Bref commentaire du communiqué du oui socialiste aimablement reproduit par SocDem ci-dessous
Il s'agit là précisément d'une divergence majeure et irréductible entre le Conseil constitutionnel et la Cour de justice des communautés européennes (CJCE).
Pour le Conseil constitutionnel, la Constitution française est une norme supérieure à tout traité européen, peu importe qu'on le baptisât Constitution européenne. Il le répète ici mais l'avait déjà dit par le passé pour les Traités de Maastricht, Amsterdam et Nice. C'est également la position de la cour suprême allemande.
Pour la CJCE, au contraire, le droit européen supplante toute norme interne en ce compris la constitution de l'Etat membre. C'est ce que les souverainistes trouvent inacceptable. La position de la CJCE se justifie par le fait d'empêcher un Etat membre récalcitrant de pouvoir écarter telle ou telle portion du droit européen au motif que sa constitution ne le permet pas. La soumission de tous les Etats membres au même droit est un point essentiel du fonctionnement de l'Union.
Cette controverse n'a guère de conséquences à court terme, car jamais une norme européenne n'a heurté les principes constitutionnels d'un pays. Une telle hypothèse est d'ailleurs peu probable. Mais il serait bon que la controverse fût tranchée avant qu'un problème ne se pose, faute de quoi la solution choisie risque de dépendre plus de considérations d'opportunités que d'un débat juridique serein.
La position de la CJCE est une position fédéraliste : l'UE a vocation à devenir un Etat fédéral, et ce jour là, sa constitution sera supérieure aux constitutions des Etats membres. Elle a tout pour braquer les eurosceptiques. La position du Conseil constitutionnel est confédéraliste : l'UE reste une entité politique subsidiaire aux Etats membres. Elle est conforme à une lecture stricte de la hiérarchie des normes, et ce n'est pas au Conseil de faire le grand saut en décidant de subordonner la constitution au droit européen. Cela nécessite une révision.
Le "oui socialiste" esquive un peu la question de fond, mais je ne les blamerai pas, l'urgence pour eux étant de rallier le PS au oui, et pas de régler des problèmes juridiques très anciens et sans portée concrète immédiate.
Affirmer que ce traité menaçait la laïcité à la française était un argument qui m'avait échappé est qui est grotesque. La charte des droits reprend mot à mot la Convention européenne des droits de l'homme et y fait référence expressément. Affirmer que cette convention, en vigueur depuis plus de 50 ans, menace la laïcité est ridicule. La Convention avait connu des débats passionnés quand la question de la mention de l'héritage chrétien dans le préambule a été abordé. Finalement, les conventionnels ont préféré parler de l'héritage religieux. La question du sexe des anges n'a hélas pas été tranchée.
- Sur le point 3 :
L'invocabilité devant le juge national de la Charte des droits. Vaste question que celle des proclamations, déclarations de droits, chartes, pactes et conventions portant sur les droits de l'homme. Il y en a tellement qu'on se demande comment l'homme a pu survivre sans que tous ces droits lui soient reconnus.
La question qui à chaque fois se pose au juge national est : quelle portée donner à ces proclamations, parfois contradictoires ?
Ainsi, vouloir protéger la propriété et proclamer une obligation de solidarité est inconciliable, de même que la protection de la liberté individuelle et de la présomption d'innocence va à l'encontre du droit à la sécurité, que le droit à un environnement "sain", notion à préciser, va à l'encontre de l'objectif affiché de favoriser le développement économique.
Autant briser tout de suite des illusions, quitte à lancer une pierre dans le jardin du oui : le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux, le droit de travailler, le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle, le principe du développement durable, le niveau élevé de protection des consommateurs (ce doit être la fameuse partie ultralibérale du traité), c'est un hochet aux partis de gauche.
Inutile d'invoquer le droit d'accès aux prestations de sécurité sociale pour un chômeur en fin de droit devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, le droit de travailler pour les employés licenciés lors d'une délocalisation devant les prud'hommes, je ne parle même pas du droit des personnes âgées à participer à la vie culturelle (on croit rêver) devant, heu... le tribunal à la vie culturelle des vieux ? Là, on nage dans ce qui est mon principal reproche à ce traité : qu'une grande partie de ces 440 articles est de la pure communication, où on dit tout et son contraire pour faire plaisir à tout le monde, mais où juridiquement, aucun principe n'est posé.
J'y reviendrai dans de futures notes.
- Sur le point 4 :
Dire que le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée est une avancée démocratique me semble une affirmation péremptoire sans fondement.
C'est une nécessité pour pallier au risque de la paralysie. Mais alors que jusqu'à présent la France ne peut se voir imposer une norme contre son gré, contrairement à l'antienne "c'est pas ma faute c'est Bruxelles" très à la mode, désormais, la France pourra se voir imposer une législation à laquelle elle est opposée, même par un fort consensus interne.
La démocratie n'est pas la dictature de la majorité sur la minorité. Une situation ou chaque citoyen peut empêcher l'adoption d'une loi en s'y opposant est indiscutablement plus démoratique que celle où le citoyen se voit imposer au besoin par la force une loi qu'il ne veut pas.
