer des procédures, et non des règles de fond. Or, le propre des procédures s'est de se développer de façon assez spontanée. Il est illusoire de vouloir toutes les inscrire dans un même texte. Les situer dans la hiérarchie des normes est problématique aussi.
Rédigé par : Paxatagore | 18 novembre 2004 à 20:14
C'est vrai, la motion de censure du Parlement reste une arme de disuasion extrémement puissante.
On peut donc peut-etre considérer la règle de conduite adoptée par le Parlement comme un avertissement pour Barroso.
Affaire à suivre...
Rédigé par : Scalp' | 18 novembre 2004 à 20:15
si on avait eu le traité constitutionnel, qui renforce le pouvoir du parlement, on aurait pas eu de probléme Baroso.
Rédigé par : socdem | 18 novembre 2004 à 20:33
à SocDem : Pas d'accord. Barroso n'aurait peut-être pas été élu certes (mais là c'est de la spéculation). Tout le reste aurait pu être pareil.
Rédigé par : Paxatagore | 19 novembre 2004 à 08:32
Le traité constitutionnel propose-t'il une investiture par le parlement poste par poste (comme aux USA) et non en bloc ? Si non, pourquoi ?
Rédigé par : curieux | 19 novembre 2004 à 12:54
Je ne crois pas que le traité constitutionnel donne ce pouvoir au Parlement. Celui-ci a la possibilité d'accepter ou non le Président de la Commission européenne désigné par le conseil.
C'est le Président de la Commission qui détermine les commissaires.
Il est plus logique de faire voter le parlement sur "le bloc" car il s'agit d'une équipe et non d'un simple regroupement de personnalités différentes.
Un peu comme si on jugeait un gouvernement que par rapport à l'un de ses ministres.
Rédigé par : Scalp' | 19 novembre 2004 à 13:08
Curieux : le traité constitutionnel ne change pas la procédure pour l'investiture de la Commission. Le Parlement vote sur la Commission en tant que collège et non pas poste par poste (article I-27). Pourquoi pas ne pas avoir adopté le système américain dans le texte de la constitution? Je ne sais pas. Peut-être les conventionnels ont-ils estimé que le système actuel fonctionnait bien et ne nécessitait pas de modification.
Bien sûr, tout cela a volé en éclats avec les développements récents : le vote poste par poste est en train de s'imposer, même si les traités ne le prescrivent pas.
Rédigé par : Emmanuel | 19 novembre 2004 à 13:18
Non (articles I-26 et I-27 du projet).
Pourquoi ? Plusieurs raisons à cela :
- des raisons historiques, qui font que traditionnellement il n'y a pas de responsabilité individuelle, mais une responsabilité collective de l'équipe gouvernementale dans les régimes parlementaires européen. C'est l'histoire qui a forgé notre rapport à cette pratique.
- des raisons politiques, qui tiennent à l'unité de la commission. La commission "en tant que collège", dit la Constitution européenne. Les décisions sont prises par la commission comme organe délibérant et non par les commissaires pris individuellement. Il est important d'instaurer politiquement l'idée qu'ils sont collectivement responsables (ce qui est également utile pour les amener à se motiver les uns les autres).
- Un commissaire seul n'a aucun pouvoir juridique. La motion de confiance (et non l'investiture) est donné à une personne qui a des pouvoirs juridiques (ici la commission, en France le gouvernement).
- Admettre une investiture poste par poste reviendrait à donner une légitimité plus ou moins grande à certains commissaires. Ca pourrait poser problème si le commissaire A a eu beaucoup plus de voix que B.
La pratique actuelle (qui est prévue par les traités) est sauvegardée par la Constitution européenne et me paraît être un bon équilibre entre l'unité de la commission et le nécessaire contrôle du parlement. Ce mécanisme me semble bien supérieur à celui qui a cours chez nous.
Rédigé par : Paxatagore | 19 novembre 2004 à 13:23
Emmanuel et Scalp : vous êtes des malapris. Vous profitez de ma pose déjeuner et de ma connexion de *** au boulot pour répondre avant moi. Du coup, j'ai l'air de répondre à Emmanuel alors que je réponds à Curieux. Grrrr :-);
Emmanuel : je ne suis pas d'accord avec toi quand tu écris "tout cela a volé en éclats avec les développements récents : le vote poste par poste est en train de s'imposer, même si les traités ne le prescrivent pas."
A mon avis, les choses seront plus complexes : il y aura d'une part les candidats commissaires qui ne "passent" pas le stade du parlement et les autres. Le deal entre Barroso et le Parlement européen est bien celui-là. Il ne s'agit pas d'instaurer un contrôle "par poste" mais bien de permettre au Parlement de dire : "ce gars là, on n'en veut pas". Ce qui est une logique plus complexe que ce que tu décris, parce qu'on ne supprime pas la dynamique collective et l'engagement politique du groupe que forme la commission. Ok, je chipote.
Précision importante : la procédure "d'examen" (c-à-d l'audition des apprentis commissaires par les différentes sous-commissions du parlement - il faut suivre, le Parlement européen aussi à ses commissions !!!) n'est pas prévue par la Constitution européenne (ni par les traités antérieurs).
Rédigé par : Paxatagore | 19 novembre 2004 à 13:33
Paxatagore : tu a raison de chipoter, ma formulation est en effet beaucoup trop définitive.
Disons qu'on est aujourd'hui dans un système hybride, qui n'est certainement pas comparable à la procédure américaine, mais cherche à tempérer les excés du vote en bloc. D'ailleurs, la fronde du Parlement est beaucoup plus dirigée contre les gouvernements (qui profitent du caractère unitaire de la Commission pour "caser" des personnalités nationales pas toujours complètement qualifiés) que contre le président de la Commission (qui devrait à l'avenir avoir plus son mot à dire dans le choix des commissaires).
Rédigé par : Emmanuel | 19 novembre 2004 à 13:51
petit rajout à ce que viens de dire Emmanuel: avec ce
traité constitutionnel, chaque état proposera 3 commissaires au président de la commission qui pourra choisir plus librement.
Rédigé par : Brigitte | 19 novembre 2004 à 14:25
Merci pour vos reponses. Je suppose donc que si un commissaire a des problemes (corruption, ...), toute la commission doit evidement demissioner et sera tres affaiblie durant toute l'affaire comme cela a deja ete le cas par le passe, et encore aujourd'hui. J'ai l'impression que tout cela nuit a la stabilite du systeme et ne prends pas trop en compte l'experience passee ni ce qui ce fait ailleurs dans le domaine ce qui est bien dommage.
Rédigé par : Curieux | 19 novembre 2004 à 20:46
Non pas du tout.
Un individu peut démissionner individuellement, ce n'est pas un problème (ça se fait courrement dans les gouvernements nationaux, et il doit certainement y avoir des précédents au niveau international).
Rédigé par : Paxatagore | 19 novembre 2004 à 20:49
"il faut rejeter dans son principe meme la notion de coutume constitutionnelle dans un systeme de droit ecrit.il est clair qu'admettre une telle notion revient a nier , a vider de son sens la notion de constitution"serge sur paris 1977
Rédigé par : nafi toure | 23 mars 2007 à 18:52