Il y a là un argument spécieux que je condamne : les adversaires du oui au PS ne sont pas des idiots, ils ne donneront pas dans le panneau.
Ensuite, le rôle de garde fou des parlements nationaux constitue-t-il une avancée démocratique ? Cela mériterait une démonstration. A priori, tout système de check and balance est une telle avancée. Le problème n'est pas là en l'espèce.
Comment un parlement, organe délibératif collégial peut-il exercer un droit de surveillance et de recours ? Le Conseil constitutionnel dit précisément qu'en l'état actuel du droit constitutionnel français, il ne le peut pas, une telle procédure n'existe pas et doit être créée. Donc en l'espèce, ce garde-fou ne garde rien du tout.
De plus, les gouvernements nationaux disposent déjà de ce droit. Vu que le gouvernement français est une émanation du parlement, n'y aura-t-il pas doublon dans la surveillance du principe de subsidiarité ? Ou alors, ce droit d'opposition pourra-t-il être exercée par l'opposition parlementaire ? Mais dans ce cas, c'est donner une arme terrible à l'opposition interne d'un pays (ce qui inclut les souverainistes que le suffrage a écarté du pouvoir) qui pourra paralyser ou entraver le fonctionnement de l'union. Ces points n'étant pas totalement éclairircis, affirmer que c'est une avancée démocratique est de l'angélisme pur et simple.
- Sur le 5e point : le traité est plus facile à réviser que les traités antérieurs.
Je cite :
Je sais : en expliquant ce qu'est une clause passerelle ?
L'article IV-444 prévoit une procédure simplifiée permettant d'autoriser le Conseil Européen (organe réellement décisionnaire dans l'UE, composé des chefs d'Etat et de gouvernement des pays membres, ou de leurs ministres délégués à cet effet) à prendre des décision à la majorité qualifiée là où le traité constitutionnel prévoit encore l'unanimité (la défense est exclue expressément). C'est donc une passerelle entre l'unanimité et la majorité qualifiée.
Là encore, le communiqué est singulièrement biaisé. La révision est simplifiée mais dans un sens unique : celui visant à augmenter le pouvoir décisionnel de l'Union. Le retour en arrière exige bien en revanche un nouveau traité voire une rupture brutale par le retrait de l'Union.
Je trouve dommage que ce communiqué croie devoir donner dans un ton triomphaliste "le Conseil constitutionnel fait triompher notre cause en battant en brèche les contre vérités colportées par nos adversaires" : le Conseil est loin de dire ce que le communiqué lui fait dire et soulève des problèmes qui seront abordés lors de la campagne référendaire nationale. En tenir compte lucidement et y proposer des réponses permettrait au PS, en cas de victoire du oui dans son referendum interne, d'avoir une longueur d'avance sur les autres partis et de reprendre la main dans ce débat.
Bon, je me suis fait coiffer sur le poteau... avec une note incontestablement mieux informée que mon faible commentaire. Un point de divergence néanmoins sur la Charte des droits fondamentaux : il me semble que c'est sous-estimer gravement les ressources des juges européens que de croire qu'ils laisseront totalement inexploitées des dispositions du texte qui peuvent sembler a priori de la "pure communication".
Je ne dis pas que tous les articles de la Charte auront des conséquences juridiques majeures, mais l'histoire est remplie de dispositions constitutionnelles en apparence cosmétiques qui ont été utilisées par des cours constitutionnelles pour élargir le champ de leur contrôle. Oui, "Liberté d'association", par exemple.
Rédigé par : Emmanuel | 22 novembre 2004 à 17:44
Emmanuel : Je maintiens ma position sur ce point. La cour de cassation distingue depuis longtemps les dispositions internationales directement invocables devant le juge (qui se comptent sur les doigts d'une main : convention européenne des droits de l'homme (CEDH), pacte des droits civiques, convention des droits de l'enfant, en encore, pas tous ses articles.
Par contraste, on peut admirer la convention universelle des droits de l'homme, adoptée solenellement par l'assemblée générale des nations unies, votée par l'URSS et tout le bloc de l'est, qui n'a aucune valeur juridique.
Ce qu'il faut à un juge, c'est un texte clair, qui pose une règle et délimite son domaine d'application.
La CEDH est un modèle du genre.
Par contre, le préambule de la constitution de 1946, encore en vigueur, incut une liste des principes économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps, dont le droit au travail. Là, on parle de la constitution, pas d'un traité.
Quelle application concrète en a-t-il été faite ? Quelles conséquences en a-t-on tiré ?
Croire que proclamer un droit est régler un problème est aussi naïf que de croire que d'interdire les meurtres, c'est mettre fin au crime.
Rédigé par : Eolas | 22 novembre 2004 à 18:17
Je crois qu'Eolas met le doigt sur un point très désagréable dans cette campagne : les partisans du non nous décrivent un texte noir et épouvantable, les partisans du oui un texte formidable et annonciateurs de lendemains qui chantent (lisons quelques commentaires au hasard sur ce blog pour s'en convaincre). A l'évidence, ce n'est pas ça. Cette constitution est mal rédigée, très imparfaite, et même assez nulle. Elle est très longue, beaucoup trop compliquée... Bon, il y a des avancées sur des points (la principale me semble être que c'est une Constitution, je m'en explique dans quelques minutes sur un post à part), mais rien de mirobolifique.
C'est pareil pour la décision du conseil constitutionnel : elle est mitigée, va plutôt dans le sens du Oui, mais pas absolument.
Un jour, il faudra bien que les partis politiques acceptent la complexité du monde. C'est ça le Bad Godesberg que décrit (versac) dans son dernier post (ah, Bad Go, c'est trois ans de ma vie !!!).
Rédigé par : Paxatagore | 22 novembre 2004 à 18:44
Paxatagore : J'adore le mot mirobolifique ! Promis, je tente de le caser dans une plaidoirie.
Rédigé par : Eolas | 22 novembre 2004 à 18:49
Paxatagore : je suis d'accord sur le fait qu'il y a un noircissement ou un 'éclaircissement' fort de la part des deux camps. C'est d'ailleurs ce qui rend un blog "indépendant" ou en tout cas non partisan, et clair sur les contenus, utile dans ce débat.
Ceci-dit, le texte a de nombreux défauts, soit. Il est clairement imparfait, et on se demande souvent quelle patte, celle des conventionnels, des gouvernements, quels arrangeemnts étonnants, ont pu donner lieu à des compromis de telle ou telle nature. Reste que celà tient à la nature même du processus de construction européenne et à ce qui ne peut être qu'une avancée progressive, négociée pas à pas, pleine de contraintes, de malentendus à lever ou à conserver, etc... Evidemment, on peut le regretter, mais c'est un fait que ce sont 25 Etats qui discutent pour se faire des concessions. Le texte ne s'en sort finalement pas trop mal, si on regarde la bouteille à moitié pleine.
La comparaison avec les constitutions américaine ou française est à ce titre une négation profonde du processus même de la construction.
Rédigé par : versac | 22 novembre 2004 à 19:02
Versac : Tout à fait (bon, faudrait que je me calme sur les commentaires). C'est ça la réalité. C'est des compromis imparfaits, mais qui ont le mérite d'exister.
Eoalas : mirobolifique est un terme beaucoup trop long pour être casé dans une plaidoirie. De mon point de vue, les plaidoiries les plus courtes sont les meilleures, et une plaidoirie qui ne comprend que le mot mirobolifique est déjà TROP longue. Je vous rassure : je ne suis pas sectaire, ça vaut aussi pour les réquisitions du ministère public.
Rédigé par : Paxatagore | 22 novembre 2004 à 19:05
Ce qu'il faut répéter c'est que la Convention Européenne
a préparé ce traité de la façon la plus démocratique: et
cela c'est unique dans la construction de l'Union.
Nous avons eus des débats suivis dans l'hémicycle du parlement, tout cela a corrigé la CIG et ses défauts.
bien sur dans l'avenir il faut aller dans ce sens pour
interesser les peuples: donc plus d'informations.
Rédigé par : Brigitte | 22 novembre 2004 à 20:48
tss, tss... Brigitte. Pas "la plus démocratique". De façon plus démocratique, oui. Pas "la plus démocratique". Le militantisme est-il décidemment incompatible avec la nuance ?
Rédigé par : Paxatagore | 22 novembre 2004 à 21:57
Mirobolifique non.
Contenant de nombreuses avancées oui.
En tout cas on peut voir que la campagne interne du PS a eu un effet sur les citoyens, un effet pas trés positif d'ailleurs, à mon sens bien sur.
Rédigé par : socdem | 23 novembre 2004 à 01:41
Paxatagore l'exercice qui consiste à écrire sur un blog
est difficile, j'écrivais après une journée fatigante,
je soulignais simplement les progrés de la Convention par rapport à la CIG. C'est la 1ère fois que l'on procède de la sorte OUI ou NON.
Quand à la nuance je ne sais pas de quoi tu parles, vu
tes propos sur la constitution plus haut.
Rédigé par : Brigitte | 23 novembre 2004 à 09:40
Chère Brigitte, mon commentaire était humoristique et à prendre à la légère. Je respecte trop votre engagement (étant moi-même incapable de le faire, j'apprécie qu'on fasse ce travail à ma place, et je suis sur que ce serait réciproque si vous saviez comment je gagne mon pain). Incontestablement il y a des progrès majeurs, sur la façon dont la Constitution a été rédigée, et c'est là à mon avis une raison essentielle pour laquelle il faudrait voter oui.
Pour la nuance, je faisais référence à votre bout de phrase : "de la façon la plus démocratique". Je trouve que c'est plus démocratique qu'avant, mais pas "le plus démocratique".
Rédigé par : Paxatagore | 23 novembre 2004 à 10:28
Versac : j'avoue ne pas saisir, certains passages du traité sont très proches de points abordés dans les constitutions que tu cites, pourquoi ne pas comparer la formulation et l'organisation de ces points ?
Rédigé par : Curieux | 23 novembre 2004 à 20:29
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Rédigé par : xwoman | 13 septembre 2007 à 23:11